J’voudrais travailler encore avec mes mains d’or...
Le chômage, les usines qui ferment, telles sont les dures réalités de notre monde moderne : Bernard Lavilliers nous raconte cette tragédie qui anéantit les hommes dans une de ses plus célèbres chansons : Les mains d'or...
Le poète nous montre, d'abord, "Un grand soleil noir (qui) tourne sur la vallée..."
L'oxymore "soleil noir" symbolise le travail perdu, des usines abandonnées où la vie a disparu...
Un décor désolé apparaît, alors :
"Cheminées muettes - portails verrouillés
Wagons immobiles - tours abandonnées
Plus de flamme orange dans le ciel mouillé..."
Les cheminées personnifiées, devenues "muettes", semblent comme muselées, l'énumération des noms, sans verbe conjugué, restitue un désarroi, d'autant qu'ils sont accompagnés de termes négatifs.
La strophe suivante fait intervenir une comparaison : "On dirait - la nuit - de vieux châteaux forts
Bouffés par les ronces - le gel et la mort ".
Un décor fantomatique est décrit, un décor à la fois somptueux et désolé.... Le verbe imagé et familier "bouffés" traduit une violence inouïe.
Ces lieux effrayants sont comme pétrifiés et anéantis dans une immobilité terrifiante.
Seul "un grand vent glacial" anime cette usine, faisant "grincer les dents" d'une machine à l'arrêt, devenu "monstre de métal dérivant".
Le refrain à la première personne est un hymne au travail bien fait : le personnage exprime une volonté de retrouver du travail, de manière insistante et réitérée.
"J'voudrais travailler encore - travailler encore
Forger l'acier rouge avec mes mains d'or
Travailler encore - travailler encore
Acier rouge et mains d'or..."
L'expression "mes mains d'or" donne toute sa valeur au travail de l'ouvrier qui sculpte l'acier et le dompte.
L'ouvrier évoque, alors, sa vie passée dans ce "laminoir", un terme terrible, à double sens, le propre et le figuré, une vie consacrée à un dur labeur, une vie difficile...
L'énumération qui suit mêle mots concrets et abstraits : "Mes poumons - mon sang et mes colères noires
Horizons barrés là - les soleils très rares..." Cette succession chaotique de mots insiste sur la dureté du travail de l'homme : il y a tout mis, ses poumons, son sang, sa vie, ses indignations... sans beaucoup d'espoir puisque les horizons sont barrés...
Le laminoir est même comparé à une "tranchée rouge", image guerrière très forte qui vient encore souligner l'âpreté du travail. On voit apparaître, aussi, une "saignée rouge sur l'espoir"...
La strophe qui suit est à nouveau métaphorique : l'usine abandonnée suggère des images de "navires de guerre
Battus par les vagues - rongés par la mer
Tombés sur le flanc - giflés des marées..."
Vaincus par l'argent - les monstres d'acier..."
Ces navires échoués, balayés par la mer viennent alourdir le désarroi et la détresse du narrateur.
On voit, pour la première fois, apparaître, dans la chanson, le thème de l'argent, du profit : le texte est, ainsi, une dénonciation du monde de la finance qui délocalise, ferme des usines, au mépris de la vie des gens.
La toute puissance de l'argent est bien mise en évidence par cette évocation de ces navires anéantis et vaincus par l'argent...
L'ouvrier constate, alors, son inutilité : les négations se multiplient, évoquant un vide de l'existence....
"J'peux plus exister là
J'peux plus habiter là
Je sers plus à rien - moi
Y'a plus rien à faire..."
Il en vient même à souligner un paradoxe vers lequel le conduit ce monde absurde de la finance :
"Quand je fais plus rien - moi
Je coûte moins cher - moi
Que quand je travaillais - moi
D'après les experts..."
Et, pourtant, l'ouvrier travaillait dur, il se "tuait" à la tâche, pour "gagner des clous...", expression familière qui accentue l'idée de misère sociale.
"C'est moi qui délire
Ou qui devient fou
J'peux plus exister là...", conclut, ainsi l'ouvrier face à ce monde qui inverse les valeurs.
Un monde qui rend les gens fous, qui les anéantit, leur enlève jusqu'à l'espoir de travailler pour un salaire de misère...
La mélodie rythmée et lancinante restitue la douleur et le tourment de celui à qui on a enlevé sa raison de vivre...
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2017/05/j-voudrais-travailler-encore-avec-mes-mains-d-or.html
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