Jacques Chirac : Coincé entre secret médical et les plus folles rumeurs
Le respect du secret médical ou de la vie privée est-il compatible avec la vie publique ? La situation actuelle du Président de la République française, M. Chirac, pose une problématique qui n’est certes pas nouvelle mais dont il serait pertinent de débattre autrement qu’en faisant comme si tout était évident, ceci s’adressant d’ailleurs aussi bien aux uns qu’aux autres. Cette problématique est simple : la vie publique, et plus particulièrement pour les personnes qui ont de très hautes responsabilités comme le Président de la République, est-elle compatible avec le respect du secret médical tel que défini dans notre droit ?
La question paraît d’autant plus importante que les plus folles rumeurs circulent sur l’état de santé du Président de la République. « La transparence a été totale » Ce soir, différents médias se sont fait l’écho du porte-parole du gouvernement, Jean-François Copé, lequel a déclaré que « la transparence a été totale dans le problème de santé du Président Jacques Chirac. » J’avoue qu’à titre personnel, j’ai pris connaissance de cette intervention de M. Copé sur le site XINHUA, et je me suis demandé un bref instant si cette information publiée par le média chinois n’était pas de la pure intox, par provocation. Et puis non, cela a bien été dit. Enfin, je n’ai pas trouvé la citation exacte de Jean-François Copé. Sur le NouvelObs, cette exigence de transparence est rapportée au droit des Français « de savoir exactement si le Président est en situation d’exercer pleinement ses fonctions », et le porte-parole du gouvernement de rajouter « en l’occurrence ça a été le cas. » Au-delà de l’incertitude de la citation de la part des journalistes, je ne doute plus un seul instant que M. Copé ait lancé cette affirmation. Ce dont je doute par contre, c’est que cette affirmation, dite sur un ton péremptoire, corresponde bien à la réalité. Sur ce point, Jean-Marcel Bouguereau, rédacteur en chef au NouvelObs, confirme mon sentiment en déclarant que « la tradition d’opacité au sommet de l’Etat reste vivace, malgré des précédents fâcheux, ceux de Georges Pompidou, victime de grippes à répétition, et de François Mitterrand, cachant la gravité de son cancer. » Une hémorragie cérébrale ?
En effet, comment croire le porte-parole du gouvernement lorsque des voix, et non des moindres, s’élèvent pour donner des indications selon lesquelles l’état de santé du chef de l’Etat a forcément fait l’objet d’une alerte sérieuse, contrairement à ce que les chargés de communication officiellement délégués veulent bien nous dire ? Ainsi, je me réfère, en premier lieu, à l’intervention du professeur Bernard Debré, chirurgien, chef du service d’urologie à l’hôpital Cochin, à Paris, et député de Paris, lequel, sans cacher ses préférences politiques pour M. Sarkozy, a expliqué que si les médecins avaient dès le départ requis au minimum une semaine d’hospitalisation, c’est que le diagnostic s’orientait plutôt vers une hémorragie cérébrale, dont la caractéristique principale est d’être évolutive, et de ne pas permettre un diagnostic certain dans un premier temps. Et d’ajouter que si le Président Jacques Chirac avait eu un caillot, les incertitudes quant à son état de santé auraient été moins fortes. Bien sûr, en écoutant Bernard Debré, j’entendais le chirurgien, le spécialiste qui a eu l’occasion de traiter un autre Président en son temps, mais dans le même temps, je ne pouvais m’empêcher de penser à la remarque de Stéphane Paoli faisant noter que le député Debré était aussi un proche de Nicolas Sarkozy. Honnête, le député confirma cette accointance d’esprit en répondant qu’il ne s’en était « jamais caché ».
Je me suis donc demandé de qui, du médecin ou de l’homme politique,
je venais d’entendre l’interview. Comment croire le porte-parole, lorsque l’on
découvre les petites mesquineries politiques au travers de l’analyse de qui a
été informé le premier ? En voilà une question ! Oui. Mais une bonne
question pour essayer de comprendre ce qui s’est passé. Et si tout ça n’était
qu’un coup médiatique !? Tout d’abord, écartons le scénario machiavélique
imaginé, lors de l’émission Le grand journal de canal plus, par Michel Denisot,
selon lequel l’hospitalisation du chef de l’Etat était programmée. Bon, on me
dira que Denisot n’est pas tout à fait dans le style journaliste d’analyse.
Comme vous n’avez peut-être pas assisté à l’émission, je vous dis tout.
L’invité de Michel Denisot n’était autre que Christophe Lambert.
Non, je ne vous
parle pas de l’acteur le plus intelligent du paysage cinématographique
français, mais de « la star des publicitaires », selon le mot de Denisot.
Vous ne connaissez pas ? Bon, je vous résume Christophe Lambert, directeur
de Publicis Conseil, un autre Sarkoziste qui ne se cache pas, se voit poser une
question par Denisot sur le ton le plus sérieux que le présentateur puisse
adopter. Tenez-vous bien, il a demandé à cet ami personnel de Sarkozy si
finalement il ne pouvait y avoir un doute quant à la coïncidence des dates
entre la réunion de l’UMP à la Baule, qui devait marquer le point de lancement
de la navette Sarkozy, et la survenue soudaine de l’hospitalisation du Président
Jacques Chirac.
L’idée d’un coup médiatique de Jacques Chirac est digne des pires feuilletons, mais si, dans un premier temps, elle fait sourire face à l’invraisemblance, dans un second temps, on se dit que ces journalistes n’ont décidément aucun respect. Mais là où finalement le rire et la compassion font place au rire pur, c’est quand on voit Christophe Lambert plus que gêné pour répondre, et de se dire, et si c’était un coup médiatique pour voler la vedette au Président de l’UMP ? Bon, finalement, au bout de trois secondes, j’ai renoncé à cette version. Il y a cependant deux autres faits, quant au déroulement de la diffusion de l’information, qui font vraiment penser à une mise en scène théâtrale. Un intermittent du spectacle sur les parvis du Val-de-Grâce ! Tout d’abord, ce médecin-chef Anne Robert, qui est venue lire sur les parvis de l’hôpital devant des journalistes, des caméras, et finalement des millions de téléspectateurs, le bulletin de santé du Président, ou devrait-on dire du citoyen Chirac, ce médecin ne serait autre qu’une intermittente du spectacle, selon le NouvelObs. On croit rêver !
Jusqu’où iront-ils dans la manipulation des médias et dans l’utilisation de la crédulité des citoyens ? Comment, dans ces conditions, croire le porte-parole du gouvernement, qui, en bon élève, martèle à la France sa bonne parole, « la transparence a été totale » ? Le plus triste réside certainement dans le fait que lui-même semble persuadé de ce qu’il dit. Le président de l’Ordre des médecins lui-même reconnaît que les bulletins lus à la presse n’ont pas été rédigés par un confrère mais par le patient lui-même ou par ses proches. En bref, l’information dont nous disposons est filtrée. Un coup de fil anonyme ... ? Sarkozy lance une contre-enquête ! La deuxième information, qui peut conduire à s’interroger sur ce qui se passe effectivement, et conduit inéluctablement à la propagation des rumeurs les plus folles, concerne le déroulement des faits entre le moment où le Chef de l’Etat a été hospitalisé et le moment où l’information a été diffusée. Selon le site Profession politique Jacques Chirac s’est rendu au Val-de-Grâce de la façon la plus discrète qui soit, le vendredi 03 septembre au soir. On peut comprendre qu’il n’ait pas pris la peine de prévenir la France entière, mais il apparaît plus étrange que les services de l’hôpital du Val-de-Grâce n’aient pas fait remonter l’information de la nécessité d’une période d’hospitalisation de plusieurs jours à leur autorité hiérarchique, à savoir la Ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, ou que les services de sécurité du Président, dont certains membres dépendent du Ministre de l’Intérieur, aient été mis sous le secret, laissant Nicolas Sarkozy préparer son congrès comme si de rien n’était.
Quelle attention pour un homme politique considéré, il n’y a pas si longtemps que cela, comme « un traitre » à la cause pour avoir soutenu un autre candidat. Seulement, lorsqu’on est ministre on est censé être responsable de ses services, et lorsque ceux-ci sont défaillants, ou qu’on les considère comme tels, on procède à une enquête interne comme George W. Bush au sujet de la Louisiane. Eh bien, c’est ce qu’a fait Sarkozy, après avoir tancé les responsables des services généraux. Et le secret médical dans tout ça ? Le problème avec la vie publique, c’est la médiatisation à outrance de tout un ensemble d’événements qui ne sont finalement que du ressort de la vie privée. On peut comprendre qu’il faille restreindre la propension de tous ces journalistes voraces. Mais la problématique posée par l’hospitalisation de Jacques Chirac n’est pas à aborder du point de vue de la médiatisation. Car la médiatisation, il y a ceux qui la subissent à contrecœur ou l’acceptent volontiers, et il y a ceux qui la fuient comme la peste. Seulement, c’est du point de vue du secret médical qu’il faut aborder l’événement.
La position de Chirac consistant à préférer ne rien dire sinon le minimum, même par l’intermédiaire d’une comédienne, pourrait se défendre s’il était un citoyen lambda. C’est d’ailleurs sur cette argumentation que s’appuie Jean-François Copé pour réclamer le respect du secret médical, en indiquant que ce respect est dû à Jacques Chirac comme à tout autre citoyen. Seulement, en d’autres circonstances, Jacques Chirac a défendu l’idée qu’il n’était pas tel que sont les autres citoyens, que son statut de président ne permettait pas à n’importe qui, notamment un juge, de lui poser des questions par trop indiscrètes sur sa vie privée. Vous me direz que l’objectif est identique dans les deux situations- préserver sa vie privée - et que l’on ne peut pas reproche au Président de la République d’être inconstant à ce sujet. Certes, mais ce qui est difficile à accepter, c’est l’argumentation de fond derrière ces deux histoires, qui est pour le moins fluctuante selon le vent. D’un côté, on argumente sur le fait « je suis Président » je ne suis pas un justiciable - ou citoyen - comme les autres, et, de l’autre côté, on nous dit : je suis un citoyen comme les autres, et, à ce titre, j’ai droit au respect du secret médical.
On ne peut pas un jour réclamer se voir appliquer le statut de Président et un autre jour revendiquer son état de simple citoyen. Or les fonctions et les responsabilités imposées par la plus haute fonction de l’Etat français imposent inévitablement une médiatisation. Cette situation de l’incapacité potentielle du Président est d’ailleurs abordée par la Constitution française. En cas d’incapacité constatée, la suppléance du pouvoir est organisée pour éviter tout risque de débordement qui pourrait vite tourner à l’anarchie. Seulement, encore faut-il être en capacité de constater cette incapacité. Bernard Debré, après son interview « à chaud » sur les ondes, s’est repris et essaie de se justifier dans les colonnes du NouvelObs, en indiquant que les commentaires du président de l’Ordre des médecins, Jacques Roland, étaient en résumé hors de propos puisqu’il ne pouvait ignorer - et pour cause - que tout médecin est astreint au secret médical. Autant dire tout de suite qu’il ne s’agit pas ici de mettre en doute la capacité intellectuelle et physique du Président de la République. Mais la manière dont la diffusion de l’information a été organisée démontre que celle-ci est maîtrisée à tous les niveaux. Or, l’accident vasculaire cérébral survenu à Jacques Chirac est du ressort des risques les plus importants quant à la capacité d’exercer le pouvoir.
Il est donc inutile de nous seriner avec des « petits » accidents vasculaires. Les Français ont un minimum d’éducation. Rappelons que les AVC constituent la troisième cause de mortalité, que la prise en charge de leur conséquence coûte 7 fois plus que la prise en charge du SIDA. C’est bien parce que le Président Jacques Chirac a organisé autour de lui un secret sur cette affaire qu’aujourd’hui les plus folles rumeurs courent sur son état de santé. Les deux yeux seraient atteints ? Il aurait perdu la parole ? Non, non ... Zinedine Zidane l’a eu personnellement au téléphone ! Non, non ... ça, c’était un gag, pas bien grave, après tout, si cela a pu donner des ailes à nos Bleus. Tant mieux pour eux, ils pourront encore faire quelques matchs. Pour revenir à notre sujet, la rumeur a même tué Jacques Chirac ... On pourrait en rire, mais encore une fois, le reste de l’information fait froid dans le dos, puisque cette rumeur, qui a couru à Abidjan, a conduit les fervents du Président ivoirien Laurent Gbagbo à exploser de joie.
Tout ceci m’amène à bien faire reconsidérer ce qui est en jeu : ce n’est
pas seulement le respect du secret médical qui est en cause. Ceux qui
travaillent avec ce secret savent que ce secret est toujours partagé. Et il est
des cas où ce secret DOIT être partagé, c’est le cas lorsque votre médecin du
travail vous examine, constate une pathologie incompatible avec l’exercice de
vos fonctions et vous propose, ainsi qu’à votre employeur, un reclassement. Dans
le cas d’espèce, il faudrait donc organiser une collégialité de médecins
habilités à donner un tel diagnostic. Mais à qui, nous dira-t-on ? Le
Président de la République n’a pas d’employeur ! Eh bien si, son employeur,
n’est-ce pas l’ensemble des citoyens, ceux-là mêmes qui l’ont placé là où il est. Voilà
pourquoi j’estime qu’une meilleure information nous est due.
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