Je souhaite aux Bleus un sublime échec au Mondial

Je n’aime plus l’équipe de France. Mais je n’ai pas dit que je les déteste. Je ne les aime pas et donc ne ressens nul désir de victoire ni de succès français pour ce Mondial de 2010. J’avoue même qu’un sévère échec me ferait plaisir, quoique, à vrai dire, je m’en tape. Mais s’il y en a un que je n’aime pas du tout, c’est le sélectionneur. Les Bleus, plus ce Domenech désagréable et antipathique, ça donne envie de leur souhaiter un parcours avorté. Cette confession vire presque à un exercice psychanalytique, n’en déplaise à Onfray, le promoteur d’une nouvelle psychothérapie. Je n’aime pas les Bleus et je m’en porte très bien et ce sentiment marque un changement d’époque. Car bien des signes sont entrelacés, dans des domaines si distincts que seul l’intellect guidé par l’intuition peut relier, si l’on en croit quelques bonnes paroles de Jünger.
Et dans le passé ? Eh bien j’avoue avoir été passionné par ce sport. Oh, pas au point d’aller dans le stade que je n’ai plus fréquenté passé l’âge de 17 ans, après avoir suivi pendant deux ans l’OGC Nice. Après, j’ai habité à Saint Etienne pendant la grande époque des Verts et je ne sais même pas où se situe le stade Geoffroy Guichard. Pas plus que je ne saurais vous indiquer où joue le club de Toulouse bien qu’ayant habité la ville rose pendant 5 années. Le foot, je le regarde à la télé, quand il y a des bons matchs et si possible un peu d’enjeu d’ordre passionnel. Ce fut le cas en 1982, avec la fameuse aventure des Bleus en Espagne et cette demi-finale d’anthologie perdue contre l’Allemagne. C’était le temps des joueurs doués d’un certain style, parfois poète, parfois gouaille, des bonnes gueules qu’on aurait dit sorties d’une chanson de Renaud. Le temps des Rocheteau, Bats et autres fortes têtes issue d’une époque aux longs cheveux. Plus tard, les cheveux ont laissé place à quelques fortes têtes, notamment un certain Eric Cantona.
Et puis, il y a eu les cheveux de Ginola qui n’avaient rien du poète, du baba ou des effusions floydiennes. Des cheveux savamment loréalisés, à la façon des jeunes rebelles de Neuilly, des cheveux bling bling, signe d’un enrichissement des mœurs, alors qu’un autre David convolait en justes noces avec une ex-spice girl et devenait le plus glamour des footballeurs planétaires. Dans la foulée, Beckham et Bono partageaient le même yacht et parfois les mêmes fêtes mondaines jouées dans la baie des Anges ou à Saint Trop’. Le monde du rock est lui aussi devenu blingueballant. Entre temps, il y eut le Mondial de 1998 et je me dois que vous confesser que j’ai suivi avec attention les matchs et que le soir de la victoire, je me suis vu avec des milliers de gugusses enivrés de joies, ayant perdu toute notion des convenances. Mais je n’ai quand même pas vociféré avec la foule. Juste le temps de partager un moment de joie.
Cette année 2010, je pense savourer le Mondial avec un enthousiasme minimal et une assiduité plus qu’atone, pratiquant volontiers l’école buissonnière et jouant de la zappette pour sortir mon écran de l’ennui et des platitudes du jeu convenu. Mon écran n’a rien de plat et s’il se prête à la grande messe cathodique, je serai infidèle et impie, ne croyant plus à l’authenticité des joueurs venus pour un peu de gloire, pour un séjour de luxe et lorgner sur les 300 000 euros promis s’ils ramènent le trophée. Il paraît que l’Espagne a misé plus haut, alors que ce pays est en crise, que le chômage ravage les jeunes et que ses footballeurs sont pratiquement les mieux payés du monde. Indécence que ces revenus annuels atteignant, voire dépassant allègrement les dix millions d’euros. Les beaufs de comptoir m’accuseront de jalousie. Qu’ils ne se gênent pas. Aristote était-il jaloux lorsqu’il dénonçait la chrématistique dans Les politiques ? Les beaufs n’en savent rien. Ils lisent L’équipe.
Nulle intention de ma part de condamner ces jeunes joueurs talentueux à qui on offre des salaires mirobolants et qui seraient bien idiots de ne pas en profiter et de refuser d’acquérir ces voitures de sports fort plaisante à conduire et très pratiques pour draguer les filles. Le football illustre les travers du système économique qui se joue sur fond de cupidité et de vénalité. Mon confrère Moreigne a fait ici une mise au point. Mais si le foot symbolise le bling, le fric et la frime, il a aussi ses côtés sordides et se fait le miroir de l’exploitation et des migrations. Une émission de France Inter a rapporté le sort de ces footballeurs africains partis en Thaïlande pour devenir joueur professionnel et qui se retrouvent sans le sou pour repartir après avoir échoué. Les plus chanceux étant en sursis. 300 dollars par mois. Le football a aussi ses travailleurs pauvres et ses zones de misère.
Ce Mondial 2010, on pourra le vivre intensément en feignant le côté fric et en regardant le spectacle. Après tout, le salaire des footballeurs n’est pas plus scandaleux que les revenus des stars de la musique ou du cinéma. Les managers et autres producteurs font monter les enchères sachant que les gens font acheter les CD, les DVD, aller au concert, dans les salles de ciné. Le système du fric, il repose aussi sur le goût moyen des masses et nul n’impose aux gens d’aller au stade ou de payer un abonnement télé. Le capitalisme n’a rien de moral ni d’immoral. On pourra toujours regarder les matchs pour le spectacle. Mais sans passion. Le monde de l’argent a dépassionné toutes les causes, sauf une seule, celle de l’argent. Bienvenue dans un monde vénal et cupide, ainsi parle le prophète aux petits d’hommes nés sans savoir ce qui les attend.
Je jette un autre regard sur ce monde qui a bien changé mais au fond, a-t-il vraiment changé ? Je ne crois pas. Le règne de l’argent s’est juste étendu, d’année en année. Le 21ème siècle ressemble au 19ème siècle. C’est peut-être moi qui ait changé. Prenant un virage opposé à celui des valeurs de l’opinion et du goût des masses. Quoique, déjà à 15 ans, j’étais épris de Van der Graaf et Amon Düll, rejetant la variétoche des épigones du yéyé, et toutes les merdes des Carpentier et autres faiseurs d’impostures du show bizz. Au bout du compte, ce spectacle du foot est savoureux mais son goût est amer. Tant de fric, de paillettes, de notables en cravate, d’hypocrisies et ce portrait d’un monde décadent qui frise la décomposition. Les Français peuvent perdre mais on peut souhaiter le même sort aux Allemands, aux Brésiliens, aux Italiens. Le foot n’est jamais que le reflet du monde, comme le marché de l’édition, le marché des animateurs, le marché de la daube musicale, le marché des Ipad. L’animal rationnel qu’est l’homme a conquis la planète et l’humanité n’est plus tant une chance ou un idéal qu’une oppression et un fléau. Voilà pourquoi je me suis livré à cet exercice psychanalytique d’écriture spontanée pour mieux livrer le miroir de sa subjectivité éthique.
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