Je suis hétérophile mais je me soigne

J’ai longtemps hésité à l’avouer parce que je sentais confusément que ce n’était pas convenable, qu’il y avait quelque chose de malsain, que je devais me corriger, me reprendre en mains si j’ose employer cette expression quelque peu libidineuse.
Quand on est hétérophile, on se sent terriblement seul, pas d’associations, de clubs comme pour les aquariophiles, pas de groupes de paroles comme pour les hydrophiles, c’est drôlement coton d’autant que certains se plaisent à dire que l’hétérophilie serait le faux nez de l’homophobie.
Et puis un jour, on se lance, on convoque sa famille, ses amis, le ban, l’arrière ban et même Stéphane Bern ‘’ outeur’’ récidiviste et on fait son ‘’ coming out ’’ comme aux States.
Finalement ça s’est bien passé, j’ai eu droit à un florilège de commentaires réconfortants « Ouf, j’ai eu peur, j’ai craint un moment que tu nous annonces ton homophobie ou pire encore ton homosexualité » me dit soulagé mon beauf.
Il faut dire que c’est un farouche défenseur de la cause hétérosexuelle, rédacteur intérimaire de ‘’Buté’’ le magazine des hétéros dépressifs mais fiers de l’être. Pour vous situer la teneur de cette revue, c’est comme Play Boy mais en plus démonstratif.
Sa réponse quelque peu confuse et navrante s’explique par une saine aversion doublée d’une totale incompréhension des mots commençant par homo qu’ils viennent du grec, du latin où même quand ces deux langues copulent ensemble pour former un néologisme.
Il avait sombré en son temps dans une profonde mélancolie quand il avait appris qu’il appartenait à la famille des homo sapiens, il avait fallu une lourde thérapie à base d’explication de texte afin qu’il comprenne que c’était la version savante, au système pileux moins fourni et à la bipédie quasi exclusive du gorille des montagnes.
Une amie, étymologiste érudite mais aussi déficiente auditive qui aime les hommes comme les camemberts, c'est-à-dire bien faits, a cru comprendre haltérophile et m’a félicité d’un « il était temps que tu te mettes au sport » en insistant lourdement d’un œil réprobateur sur ma rotondité abdominale.
Quant à Stéphane Bern, il m’a encouragé à franchir le pas, « hétérophile, c’est un bon début mais il faut accepter ton orientation sexuelle et passer à l’acte, pour aimer l’autre, mieux le comprendre, il faut le connaitre au sens biblique du terme, en un mot assumes ton hétérosexualité »
J’ai alors compris que la frontière était ténue entre l’hétérophilie et l’hétérosexualité, qu’il fallait cesser d’être velléitaire et me mettre à fréquenter les réunions ‘’Tupperware’’ quitte à être invité en qualité de sex toy, je ne devais plus me complaire dans cette posture d’hétérosexuel contrarié.
Dans ce paradis sociétal qu’est devenu l’hexagone sous l’autorité bienveillante d’un chef de guerre à la cravate oblique, tous les espoirs sont désormais permis pour peu que l’on s’en donne la peine.
Tandis que l’hétérophile est cantonné à des visites périodiques à la SPA pour rompre l’isolement, l’hétérosexuel se voit offrir le mariage pour tous, la PMA, et un jour sans doute, la GPA sans compter un pèlerinage annuel à Bègles chez le divin moustachu, ancien membre du groupe ‘’Village people’’.
Je suis encore hétérophile mais je me soigne et suis désormais prêt à franchir le rubicon, sans qu’il soit necessaire de voir dans l’emploi de ce dernier mot une allusion égrillarde.
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