Je suis un quatre-vingt-sizard...
Alors que flonflons, serpentins hués et controverses accompagnent la célébration du quarantenaire de Mai-68, voici le cri d’un simple quatre-vingt-sizard vivant dans l’ombre des soixante-huitards.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L121xH124/mai-843ad.jpg)
C’est en 86 que je vis le jour entre la main de Dieu et la venue du pape sur les terres de Lugdunum. Mes premiers pas furent bercés pars les premiers cris du hip-hop, mes yeux se sont écarquillés devant les mangas du Club Dorothée, la game boy devint mon Graal alors que Basile Boli caressait le cuir et donnait des vocations, plus ou moins brèves, a des milliers de petits quatre-vingt-sizards comme moi. En fin de compte, ma génération fut comme celles qui nous précédèrent et celles qui nous suivront, c’est-à-dire lancée à la découverte du progrès et de l’avenir ringardisant les premiers pas de ses ancêtres qui ont, désormais, une teinte sépia. Pourtant nous aurions dû le savoir, c’était inscrit. Nous qui avons flirté tant d’années durant avec le verlan nous sommes passés à côté du signe... 86 devenant 68. A cette vue, nous aurions su que notre avenir était resté bloqué aux révolutions de nos parents.
Mai-68 a 40 ans. Grand bien lui fasse. Quarante années c’est ce qui sépare un néo-travailleur de l’heure de la retraite, c’est au-delà de deux majorités et pourtant ce grand gaillard continue à draguer nos télés et nos journaux comme une star éternellement sur le retour, mais rarement sur le départ. Il est vrai que cette célébrité a le droit de revendiquer une place dans nos mémoires. Que ce soit pour le don juan moderne qui peut aujourd’hui se glisser dans le dortoir des filles sans avoir l’impression d’être un voyageur clandestin aux pays des rêves, ou pour la femme militante qui peut enfin crier ses pensées sans qu’on ne la renvoie en cueillir, des pansées, Mai-68 fut le coup pied au derrière des conservatismes et une belle accolade aux libertés. Pourtant mon âme de quatre-vingt-sizard est partagée entre reconnaissance et lassitude.
Ces derniers jours PPDA, Elkabach, Durand, Field et autres journalistes en tout genre refont les barricades. Bon évidemment, si Mai-68 a vieilli imaginez bien que ses prétendants ont, eux aussi, tâtonné avec le temps. Désormais les pavés sont des mots et les barricades des plateaux télé où le maquillage révolutionnaire fut remplacé par le fond de teint afin que partisans et opposants ne brillent pas trop devant l’œil courtisé de la caméra. Qu’il est drôle d’observer les cravatés d’aujourd’hui se souvenir des incartades d’hier. Nos parents coincés dans le sofa sont plongés dans les yeux de Dany le rouge qui s’est un peu verdi voire orangé ou bien dans ceux de Balkany évoquant son passé de CRS anti-soixante-huitard. Ah, il faut les voir nos anciens revivre ces combats de jeunesse où tout était permis et où aucun mioche ne venait tirer sur leur pantalon pour aller préparer à manger. Ça fait quarante ans et pourtant leur souvenir ont, eux, été épargnés par les rides. Nous, simples jeunes, regardons, tentons de comprendre et surtout comptons les points. Après tout, la nostalgie est une délicate mélodie même si elle est parfois passionnelle, tant que celle-ci ne met pas de l’ombre aux heures futures qui seront, elles aussi un jour, nostalgie.
Pourtant, les jours avançant, Mai-68 semble conditionner encore et toujours le présent puis l’avenir d’une petite génération qui ne connaît pas la crise. Quand au moment de poser mon premier bulletin présidentiel dans les urnes de la république, j’entendis un homme exhorter la foule à saisir l’héritage de Mai-68 pour le liquider, mon sang ne fit qu’un tour. Je me remémorai mes cours d’arithmétique 68 se trouvant avant 86 et le Littré rappelant que l’héritage est ce qui descend de quelqu’un ou de quelque chose, 86 serait l’héritage de 68, donc je serais le fruit de cet héritage donc il faudrait me liquider, puis je me souvins, rassuré, que j’étais aussi l’héritier de 67,69[...]81[...]85 et je pus respirer en espérant passer incognito derrière la boucle d’un neuf ou la barre d’un un, mais tout de même. Quelle drôle façon de faire que d’appeler les électeurs au vote et de demander parallèlement leur exécution.
Qu’est-ce qui les attire tant dans ce fameux Mai-68 ? En parcourant mes livres d’histoire, j’y vis le cadavre de Martin Luther King, les pas de l’oppression de Prague, les 1 100 victimes du tremblement de terre iranien et compris que le romantisme ne fut pas seulement de la partie en 1968. Malgré tout, ce Mai-68 fait toujours brunir les tempes grisâtres des anciens, refleurir leur regard devenu plein de routine et ravive leurs envies politiques d’ados, estompées certes mais pas forcément oubliées. Mai-68 c’est leurs heures de plaisir, d’engagement, de frétillement républicain. Leurs premiers coups de poing à valeur politique, leurs premiers affrontements avec les forces de l’ordre. Mai-68 c’est leur première fois en somme et comme de nombreuses premières fois, elle fut brève mais reste encore ancrée dans un coin de leur tête.
Je suis un quatre-vingt-sizard et observe les joutes verbales télévisées d’aujourd’hui avec amusements et craintes. Amusement car les romantiques et les perdants savent cultiver le verbe et poursuivent leurs querelles comme s’ils ne s’étaient pas quittés depuis le dernier jet de pavé. Mai-68 devient alors le vieil ami critiqué de la famille. Certains le regardent du coin de l’œil lui reprochant d’avoir une mauvaise influence, d’autres le flattent, le caressent et l’admirent pour son excentricité et enfin la grande majorité parle de lui sans l’avoir jamais trop côtoyé. Et, moi, comme tout enfant retranché dans sa chambre pendant que les grands sont avec la vieille connaissance, je m’amuse de ces jeux de rôles.
Craintes face à la prédominance actuelle de ces anciens combats. Le temps paraît s’être arrêté, notre génération encore fébrile est montrée du doigt comme étant des pavés échappés des luttes parentales. Nous ne serions que le fruit de 30 jours et quelques poussières idéologiques. Réduit à un si court laps de temps c’est douloureux, avouons-le. Nous, enfants de 1980, avons le droit seulement à un arbuste généalogique où les seuls fruits à grignoter seraient infects ou porteurs de l’âme de Belzébuth. Il paraît que 1968 a tué l’autorité. Peut être... sûrement même. Comment un père ou bien une mère peut représenter une figure d’autorité, de sérieux et de responsabilité quand ces mêmes minois ont été exhibés sur des photos jaunies parés de cheveux longs, de rires béats et auréolés de slogans libertaires. Imaginez la scène
« - Gaston, met ton pull à l’endroit et fais ta jolie raie au milieu - Non, moi aussi je veux être les cheveux sales et le pantalon troué comme papa ».
Forcément ça vous casse une réputation. Mai-68 n’a pas tué l’autorité, Konica si.
Je suis un quatre-vingt-sizard et désire que Mai-68 vive encore, mais peut-être de façon moins exclusive. Nous aussi voulons porter notre avenir, faire nos barricades, défendre nos libertés, chanter des slogans extrêmes que nous regretterons peut-être un jour, se construire des albums de souvenir que nous regarderons avec nos enfants moqueurs voire dépités, être pris pour des petits arrogants aux revendications irréalistes par ces adultes qui ont rangé leurs rêves aux côtés de leurs projets. Pour certains, nous sommes peut-être un simple héritage que nous pourrions comprendre à la seule lecture des testaments rangés dans les livres souvenirs qui emplissent les rayons des libraires depuis quelques semaines, hélas pour l’analyse facile il en est tout autre.
Nous sommes une nouvelle génération qui ne connaît Mai-68 que par les voix aux nez pincés des journalistes d’antan, par l’évocation émue de nos profs d’histoire, par les contes de ces pages que nous lisons avec intérêt et par tant de relais de mémoires essentiels à la survie de l’Histoire. Nous sommes une génération qui sait également tirer des leçons et qui a compris que jouir sans entrave se fait avec un préservatif, qu’il est interdit d’interdire, mais que rien n’empêche de réfléchir et qui a fait tant d’autres adaptations des idéaux de nos ancêtres à cette époque qui est la nôtre car nous savons que l’idéal est toujours à construire.
A tous ces pères, toutes ces mères, tous ces vieux oncles, tous ces spécialistes voyant en nous le rejet de leur manifestation j’aimerais leur dire que nos pas vont dans le sens de l’avenir, que ceux-ci souhaiteraient eux aussi pouvoir faire des erreurs sans que vous ne vous croyiez, par narcissisme ou inquiétude, les responsables de ces égarements. Non, je suis un de ces quatre-vingt-sizards qui vivent aujourd’hui avec des rêves futurs dans une société que nous ferons avec nos révolutions ou encore nos résolutions, pas sans vous... ni sans nous.
Merci à Dany et à ses compagnons pour les avancées conquises au cœur du printemps de 68, à présent c’est à nous. Il y a quelques années NTM nous susurrait « le monde de demain nous appartient »... ce monde de demain c’est aujourd’hui. Bienvenue en 2008, vous accepterez bien un petit tour du propriétaire ?
Fabien Pie
PS : savez-vous qui est née en décembre 1968, héritière directe de ce mois de mai ? Une certaine Carla B aujourd’hui acoquinée à son pourfendeur, comme quoi il n’y a pas que dans les Disney que l’amour réconcilie les paradoxes, même si celui-ci ne fut pas très loin.
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