Jean-Claude Gaudin, la mémoire sélective...
Furieux de voir sa bonne ville de Marseille envoyer Stéphane Ravier, maire FN du VIIe secteur, au palais du Luxembourg, Jean-Claude Gaudin en accuse immédiatement François Hollande et la gauche... Du haut de ses 74 ans, le vieux chef de clan oublie qu'avec son meilleur ennemi Jean-Noël Guérini, il porte aussi une responsabilité forte dans l'éclosion du FN au niveau local...
Municipales 1989 : quand Jean-Claude Gaudin draguait le Front National pour barrer la route à Bernard Tapie...
Nous sommes en 1989. Jean-Claude Gaudin a 50 ans à l'époque, et fait partie des jeunes loups de la droite. Il tente une deuxième fois de concquérir la cité phocéenne face à Robert Vigouroux, qui avait remplacé en 1986 le monument Gaston Deferre, décédé en cours de mandat. Moins connu que son illustre prédécesseur, Vigouroux possède néanmoins un atout de poids dans sa manche : Bernard Tapie. En 1989, Bernard Tapie est au sommet de sa réussite. Après avoir conduit l'équipe cycliste 'La vie Claire' à deux succès dans le tour de France (Bernard Hinault en 1985, puis Greg Lemond en 1986), il prend la tête de l'Olympique de Marseille en 1986, invité par la veuve de Gaston Deferre. La saison 1988-1989 est la plus abouti sur le plan national : l'OM file sur la route dul doublé championnat-coupe de France alors que se déroulent des municipales difficiles pour la gauche au pouvoir. Tapie est même envisagé pour remplacer le peu connu Vigouroux (il optera finalement pour un soutien très marqué).
A l'époque, la droite se déchire (déjà) entre partisan d'une ligne décomplexée, faisant ouverture au FN - qui avait remporté ses premiers succès à Dreux 6 ans plus tôt - et partisans d'un cordon sanitaire avec le FN, à l'image de Michel Noir lançant son fameux : "Il vaut mieux perdre une élection que perdre son âme" en 1987. Jean-Claude Gaudin, lui, perdra les deux. Il va proposer un pacte d'alliance avec Jean-Marie Le Pen contre Bernard Tapie, ce pacte sera caricaturé par Plantu montrant Le Pen et Gaudin s'approchant balle au pied du but gardé par Bernard Tapie avec Gaudin déclarant "Jean-Marie, après le match, on échange les maillots". En fait, c'est Tapie qui changera de maillot par la suite. Devenu sarkozyste après biens des déboires judiciaires, l'ex-enfant chéri de François Mitterrand sera de nouveau bien en cour auprès de l'UMP, dont un certain Gaudin Jean-Claude, qui l'aidera même à revenir à la direction de l'Olympique de Marseille au début des années 2000. Sans le même succès qu'auparavant.
Et le FN, me direz-vous ? Plein d'une haine farouche envers Bernard Tapie (qui qualifiera Le Pen mais aussi ses électeurs de "salaud"), il attendra son heure. Dans une région où les scandales de corruption à droite comme à gauche, l'insécurité et drames liés au racisme ordinaire (superbement brocardés par Les Inconnus au début des années 90) sont légion, le terreau est fertile pour son installation.
Municipales 1995 : Marseille vire à droite, le PACA prend un goût extrême
1995 : grande année pour Jacques Chirac et Jean-Claude Gaudin, qui touchent au but à la troisième tentative : le premier devient président de la République, le second décroche enfin la mairie de Marseille. Un exploit car la tendance est plutôt à la vague rose lors de ce scrutin. Il faut dire que Vigouroux était de plus en plus impopulaire et de plus l'ancien socialiste avait fait le choix de soutenir... Edouard Balladur lors des présidentielles. Ne se représentant pas, il laisse un boulevard à son rival. Qui va voir le FN arriver aux portes de sa commune : en 1995, le FN conquiert trois villes, toute en PACA : Orange (Jacques Bompard), Toulon (Jean-Marie Le Chevallier), et surtout Marignane (Daniel Simonpieri). Vitrolles échappe de peu au Front National, Bruno Mégret est battu au second tour, mais de nombreuses irrégularités provoquent l'annulation du scrutin et c'est Catherine, la femme de Bruno, qui conquiert la ville le 9 février 1997. La vague brune est aux portes de Marseille mais Gaudin s'en moque, la droite est à l'époque au pouvoir. Toujours aussi indifférent quand au printemps 1998 les régionales voient les listes FN au coude à coude avec les listes d'union de la droite menées par François Léotard, derrière la liste d'union de la gauche menée par Michel Vauzelle. La droite se divise à nouveau entre partisan du soutien au FN et adversaire (François Léotard étant dans ce deuxième camp), Jean-Marie Le Pen lui attend un retour de bâton : le FN ayant aidé la droite à obtenir la présidence des régions Languedoc-Roussillon, Bourgogne et Picardie (et ayant failli le faire en Rhône Alpes), il aimerait que la droite laisse le FN diriger la Région qui lui a offert le plus de suffrages. Michel Vauzelle est finalement élu président de Région, Jean-Claude Gaudin reprend un pastis en terrasse, laissant la droite locale s'entredéchirer.
Municipales 2001 : la grande lessive
En 2001, l'extrême-droite a été chamboulée par la scission entre Lepénistes (qui conservent l'étiquette FN) et Mégrettistes (ayant fondé le MNR), deux ans plus tôt. Jean-Claude Gaudin profite de la vague bleue (malgré les pertes de Lyon et Paris) pour être confortablement réélu. Jacques Bompard est le seul maire FN à conserver sa mairie, celle d'Orange. Daniel Simonpieri conserve Marignane, mais il a rejoint le MNR entre-temps. Plombé par les affaires, Jean-Marie Le Chevallier cède Toulon à l'UMP Hubert Falco, qui est toujours l'actuel pensionnaire de l'hôtel de ville de la rade. Enfin, Catherine Mégret pense conserver Vitrolles, mais le scrutin est invalidé, et la gauche reprend Vitrolles en 2002. Ces déboires et division n'empêcheront pas cependat le coup de tonnerre du 21 avril 2002.
L'UMP est fondé en avril 2002, Jean-Claude Gaudin en devient l'un des piliers, incontournable en PACA. Il va attirer les centristes dans la machine, mais ne va pas rechigner à puiser aussi d'anciens membres d'extrême-droite, surtout au sein du MNR. Bruno Mégret a en effet piqué les technos du Front National, mais l'électorat ne suit pas. Frustrant. Du coup, Daniel Simonpieri, isolé suite à la perte de Vitrolles, fait le choix de rejoindre le groupe d'opposition UMP-UDF au Conseil général après sa victoire aux cantonales de 2004 contre un adversaire... Front National.
Municipales 2008 : Cloclo et Nono, ennemis très rapprochés
C'est en 2008 que les municipales vont tourner à la plus belle pagnolade : à droite, Jean-Claude Gaudin, en lice pour un troisième mandat. A gauche, Jean-Noël Guérini, président du Conseil Général des Bouches du Rhône depuis 1998. Dans les seconds rôles, Renaud Muselier côté droit, 49 ans, et Patrick Menucci côté gauche, 53 ans. Le premier rêve d'avoir la mairie en viagier : Gaudin a 67 ans, ne va-t-il pas bientôt lâcher pour se contenter de son poste de sénateur (qu'il détient depuis 1989) ? Le deuxième tracte aux côtés de celui qui va devenir son pire ennemi. Après le succès de la droite aux municipales (finalement assez confortable dans un contexte de vague rose), la répartition des postes est claire : à Gaudin la municipalité, à Muselier la présidence de l'agglomération. Sauf que Marius aurait dû se méfier de César : le jour où on fera danser les couillons, Renaud Muselier ne sera pas dans l'orchestre. En dépit d'un nombre d'électeurs en théorie plus important à droite, c'est le socialiste Eugène Caselli qui est élu. En 2012, Muselier est même battu par la nouvelle secrétaire d'Etat Marie-Arlette Carlotti aux législatives dans une circonscrpition a priori favorable à la droite. Jean-Noël Guérini est un proche de Caselli, et bien que Carlotti ait été sévèrement critique envers son système, il ne lui envoie aucun dissident dans les pattes, un traitement de faveur dont n'ont pas bénéficié d'autres députés parachutés depuis la rue de Solferino. De là à faire croire à Muselier que les ennemis d'hier se sont ligués pour l'abattre... Voyons, cela ne reste que des suppositions, basées sur des coincidences étonnantes, comme le fait que le ramassage des ordures à Marseille soit organisé par une société présidée par... Alexandre Guérini, le frère de Jean-Noël (et l'homme par qui le scandale arrivera). Ou que le Conseil Général puisse se montrer très généreux avec la municipalité de Marseille, qui n'est pas rancunière.
Et l'extrême-droite, pendant ce temps-là ? Elle ne profite pas tout de suite de cette situation "UMPS" locale (ou plutôt UMP-Guérini, ce dernier ne va pas tarder à devenir paria rue de Solférino). Jacques Bompard n'est plus au FN depuis 2005, il a rejoint le MPF de De Villiers (où il y retrouve un certain Guillaume Peltier, ex-FN puis MNR) et conserve Orange sous ces couleurs-là. Daniel Simonpieri est investi par l'UMP pour les municipales de 2008, mais il est battu dans une triangulaire avec la gauche par la liste du divers-droite Eric Le Dries. Exclu de l'UMP pour dissidence, il reviendra sans problème par la suite dans le parti, Simonpieri étant par la suite empêtré dans diverses affaires judiciaires. Le FN ne progresse pas tout de suite, dans une période où il faut assurer la transition entre Jean-Marie Le Pen et sa fille, mais celle-ci permet au nouveau FN et au "Rassemblement Belu Marine" de remporter à nouveau de premier succès lors des élections cantonales de 2011 : le FN se retrouve ainsi présent au second tour dans les 14 des 17 cantons renouvelables, dont 11 sur Marseille ! Comme quoi, Jean-Claude, la progression locale ne remonte pas à l'arrivée au pouvoir de François Hollande...
2014 : le bal des couillons
Ce qui est bien, à Marseille, c'est que les alliances vont et viennent au gré du Mistral. Prenez la situation de la gauche lors des primaires devant désigner la tête de liste aux municipales : au départ on trouve : Marie-Arlette Carlotti, favorite d'un gouvernement qui n'ose pas trop se mêler de la tambouille locale. Patrick Menucci, ancien bon copain de Guérini devenu opposant à son système. Et Samia Ghali, protégée de Guérini, qui se revendique fille des quartiers nords (ayant connu une ascension éclair l'ayant amené au palais du Luxembourg). Carlotti est éliminée dès le premier tour, Menucci l'emporte au second mais l'ambiance est amère, la grande réconciliation semble loin quand il réclame à une foule peu enthousiaste d'applaudir Samia Ghali, encore moins enthousiaste. Dans ce contexte de divisions guère cicatrisées, les municipales tournent au massacre, Samia Ghali est ironiquement la seule tête de liste socialiste à conquérir une mairie de secteur (le 8e). Le FN de son côté conquiert son bastion le plus important, le 7e secteur, avec Stéphane Ravier. Les listes de Jean-Claude Gaudin râflent tous les autres secteurs, offrant un 4e mandat consécutif de maire à son édile.
Le FN triomphe en PACA, raflant 5 de ses 11 conquêtes : Fréjus, Le Luc, Cogolin dans le Var, Le Pontet dans le Vaucluse, et donc le 7e secteur de Marseille. Auquel il faut rajouter l'inusable Jacques Bompard, toujours maire d'Orange, cette fois-ci avec l'étiquette Ligue du Sud, et Bollène, administrée depuis 2008 par Marie-Claude Bompard, son épouse. Le FN décroche aussi 6 autres municipalités (Beaucaire et Béziers en Languedoc-Roussillon, Villers-Cotterêts en Picardie, Hénin-Beaumont dans le Nord-Pasde Calais, Hayange en Lorraine, Mantes La Ville en Ile de France), mais le PACA reste son meilleur nid d'implantation.
On observe un changement de tendance à gauche aux sénatoriales de l'automne : c'est une liste menée par Samia Ghali qui est officiellement soutenu par le PS. Jean-Noël Guérini se présente à la tête de sa liste dissidente. C'est la liste Guérini qui l'emporte à gauche en décrochant 3 sièges, Samia Ghali parvenant à sauver le sien. Des grands électeurs divers-droite confessent avoir accordé leur soutien à Guérini. D'autres ont voté Stéphane Ravier, qui comme David Rachline dans le département voisin du Var a bénéficié de plus de suffrages que de grands électeurs officiellement encartés au FN disponibles. Si le succès de Rachline était prévisible en raison des trois communes concquises par le FN dans le Var, celui de Ravier était plus inattendu, tirant sans doute le bénéfice de divisions ayant lassé jusqu'aux grands électeurs.
En ayant créé deux systèmes aussi favorables au carrière de l'un que de l'autre, en jouant les opposants de théatre lors des élections, avant de se rabibocher devant les affaires, en éliminant les menaces de leurs propres camps, Jean-Claude Gaudin et Jean-Noël Guérini ont finalement conçu un système sur lequel le FN a très bien su prospérer. C'est donner trop d'honneur à Hollande que de lui accorder la responsabilité de 25 ans de déliquescence politique locale, orchestrée d'abord par Gaudin en solitaire, puis avec le soutien de son meilleur ennemi ces 8 dernières années...
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