Jean-Claude Juncker entonne des cantiques dans un casino
C’est le Luxembourg qui, avec l’Autriche, a conduit le Sommet européen du 22 mai 2013 à réduire ses ambitions en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Après avoir accepté, le 10 avril, le principe d’un échange automatique d'information à partir du 1er janvier 2015, le Grand-duché conditionne désormais cet accord à l’obtention, par l’Union européenne d’un traitement identique de la part des « paradis » non membres de l'Union (Lichtenstein, Monaco, Suisse, ...). Cette pirouette a valu au Premier ministre luxembourgeois d’être couronné « roi de la manœuvre » par le quotidien web l’Opinion.
Réagissant aux récentes remontrances du FMI quant à la gestion de la crise grecque par l'Union européenne, Jean-Claude Juncker s’est exprimé comme suit, le 10 juin, à Athènes :" Ce n'est pas nous qui avons déclenché la crise, c'est les Etats-Unis, où la crise économique est née de la trahison des principales vertus de l'économie sociale et de marché. Nous avons toujours suivi les gourous et nous sommes dans la situation où nous sommes aujourd'hui. "
Il est vrai que la crise des subprimes a été un détonateur emblématique de la crise. Il est vrai aussi que ce sont principalement des économistes des USA qui ont théorisé le dogme « ultralibéral ». Mais on peut se demander si ce défaussage en règle sur les USA n’est pas aussi un moyen commode de se dédouaner de ses propres responsabilités : en quoi les dirigeants européens étaient-ils contraints de " toujours suivre les gourous " d'outre Atlantique ? Pourquoi nos gouvernants ont-ils mis tant d'ardeur à suivre leurs avis, au point de faire inscrire dans le marbre des traités de l'Union les articles de ce nouvel intégrisme (un exemple : « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites », art. 63 du traité de Lisbonne) ? Si tant de nouveaux convertis, en Europe comme ailleurs, ne s’étaient pas employés à déréguler, libéraliser …, le détonateur américain n’aurait pas mis le feu à tant de poudre.
La réalité est que l'Union européenne, avec le concours des pays membres, a été un disciple soumis et un propagandiste ardent de cette « trahison de l'économie sociale et de marché » que déplore Jean-Claude Juncker. Comment celui-ci pourrait-il l’ignorer alors qu’il aura été à la fois Président de l’Eurogroupe - instance de coordination des ministres des Finances de l’Union - de janvier 2008 à janvier 2013, et ministre des Finances / Premier ministre du Luxembourg depuis respectivement 24 et 18 ans ?
Rappelons que c’est le Luxembourg qui, avec l’Autriche, a conduit le Sommet européen du 22 mai 2013 à réduire ses ambitions en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Après avoir accepté, le 10 avril, le principe d’un échange automatique d'information à partir du 1er janvier 2015, le Grand-duché conditionne désormais cet accord à l’obtention, par l’Union européenne d’un traitement identique de la part des « paradis » non membres de l'Union (Lichtenstein, Monaco, Suisse, ...). Cette pirouette a valu au Premier ministre luxembourgeois d’être couronné « roi de la manœuvre » par le quotidien web l’Opinion.
C’est aussi le Luxembourg qui, en octobre 2008 et toujours aux côtés de la Suisse, avait refusé de participer à une réunion internationale organisée à Paris, à l’initiative de la France et de l’Allemagne, dans le but d’obtenir de l’OCDE un suivi plus rigoureux de la classification des « paradis fiscaux ». Ce même Luxembourg où la « place financière » (46 % du PIB) a détrôné en quelques décennies le charbon et la sidérurgie, et qui figure désormais dans le trio de tête du palmarès mondial du « PIB par habitant », avec un peu plus de 80.000 $ par tête (données 2011, en parité de pouvoir d’achat), soit plus du double de la France, mais aussi de l’Allemagne. Le Luxembourg partage le podium avec le Lichtenstein et le Qatar. Aux uns la manne pétrolière, aux autres la manne financière (c’est d’ailleurs le cas pour toute la tête du classement).
Prêcher le « social » dans ces conditions revient à entonner des cantiques dans un casino.
Dans son audition devant le Parlement européen, le 10 janvier 2013, Jean-Claude Juncker, membre du Parti populaire chrétien social luxembourgeois, avait déclaré : « Je voudrais qu’en Europe on fasse supporter les conséquences de la crise à ceux qui sont les plus forts. C’est ça la solidarité. (…) La dimension sociale est l’enfant pauvre de l’Union économique et monétaire ».
En Grèce, cette semaine, il a placé la barre encore plus haut : « (au sein de l'Union européenne) il faudra que nous réapprenions à nous aimer les uns et les autres. » Vaste programme, à l’accent évangélique. Arrêtons déjà de nous filouter les uns les autres et le reste - peut-être - nous sera donné par surcroît.
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