Jeanne d’Arc au bûcher, et que ça saute !
...Ou l'histoire de France racontée aux sceptiques
En ce jour du 19 Floréal de l’an 224 (ben oui, on est en pleine Révolution que je sache, vous avez vu avant-hier à la Bastille, hein !), sabres et goupillons se serrent les coudes – ce qui est loin d’être un scoop ni une exception historique, nonobstant les directives séculaires des tables de la loi – pour célébrer en grande pompe et sous les ors de la République, dans de longs défilés mêlant sans vergogne les chars blindés et les enfants endimanchés, une pauvre petite bergère Lorraine (avec ses sabots) devenue un foudre de guerre (avec son armure) puis une Sainte Vénérée (avec son auréole).
Bon, déjà, là, dans l’introduction, y’aurait comme qui dirait de gros problèmes, voire des contradictions métaphysiques, que ça ne m’étonnerait pas d’un poil de laine de mouton, et ron et ron petit patapon.
Récapitulons, pour honorer la rime et décortiquer la tradition.
En l’an de grâce 1429 (non non, je ne m’embrouille pas dans les dates, c’est juste la faute à Robespierre, ou à Jean-Luc…) dans son triste château de Chinon, un pauvre petit roitelet sans royaume, dépossédé de son trône tant par de sombres querelles de famille que par les desseins cruels de la Perfide Albion, rêve de faire une virée à Reims parce qu’il raffole du Dom Pérignon.
Coup de bol et merci Bacchus, débarque alors en son fief une jolie jouvencelle, très perturbée (quoique n’ayant encore jamais goûté à la liqueur sus-citée) par des voix célestes lui intimant à la fois de bouter les Anglais hors de France et d’aller faire sacrer ledit roitelet à Reims. Alléluia et soyez bénies les saintes chéries !
Bien qu’elle le ne connût point et qu’il se cachât sous les simples atours d’un courtisan sans noblesse, elle l’apostropha aussitôt en ces termes : « Hé ! Bonjour, Messire de France, que vous êtes joli, que vous me semblez beau ! Sans mentir, si votre ramage ne se rapporte pas à votre plumage, vous êtes le phénix de ce pays sans royaume ! »
A ces mots, le Dauphin ne se sent plus de joie, ne laisse surtout pas tomber cette proie insespérée, et l’entraîne illico presto dans un cabinet secret où « nul ne sut ce qu’ils se dirent ni ce qu’ils se firent ». On rapporta pourtant qu’il en sortit « avec le regard tout illuminé ». Tu parles, Charles ! Tiens, il avait retrouvé son nom… mais la belle, quant à elle, n’y avait rien perdu ! Bizarre, bizarre, comme c’est bizarre.
La suite est plus traditionnelle, et nettement moins romantique : c’était parti pour la guéguerre ! Cette guéguerre des « Châteaux de Loire », menée par « une enfant innocente, gouvernant à la fois le rustre et le soudard », selon le poème malencontreusement imposé en pensum par un Péguy qu’on connut mieux inspiré à des générations de pauvres écolières (sniff) de la douce et sérieuse Orléans.
Puisque nous en sommes aux récriminations, rappelons aussi en passant que cet épisode vaut depuis des siècles aux habitants de la ville une réputation de canidés horriblement acariâtres point du tout méritée, puisque fondée sur un malencontreux contresens linguistique : les fameux « chiens » d’Orléans n’étaient que ceux des canons imposants qui éloignèrent les Anglois dans un boucan d’enfer et donnèrent un sacré coup de mains et de boulets à La Pucelle !
Ah ! Nous y voilà donc ! A nous le MLF, Les Chiennes de Garde (rien à voir avec le canon !), Ni putes ni Soumises, les Femen et tutti quanti : pourquoi faut-il donc que les grandes héroïnes fussent toujours vierges ? Pourquoi, mais pourquoi ?
Pouvez-vous m’expliquer où en serait le monde si les femmes restaient vierges – ou du moins si Eve l’était restée ? Il n’aurait pas dépassé la seconde génération… Ah, il aurait bonne mine, le monde, avec ses arbres, ses prés, ses rivières, ses montagnes, ses couchers de soleil sur la mer calmée et ses sublimes aurores boréales sur la banquise glacée sans personne, personne pour les habiter, les admirer, les cultiver, les naviguer, les aimer ! Vous imaginez le désastre ?
Et on nous avait déjà fait le coup avec Marie : la Bienheureuse Marie toujours Vierge à qui fut donné l’insigne privilège d’enfanter sans pécher ! Vous parlez d’un privilège : à sa place, j’aurais largement préféré pécher sans accoucher, y’a vraiment pas photo ! Et n’oublions pas la bienheureuse Sainte Thérèse d’Avila, dont les récits des jubilations vers le ciel émoustillèrent des couvents entiers de Carmélites, et dont Lacan nous assure que l’expression qu’a saisie Le Bernin sur sa statue, à Rome, ne laisse planer aucun doute sur la nature exacte de son exaltation prétendument mystique !
Et puis Marine est arrivée, Zorro féminin tout droit sortie de son hacienda familiale pour rajouter encore une couche de beau mensonge bien visqueux. Une couche d’obscurantisme, une couche d’antisémitisme, une couche d’islamophobie (oui, là, y’avait aussi la Genest mais elle vient d’abdiquer, ça en fait au moins une de dégommée). Marine avec ses petits cols blancs de vierge excitée qui se mit à aduler la bergère guerrière, devenue le symbole de toutes les haines xénophobes et de tous les massacres passés au nom de la souveraineté nationale et de la pérennité de la race.
Alors maintenant, CA SUFFIT, JEANNE D’ARC et ses fêtes mirobolantes !!!
Sans compter que huit jours de liesses médiévales, ça coûte un max aux contribuables, et que nous sommes en période de grande austérité, l’auriez-vous oublié ? Imaginez combien de SDF, combien de chômeurs, combien de femmes seules peinant à nourrir leurs enfants on pourrait aider avec ces festivités stupidement dédiée à une fausse héroïne ? (Oui, Jeanne d’Arc était un homme, d’abord, c’est François Ruggieri qui nous le dit, sans artifices…)
Les Orléanais, si vous avez vraiment envie de passer une journée sous la flotte (car la météo n’épargne pas plus La Pucelle que François II) pendant que la moitié de la ville regarde pompeusement défiler l’autre moitié, choisissez un autre jour, et une autre femme : je ne sais pas, Louise Michel, par exemple, ou Voltairine de Cleyre, ou Simone Weil (attention, celle avec un W), ou Flora Tristan, dont je vous rappelle au passage que le petit-fils, Paul Gauguin, vécut de nombreuses années dans votre vieille cité. Vous devriez lire, d’ailleurs, l’ouvrage émouvant au titre sublime que leur a consacré Mario Vargas-Llosa : « Le paradis, un peu plus loin »
Oui, le paradis, un peu plus loin, toujours un peu plus loin, mais pour ceux qui veulent le chercher sur cette terre…
Et Jeanne d’Arc au bûcher, en fumée, fissa : c’est bien mieux pour elle, puisque c’est la seule solution pour devenir une sainte !
A propos, vous avez envie d’être une sainte, vous ???
Et si vous en étiez une, vous aimeriez que des chars défilent en votre honneur ???
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