L’histoire qui s’écrit sous nos yeux, abondant toujours dans le même sens (ou non sens), devrait inspirer le petit monde du
Cinéma réuni à Cannes. Ce Festival lui-même, pour être en total décalage avec le contexte social et économique, pourrait alimenter à lui seul le scénario d’une comédie grotesque de mœurs. Fellini serait disposé à revenir tourner en direct du Festival (Jean Yanne songe à « Une heure et quart avant le Diable »). Sa mallette est prête, pleine de feux d’artifices et de tralala maniéré, de soubrettes retaillées sur mesure au bistouri pour correspondre au fantasme masculin actuel (les héroïnes de films pornos devront-elles se dégonfler pour créer une contre-mode ?), de faux gros ventres repus de Gauche caviar, de cigares pareillement démesurés s’évaporant de milliardaires fumistes impeccablement bronzés, de lunettes pour faux soleils masquant les yeux cernés de la débauche gâtée pourrie… Le rayon des écrivains de pacotille et d’animateurs de télévision incultes serait suffisamment fourni sur place. Les étagères restent garnies en permanence de volailles et starlettes prêtes à l’usage. Si Fellini revenait, ne trouverait-il pas que le cirque pipolitique se suffit de plus en plus à lui-même pour remplir grand et petit écrans ?
La première scène verrait un joueur de foot poussif semblant perdu au fond de sa jaguar étincelante de faux riche parvenu, aux bras d’une des collègues de Zahia bardée de diplômes en silicone. Il oserait dire en plan fixe son calvaire de bouclé fiscal contraint de payer des impôts pour toutes ces hordes de pauvres volontaires « assistés ». La notion d’assistance à personnes en danger social serait désuète selon le scénario de la France actuelle.
Au fond de sa carcasse dorée on apercevrait en guise de principe de réalité, une couverture de Presse peopolée titrant sur « Chamakh l’attaquant Girondin convoqué pour blanchiment d’argent sale », juste à coté d’une effigie de Franck Ribéry. La caméra serait alors subitement plantée dans un décor de studio d’une Télévision portant "F1" dans son logo. Un plan de coupe montrerait un monsieur très chic aux cheveux teints en gris-blanc selon le code de la nouvelle bourgeoisie complexée du QI, et pensant faire plus « intello » de par ce style capillaire. Cette séquence ne serait pas sans nous faire penser à un de ces soirs de pré-désignation de candidats à une Présidentielle. Nous repenserions au journaliste demandant à Mitterrand s’il se représente, en 1988. La bande son traduirait un hyper-plan média mêlant des informations radiophoniques permanentes à des applaudissements fournis de Stade. Enfin, nous verrions ce mystérieux personnage rentrer sur le plateau, dans un climat de guerre du Golfe (du goal ?). Le foot serait-il devenu l’actualité à lui seul... ? Le silence s’imposerait comme lors d’un grand moment d’Histoire. L’homme parfaitement maquillé énoncerait alors, telle la liste des membres d’un nouveau Gouvernement, celle de joueurs footeux déjà richissimes, mais sélectionnés pour l’être plus encore lors des jeux du Cirque prochain. Il porterait le nom de Raymond Domenech. Une scène montrerait ensuite une « conf de Presse » citron digne de Madonna. Cet élément s’inscrirait en facteur clé portant sur une trame conçue pour divertir durablement l’attention du peuple, se devant d’oublier la banqueroute possible de notre Pays. La Rome antique et ses gladiateurs existeraient encore, sans les Philosophes. Nous nous contenterions de Michel Onfray dans une apparition fugitive de promotion. Chaque époque a des « penseurs » à son image. Un sélectionneur de Foot est reçu comme un Ministre.
Soudain, un aéroport viendrait remplir l’écran de façon très argentée. Dans un plan, serrée très fort, Michèle Laroque ferait son entrée, les bras chargés de valises débordant de fiches comptables. Un monsieur très distingué au physique de bon élève, ou de frère modèle, lui dirait alors à l’oreille « je t’offre impôt ? ». A cet instant, une voix off préciserait qu’il est Ministre, en charge du budget. En fondu de canard enchaîné, le zoom insisterait un instant sur un amas de poubelles diverses. Au milieu, nous apercevrions le visage d’un être humain, la tête posée sur une vieille paire de chaussures. Il serait donc ce pauvre là, inimaginable pour la confrérie Royale de la Croisette ou de l’Elysée. Un pauvre ? Nous pourrions l’entendre écouter sur sa vieille radio enrouée comme lui-même, un journal d’info, un de ces montages allégés qu’on jette au peuple comme les graines aux pigeons. La voix off suppléant alors au son précaire de la petite radio énoncerait « 12 millions de gens au seuil de pauvreté en France, 5 à 6 millions de chômeurs tous trafics de chiffres confondus, 2 millions d’enfants ne mangeant pas à leur faim … ». Toute la Croisette devrait verser une larme, de champagne.
La nuit tombant bien bas, nous retrouverions le personnage du footeux. Il regarderait une émission de Téléréalité, ou un JT, les deux se confondent de plus en plus. La présentatrice serait refaite à neuf, comme celle à qui il tiendrait la main bronzée jusqu’aux ongles. Rapidement, le film viendrait rebondir étonnamment, comme dans une affaire Elf ou Clearstream, ou d’argent sale de campagne électorale Balladurée. En plein écran nous partagerions alors un moment rare, unique, à l’image de ceux qui distinguent le cinéma de la réalité. Ces choses qui n’arrivent jamais. Sur une estrade d’or dur de Cannes, un Président apparaîtrait en multi-coupes, du jamais vu, notre Président ! Il viendrait annoncer la sueur et les larmes au peuple clamant « que la prime annuelle de survie de 500 euros pour les vilains chômeurs en fin de droit et celle de 150 euros pour les foyers coupables d’être pauvres, seront supprimées », comme l’a été la prime de Noël dans le département le plus riche d’île de France. Le footeux apparaîtrait alors sur l’écran souriant de toutes ses fausses dents trop blanches pour être honnêtes. Sur l’écran plus plat que jamais de la Téléréalité officielle, on entendrait son jumeau politicien déclarer « il n’est pas exclu que la CSG et la RDS soient retirés des exonérations du
bouclier fiscal ». Sa compagne média-siliconée lui chuchoterait à sa grande oreille sourde à la Misère « les niches et les paradis fiscaux demeurent inchangés, soyons rassurés amis riches ! ». Du Fellini, en vrai.
Dans ce film, un courageux Sénateur nommé Jean Arthuis, exemplaire de l’Esprit des Lois, traverserait alors l’écran pour affirmer que ce fameux bouclier fiscal est en effet « totalement injuste ». Il serait précédé par un courageux Député nommé Pierre Lellouche. D’autres bientôt feraient de même. Le scénario prend un tournant politique inquiétant.
Nous comprendrions enfin que cette France là, celle de l’outrance aux plus fragiles, celle de la compromission mutuelle du sexe et de l’argent dans les milieux servant de modèles aux jeunes, celle de l’inacceptable et de l’impensable pour nos grands parents, que cette France là ne peut plus durer. La fin du film viendrait juxtaposer le « personnage » dormant ivre de misère à même le sol et celui du footeux milliardaire au visage couvert de couches d’égoïsme démesuré auto bronzantes. Sur un écran du Majestic (l’on parle de 38000 euros la nuit pour certaines suites ?) on entendrait alors un patron de FMI (salaire mensuel trop inconcevable pour être connu) déclarer « la dette explose dans tous les pays d’Europe, un rééquilibrage devient urgent ». Aux pauvres de rembourser.
Assurément... loin de la Téléréalité quotidienne officielle se fondant ces jours-ci dans le Royal « cinéma » de la Croisette, un rééquilibrage est indispensable face à un Pouvoir pourtant initialement élu pour agir dans l’intérêt général. Un plan-séquence de « rigueur » morale s’impose. Alors que toute l’actualité récente repose sur les égarements de personnalités ou clans privilégiés, comment peut-on encore hésiter à mettre davantage le Capital Boursier à contribution, et non plus seulement le travail ou ce qu’il en reste ?
Le fameux « bouclier » armant les plus forts devait ramener les grandes fortunes au bercail. Outre Madame Laroque, chargée de sauver la crédibilité de l’image Gouvernementale, il n’en est rien. La solidarité ou le sens du sacrifice des amis du Pouvoir n’iraient donc pas jusqu’au portefeuille. Une politique de relance (primes pour l’emploi, soutien à la consommation des plus modestes) permît de traverser la première phase de la crise. Pourquoi inaugurer à présent un plan de rigueur en frappant d’abord les plus fragiles ? Après le bouclier fiscal, la camisole sociale en guise de rigueur ?
Pour le festival « off » de la ville ouvrière de Cannes, le Pouvoir actuel serait en tête des favoris pour son record de production de Lois inappliquées et mises en scène avec un brio et sens de la « com », inégalés jusqu’ici. Une palme d’honneur n’est pas exclue pour une pratique exceptionnelle de la politique Spectacle, dans une réalisation finale admirable en effets people spéciaux.
Loin des fastes de la Croisette laquée de paillettes ridicules, le « cinéma » de la Politique ne mérite décidément plus d’avance sur recette du Peuple français.
Quoi qu’il en soit, l’impôt est aussi la marque d’une société civilisée et solidaire. Que chacun y contribue par son travail (pour peu qu’il en ait un), mais aussi pleinement par son Capital, sur la Croisette ou ailleurs. Et que la politique s’éloigne du milieu du Spectacle.
Après le fameux bouclier fiscal, n’enfermons pas les plus pauvres dans une camisole sociale !
Un plan de rigueur, morale aussi, ne saurait les frapper en tout premier lieu.
Vraiment, les jeux de rôles sur la Croisette du Politique deviennent plus indignes que jamais, dans cette phase de banqueroute et de chaos social.
Guillaume Boucard