Jour de colère !
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« La France d’en bas, celle qui ne vote pas parce qu’elle ne comprend rien aux discours politiques plein de phrases et de périphrases, celle à qui on peut faire dire n’importe quoi, cette France ne se rebelle pas encore, mais...
Elle ploie sous sa misère, ses préoccupations : manger, survivre, calculer, essayer…
La France qui se sent coupable, alors, qui n’ouvre pas la bouche, la France qu’on a RENDU coupable en lui serinant qu’elle profitait du système, qu’elle n’était qu’une bande de fainéants, sales, fumeurs et alcooliques !!!
Cette France-là qui est aussi tout un électorat en puissance dont personne n’a conscience...
A vous tous, Hommes et Femmes de droite, de gauche, de tous poils et de tous bords, ouvrez les yeux, les oreilles, sur tous ces gens dans la misère, qui peuvent comprendre, qui peuvent participer à la construction de la France de demain !
Arrêtez de nous prendre pour des débiles, ignares, incultes, assoiffés de télé, de bières, de bagarres !
Apprenez nos vies, nos envies !
Ecoutez nos cris, nos colères !
Entendez notre espoir, notre courage, à nous pâles témoins de la rigueur de notre sort.
Ne nous donnez pas de la crainte et de l’horreur, nous ne sommes ni plus funestes ni plus terribles que vous, juste, peut-être, un peu plus tristes. »
Patricia Lecoq, le 08 septembre 2010
Allons bon ! Les chiffres tombent : 1,5 million de manifestants pour la férule sarkozyste des médias ; 2,7 million pour ceux qui ont essayés, via les images satellites, les décomptes dans la rue et autres, d’en établir objectivement le compte…
C’est ainsi ! Radio Sarkozy greffe toujours ses résultats sur les désidératas du Médef !
Et Copé aligne les litanies mensongères ordinaires de l’UMP-Sarkozy sur les retraites.
Il répète 15 fois : « plus de sous-sous pour les financer » (sur un ton affirmatif) ;
Il répète 7 fois : « vous savez la moyenne d’âge en espérance de vie a augmenté » (sur un ton condescendant) ;
Il répète 12 fois « tous les pays européens ont réalisé la même réforme » (sur un ton informatif) ;
Il affirme une fois « on peut parler de la pénibilité » (sur un ton dégoûté)…
Moi je me prépare.
Petite toilette en prenant soin de pas utiliser trop d’eau (le coût du précieux liquide a encore augmenté : il faut bien que les plus riches augmentent leurs bénéfices !).
Petit déjeuner frugal : café (commerce équitable), pain sec… Un peu de confiture qu’un copain m’a offert : du vrai bio !
Je mets les mêmes fringues qu’hier… Je les laverai à la main cette après midi s’il fait soleil… Sinon j’attendrai !
Mon fils, 15 ans, ne parle pas, soucieux. Il est prêt pour partir au collège. Il écoute la litanie des infos indispensables : « chiffres du chômage en baisse » « Mireille Mathieu va collaborer avec la justice russe » « deux buts à zéro » « les scènes tournées par C. Bruni pour le prochain film de Woody Allen seraient coupées au montage » « bzzz… bzzz… »…
J’entend encore la voisine d’en face. Elle s’engueule, comme tous les jours à 7h45, avec son mec. A midi ils seront bourrés. 7 ans de chômage. 7 ans de galère. Occasionnellement ils bouffent un bon steak : quand elle a passée la soirée avec l’affreux de l’appartement 412 !
Mon fils m’embrasse… Je lui lance un vague « bon’ journée Baptiste ! ». Il sourit. Un gentil garçon !
Maintenant je dois faire vite… Je glisse mes pompes fatiguées et descend quatre à quatre les trois étages de mon HLM sans ascenseur…
La CAF n’est pas tout prés de chez moi, les cités pour miséreux sont reléguées sur la périphérie. Pas de bus - ils ne desservent que les quartiers respectables… Municipalité UDF ça va de soi !
Lorsque je pousse les portes il est 9 heures. 40 personnes sont assises, grises. Je prends mon numéro d’appel. Silence lamentable. L’ambiance est lugubre. Ca sent la sueur ! Les idées noires tournent dans les têtes !
Pourquoi ont-ils suspendu mon RSA ?
Je m’en suis rendu compte hier soir, fortuitement en regardant mon compte sur l’ordinateur… Vide. Rien ! Nada ! Pourtant habituellement, au 4 ou 5 de chaque mois mon compte s’enfle heureusement des 570 euros qui me sont généreusement alloués par l’état au titre de Revenu de Solidarité Active (RSA)… Le RMI (Revenu Minimum d’Insertion) d’antan ! (Il fallait en changer le nom puisque Mitterrand en était à l’origine…)
J’ouvre un bouquin de Bellemare en attendant… J’aurai préféré Sartre, Vian, Marx, Weil, (la philosophe), Couté… Mais ici même Mauriac est absent des travées de la bibliothèque municipale !
Non je n’arrive pas à lire…
Voilà presque trois ans que je suis au chômage. Avec ses rites, ses habitudes..
Les convocations au Pôle Emploi… Obligatoire chaque mois. La jeunette ne jette pas même un œil sur la liste des emplois que tu as démarchée. Elle ne te la demande même pas. Là aussi les effectifs ont baissés, la charge de travail augmentée…
Avant ?
Avant j’avais enfin trouvé un job… Un truc provisoire. Un CDD administration dixit…
Des enquêtes, des sondages. 1200 euros, prime de précarité et même congé payé.
Le rêve ! Un truc presque normal quoi !
J’avais pu rembourser mes dettes, mes crédits.
Il ne me restait pas grand-chose pour vivre mais Jo mangeait enfin à sa faim ! Le bonheur !
Je croyais. Je me trompais !
Au sortir de cette période, mon compte s’est très rapidement vidé.
Des excès ? Oh non !
Je n’avais pas travaillé assez longtemps. Pas droit au chômage ! Pas de RSA versé ! Pendant trois mois….
Le pire : j’avais bien signalé à la CAF que j’avais de nouveau trouvé un emploi.
Mais ces crétins m’ont versé le RSA à taux plein (et non pas le RSA de complément) !
J’ai donc dû rembourser 600 euros ! Au moment où il ne me restait plus un rond !
La déche, l’endettement !
J’ai pris un rendez-vous avec une assistante sociale.
Elle m’a reçu dans son joli bureau tout neuf.
Jeune, jolie, sans doute fraîchement émoulue de ses grandes écoles elle me prie de m’asseoir.
J’obtempère.
Elle me demande quelles sont mes charges, mes rentrées d’argent. Et je lui dit qu’il ne me reste que 30 euros pour faire le mois.
Dans un sourire gracieux elle me dit : « Bon, ben ça devrait aller, c’est suffisant pour un mois ! »
Et généreusement elle me donne quelques bons pour aller chercher de la nourriture à la banque alimentaire… Mais ils ne seront valables qu’un mois et demi plus tard, évidemment ! En attendant que dalle !
Il faut sauver les apparences : dans notre belle société capitalistique on ne doit pas mourir de faim…
Et puis les dames patronnesses, madame Sarkozy par exemple, ne sauraient plus quoi faire si elles n’avaient plus leurs pauvres…
Belle perspective que de vivre avec un euro par jour !
Ne vous inquiétez pas braves gens !
Et comment m’en suis-je sortie ? Mes amies, celles qui sont comme moi dans la dèche plus profonde, ont partagées leurs maigres réserves... Et l’on fit ensemble des repas de Roi !
Numéro 31 !
Plus que neuf personnes… Hommes et femmes.
Celles là sont comme moi. Elles se sont déplacées à pied.
Elles ont sans doute des enfants à charge.
Elles ont le regard usé !
L’ai-je aussi ?
L’attente est longue : 10 h40…
Je me souviens.
Cette réunion « RSA »… On est assis autour d’une grande table.
L’exposé est banal, ennuyeux sans conviction.
« Avez-vous des questions ? »
Les regards usés ne réagissent pas. Silence.
« J’ai une situation à décrire ! »
Je ne sais pas pourquoi mais ça me fait du bien de parler de cette période où j’ai travaillé … Ou j’ai crû m’en sortir…
Et puis décrire la galère qui en a suivi !
Demander enfin s’il est humain que d’affirmer que l’on peut vivre, ici, en France, avec un euro en poche par jour… Avec un enfant à charge !
Les regards se redressent.
Et la meneuse des débats pincée (encore une minette pomponnée qui rit aux éclats avec ses amis au sortir du travail) parle :
« Ce que vous nous racontez là est hors sujet. C’est l’exposé d’un dossier individuel ! Nous sommes ici pour discuter des démarches administratives, des généralités de la CAF"
La révolte, la rage gronde dans mon cœur…
Qu’ont-ils donc à vouloir tous servir ce système qui les anéantis, les broie, les rend aveugles et égoïstes ?
Le 40 !
C’est mon tour.
Encore un bureau propret.
Encore une jeunette chemisier, jupe, rouge à lèvre…
Encore les mêmes questions.
Encore les mêmes réponses.
« Tiens, c’est vrai, on ne vous a rien versé ! »
« Tiens, c’est vrai on ne vous a pas fait parvenir le dossier n°241573, c’est bien dommage ! »
« Tiens, c’est vrai vous risquez d’être radié du RSA ! »
« Tiens c’est vrai vous avez aussi un enfant à charge »
« Mais vous savez on n’y peut rien … C’est le système informatique »
Encore l’informatique !
Mais il fonctionne toujours, comme par enchantement, quand je « leur » rends visite !
« Ne vous inquiétez pas, votre versement sera fait d’ici quinze jours »
Entre temps je vivrai encore avec un euro par jour !
Retour.
Je prépare les spaghettis, sans gras, sans sauce, des jours heureux !
Baptiste me regarde.
La radio ronronne : « Le CAC est en progression de… points dans un marché qui a échangé 3557 milliards d’Euros » « Nicolas Sarkozy est attentif aux préoccupations des grévistes … pas question de revenir sur la réforme des retraites… » « 210 millions d’euros pour Bernard Tapie… préjudice moral » « accord pour régler l’affaire des emplois fictifs à l’époque Chirac….le projet de remboursement, avec une facture de 2,2 millions d’euros au total… »
...
Hé ! Vous !
Quand les réalités seront-elles à l’ordre du jour ? Qui va parler des gens qui se disent quotidiennement « Ben quoi, j’ai rien dans le frigo, comment vais-je faire aujourd’hui ? » Qui va voir ces pauvres gens concrètement ?
Nous on vit mal et vous vous en foutez.
Nous on n’a pas envie d’être riche !
Nous on veut vivre simplement, décemment, écologiquement en pensant aux autres !
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