Journal d’un BAC+5 SDF #119 (« Passeport Locatif »)
Dimanche 25 Août 2024
Il est 1h30 du matin et Jordan a le culot d’appeler à l’aide sa camionneuse « Harley » qu’il avait décommandé quelques jours plus tôt à cause de la chaleur. Il devait lui faire faire un peu d’exercices de remise en forme. Elle pourrait lui refiler une tente plus grande.
Après avoir rangé mes affaires, « Dany » part faire une ronde avant le retour de la pluie. En chemin vers ma tente je remarque Jordan en train de se bagarrer avec la sienne. Si j’ai bien compris il avait peur qu’elle s’envole alors il l’a fait s’affaisser, et maintenant qu’il souhaite tout de même y retourner (puisqu’il été question qu’il passe la nuit dans la salle commune), il tente un redressement de sa tente tant que faire se peut. Je vais déposer mes affaires avant de revenir voir comment ça se passe, et « Dany » rapplique également. La pluie recommence à tomber alors il faut se hâter. Malgré toutes ses tentatives, il n’a réussi à rattacher qu’un seul des deux arcs qui soutiennent les bâches. Bon, techniquement il n’en a même pas besoin s’il est dedans, il n’y a aucun risque qu’elle s’envole, mais soit… Il retourne dépité à la salle commune et nous nous séparons là.
Je trottine jusqu’à ma demeure 5*, sous la pluie qui s’intensifiait et m’engouffre dedans aussi vite que possible. La tempête reprend dehors, mais là je suis au sec. Et encore, quand je parle de tempête, c’était vraiment de la gnognotte comparée aux précédentes.
Ce matin le camping semble presque vide. Mais ça se comprend. Demain commence une nouvelle semaine, donc pas mal de monde a du rentrer, contraint-forcé.
Sacrée surprise, je remarque un mégot de cigarette dans la poubelle des wc… qui est remplie de sèches-mains en papier. Ce doit être un intellectuel de haut niveau encore. Comment peut-on en arriver là ? Je me le demande.
Carène porte un petit chemisier bleu marine à fleurs aujourd’hui. C’est la première fois que je la vois ainsi. Elle a peut-être un rendez-vous galant après son travail. Elle essuie les tables de la terrasse encore recouverte d’eau de pluie. Le parasol géant est à nouveau déployé. Ensuite elle entre faire pschit-pschit sur les tables de la salle commune et rafraîchi le micro-onde. L’odeur est agréable mais pas forcément adaptée au repas que j’allais consommer maintenant. Mais c’est vrai que j’y suis pour quelque chose, il est déjà 13h et je n’ai rien mangé depuis la veille à 19-20h.
Celle qui a trouvé un logement à Jordan est de retour au camping. Pour le voir évidemment. Ils reparlent de ce qui s’est passé cette nuit. Ensemble ils ont aussi déplacé sa tente de l’autre coté du camping, il avait besoin de changer d’air et un emplacement plus petit lui convenait mieux.
Une maman, son fils et sa fille jouent avec une balle sur une table de ping-pong. Le petit garçon fait face aux deux filles, tout seul, et il se défend bien.
« Vous être là toute la journée ? » me demande une petite mamy. Quand je lui répond, oui, presque, elle continue par « Vous êtes le gardien ? » Ah quand je dis qu’il faudrait que je me fasse payer. En fait je fais déjà des rondes chaque nuit en plus.
Pour la première fois que je suis là j’ai vu une petite fille faire des dessins dans la cour de sable, juste avec un bâton. Dans le temps on s’amusait de la sorte, sans avoir besoin d’objets technologiques.
18h20 Toute la famille d’hier revient, le mari, la fille et le fils de la femme qui s’agglutine à Jordan.
Un peu plus tard les deux parents fument une clope sur la terrasse alors que Jordan joue au ping-pong avec les enfants.
Plusieurs petits vieux ont amassé un gros paquet de branches en prévision d’un grand barbecue.
Toujours pas de réponse de l’agence immobilière qui semblait indiquer que la retraite de mon père suffisait en tant que garantie pour louer… Mais nous sommes dimanche, donc il fallait s’y attendre. Mais dans ce cas pourquoi aucune autre agence ne l’a considéré ? Exaspérant. Et dire que j’ai assez d’argent de coté pour louer pour plus de 10 ans et qu’on me dit prout.
Je sais bien que potentiellement je peux tout claquer au casino demain et me retrouver sur la paille, mais c’est aussi con que de requérir un CDI alors qu’une faute grave ou un plan social et une dépression menant au casino n’est pas forcément moins probable. Bientôt nous allons devoir passer des tests psychologiques pour candidater à la location… Pour accompagner le futur « Passeport Sanitaire » ou pourra tenter d’avoir un « Passeport Locatif » pour candidater à un des rares logements disponibles. Sinon ce sera tente comme tout le monde, vous n’aurez rien mais serez heureux, n’est-ce pas ? On redescend vers le tiers Monde ou pas ? Les politichiens doivent avoir le moyen de leurs ambitions.
A part ça, j’aperçois encore une lumière au bout du tunnel. Un petit logement, sans agence immobilière. Le dossier locatif a été envoyé, un rendez-vous possible en fin de semaine prochaine, je croise les doigts. Idéalement je profiterais de « Dany », qui fait de toute façon le trajet, pour l’accompagner lorsqu’il rentre chez lui, et le samedi soir lorsqu’il retournera travailler au camping. Le plan est parfait. Il ne reste plus que je sois accepté par le/la propriétaire (il me semble que c’est une femme). Et là tout s’enchaînera vite, je pourrais emménager début septembre. Le rêve. Un lit et un appartement meublé. Pas de fibre mais l’adsl, pas de baignoire mais une douche, pas de grande cuisine, mais une unique plaque et pas de four… Je ne vais même pas pouvoir cuisiner mes plats préférés. Quelle tristesse. Mais j’aurais des murs et un toit pour survivre à l’hiver qui approche.
Un autre logement vient d’être loué. Snif… Il était mieux, plus grand, avec fibre et baignoire, mais aussi plus cher, dommage…
Yves m’a dit hier « à demain », mais il fait déjà nuit et il n’est pas passé. Je pense que c’est trop tard pour aujourd’hui.
A coté des barbecues désormais éteints il y a presque une dizaine de « seniors » attablés qui discutent dans la pénombre, maintenant que leur repas a été ingéré.
Que c’est calme aujourd’hui. J’ai quasiment passé la journée sans me faire importuner. Ca change de ces dernières semaines où je pouvais difficilement avoir plus de 30min de suite sans interruption, brève ou longue.
Il suffit que j’ouvre ma grande gueule, ou plutôt que je tapote cette phrase qu’un couple entre pour manger.
Un peu plus tard deux petits vieux, dont une femme qui est déjà venue, s’installent devant la téloche. Vont-ils réussir à l’allumer ? Ils étaient un peu trop impatient, mais au final ça marche. Tant mieux pour eux, tant pis pour moi.
Jordan est épuisé. Il en a marre de cette femme et a essayé de lui faire comprendre, et à son mari aussi qui faisait le jaloux. Elle a l’age de sa mère qu’il lui dit. Et moi je lui rétorque qu’il m’a dit qu’il préférait les femmes plus âgées, et puis il y a le syndrome d’œdipe…
Il en a dessoucis avec les femmes. En ce moment il en a deux dans le collimateur : une beurette avec de gigantesques seins, et un très jolie blonde aux yeux bleus. Il vise en priorité cette dernière, qui habite tout proche en plus. Là il essaie de les appeler, mais ça ne décroche pas… Du coup en attendant il regarde des vidéos. Probablement de lui-même. Est-ce du « bon » narcissisme ?
Je lui dit que ce n’est pas l’heure pour les appeler, elles sont probablement installées devant un film ou une série. Mais il est en manque d’amour et a besoin d’un câlin. Miooooo la pauv’ p’tite bête ! Ayez au moins un peu de compassion !
Il compte maintenant jusqu’à 10, et si sa cible 5* ne décroche pas il va se rabattre sur la femme 2* plus accessible.
Je lui dit que si ça se trouve elles sont copines toutes les deux et que c’est leur petit jeu pervers de le faire mariner comme ça.
Trop marrant, en fait il s’est trompé de numéro, il leur a envoyé le numéro d’une de ses potes au lieu du sien… Du coup c’est Elodie, la femme qui le nourri, qui a reçu les messages de ces femmes… Elle va être vexée et risque de se venger. Attention à la bouffe contaminée…
Je ne vois presque plus David ces derniers temps. Il semble aller mieux, il n’a plus besoin d’extérioriser ses démons, en tout cas en me parlant.
Jordan a fini pas joindre sa cible et ils ont communiqué pendant plus d’une heure et quart. Elle est méfiante, et ça lui plaît. Elle est gitane, comme lui.
Il est censé maintenant aller tester son tout nouveau matelas gonflable dans sa tente nouvellement installée sur un nouvel emplacement plus au Nord. Mais il remet ça sans cesse à plus tard, alternant coups de téléphone, messages, vidéos, clopes, poses pipi, boissons et discussions avec moi, parfois plusieurs choses à la fois. Je vous laisse imaginer.
Ca y est, 00h40, il termine d’envoyer ses derniers mots doux et s’en va se coucher. Je me moque de lui qui part avec un petit pot de chambre, à son age. En fait c’est sa boîte de tabac. Elle est même déjà parfumée. Mais bon, qu’est-ce qui pue le plus, entre les excréments et le tabac ? Vous avez 4 heures.
Il est déjà 1h, et dans la précipitation hier j’ai carrément oublié de vous souhaiter de passer une bonne nuit… Mes plus plates excuses. Bon courage pour cette nouvelle semaine qui commence, et pour la rentrée des classes qui se profile. Faites de beaux rêves et puissiez vous vous réveiller en forme et de bonne humeur. Il paraît que ça peut être contagieux, par mimétisme social.
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