Journal d’un BAC+5 SDF #122 (« Nous, les gitans avons des principes, pas comme les roms ! »)

Dur dur de m’extraire de mon sac ce matin, malgré les bruits ambiants qui m’empêcheraient de toute façon de dormir. Au moins il fait beau et chaud, mais pas trop. Sitôt mon déjeuner absorbé, je termine ma bouteille de jus de pommes qui finira ses jours dans le bac à verre.

 

Aucun mail pour les possibles visites de samedi.

 

Bon ben, en avant pour mon rendez-vous !

En sortant du camping je me fais dépasser par une magnifique joggeuse délicieusement proportionnée, sa queue de cheval dorée fouettant l’air à chaque petite foulée. Je la regarde s’éloigner petit à petit.

Une fois arrivé on rempli le papelard à la noix mais… Car il y a forcément un « mais »… L’autorité signataire du document n’étant pas là aujourd’hui, je vais devoir y retourner demain… La joie, sachant que j’avais déjà plus d’une heure et demi de marche (aller-retour) jusqu’à l’Armée du Salut. Ca va être une journée épuisante, surtout qu’il va y avoir du Soleil. Là c’est facilement 45 minutes de plus à ajouter. Je vais arriver à mon deuxième rendez-vous dégoulinant et haletant, ils vont me prendre pour une bestiole et me chasser en gueulant… Punaise, sérieusement, l’Armée du Salut quoi… qu’est-ce que je vais y faire sérieusement ? Si j’y gagne une place j’aurais toujours l’impression de l’avoir prise à quelqu’un beaucoup plus dans le besoin que moi…

 

De retour au camping, j’ai apparemment échappé au gros de la journée « tonte ». Il ne reste plus beaucoup de machines bruyantes en activité.

 

Jordan a trouvé le célèbre « Tortue Géniale » dans le camping, et a réussi à prendre une photo avec lui. Ce dernier n’a tout de même pas partagé sa collection de petites culottes. Oh pardon ! De petits mouchoirs…

 

Une employée du camping vient aux nouvelles. Elles se font toutes du soucis sur ma situation. Le fait que les logements sociaux soient captés par des étrangers le met hors d’elle.

 

Jordan s’amuse en tapotant son flanc de la paume de la main « Paf ! Paf ! Paf ! ». « C’est le bruit qu’elle va faire quand je vais l’éclater. » Quel poète.

Il vient d’apprendre qu’elle va avoir une heure de retard facilement. Elle s’est préparée longuement, s’est coiffé pendant 20 minutes et maintenant elle doit faire la queue pour chercher de l’essence afin de venir. « Je crois que je vais divorcer » chouine Jordan qui fait les cent pas depuis un moment. Il ne peut pas s’empêcher de cramer une clope. Mais grâce à moi il se souvient de mastiquer un chewing-gum avant son arrivée.

 

Tiffany (« Tif »), la femme que vient rencontrer Jordan a aussi plein de tatouage. Elle est gitane comme lui. Il lui tard qu’elle arrive. Il va bientôt finir sa boîte de bonbons. « Beaucoup de gens confondent les Gitans et les Roms. Les Roms c’est des sales-races. Beaucoup aiment manipuler, tricher, voler… Nous, on a des principes. » Enfin bon, juste après il me raconte qu’elle se faisait battre par son ex.

 

Ca fait deux jours qu’il n’y a plus de papier toilette dans la plupart des wc, ni d’essuie main. Aujourd’hui c’est totalement vide partout… Bientôt certains vont dessiner des fresques sur les murs.

 

14h40 Ca y est, la demoiselle est là. Elle n’aime pas le tabac et pourtant Jordan la reçoit une clope à la main. Elle tousse fréquemment. A cause de la fumée ou pour cacher son stress comme Jordan ? Ils se sont installés à la terrasse où ils sont les seuls.

 

Mal au crâne, je vais m’allonger prêt d’une heure. Mais il fait chaud, ça n’arrange rien.

 

En revenant je me dirige faire les toilettes pour m’y rafraîchir un peu (il y a même des rouleaux de PQ maintenant) et je vois au loin deux silhouettes torse-nus sur la terrasse, dont une m’a fait penser à Josua. Lorsque je reviens, la tronche toute mouillée, il n’y a plus personne.

 

Jordan et sa copine non plus ne sont plus là. Il voulais l’emmener dans les vignes pour regarder le panorama au-dessus de Guebwiller-Issenheim.

 

Un garçon se fait couler un chocolat chaud à la machine mais je dois l’aider à retirer son gobelet, qui tentait vainement de se cacher derrière la fenêtre transparente en plastique. J’en profite pour lui expliquer que le contenu des frigos appartient aux visiteurs du camping, car il semblait vouloir s’y servir, contre quelques pièces de monnaie.

 

Un gros insecte noir s’éclate en rebondissant contre le plafond en faisant plein de bruits agaçants.

 

Une femme met un genre de truc en plastique bleu, contenant probablement quelque chose dedans, dans le micro-onde. Et puis elle le chauffe, encore et encore, et se brûle l’entraînant à jurer. De biens vilains mots.

 

Il fait bientôt nuit et Jordan n’est pas encore de retour. Alors soit ça a mal tourné et il s’est enfui en laissant un cadavre derrière lui, soit ça se passe super bien et qui sait, peut-être qu’elle va le ramener chez elle pour s’amuser un peu plus encore.

 

Bon, toujours aucun mail ni sms pour samedi…

 

Yves n’a plus non plus montré le bout de son nez depuis quelques jours déjà, alors qu’il m’avait dit « à demain ». Ceci dit il prononce ça à chacun de ses départs ou presque. J’espère qu’il va bien et qu’il a fait de plus amples connaissances avec les autres habitants de son immeuble.

 

David vient de rentrer. Sa mère lui a donné des confitures maison qu’il s’empresse de ranger au frigo. « Faut pas que quelqu’un mes les prennent ! » Il a trop chaud alors va manger sur la terrasse une petite salade aux cervelas il me semble.

 

Ca ose tout les araignées… Il y en a une qui a tissé sa toile sur le chaise juste à coté de moi, là où trône mon sac… Une belle bête en plus.

 

« Je ne vais pas faire de vieux os. Dur journée... » C’est sur ces derniers mots que David a quitté son écran pour aller se coucher.

 

Juste après Jordan débarque tout sourire ! A croire qu’ils se coordonnent pour venir l’un après l’autre. Avec Tiffany ils sont allé dans les vignes mais vu qu’il faisait trop chaud, ils sont retournés en ville, boire un… coca… et puis ensuite elle l’a invité à manger. Elle est maniaco-dépressive… dès qu’elle voit quelque chose de sale, elle doit le nettoyer ou le jeter.

Du coup, pour tester ses sentiments, je lui ai proposé qu’au prochain rendez-vous il y aille tout crade. Comme ça soit elle lui dit merde et s’en va, soit elle va le nettoyer sous la douche… Le plan est parfait mais Jordan n’a pas encore approuvé.

En tout cas il est fan. Elle est toujours très méfiante et pas tactile du tout. Ils n’ont même pas échangé un petit bisou. C’est la première fois que Jordan rencontre une femme comme elle, qui n’est pas directe à « l’essentiel ». Il est prêt à prendre son temps pour elle.

Par contre cette dernière semble outrageusement jalouse de toutes les femmes qui tournent autour de lui et qui le suivent et commentent ses réseaux sociaux.

Jordan n’en peut plus, il est en manque, il lui faut son tabac et son CBD. En fait il joue au fort avec ses muscles, mais en réalité c’est un faible qui panique et ne peut vivre sans ses addictions. Il se prélasse alors sur le canapé pendant que son téléphone charge, parce qu’il oublie à chaque fois de lui donner de l’énergie. Il ne pense qu’à lui !

Pour finir sa journée ce sera un petit café et une dernière cigarette avant de rejoindre son matelas gonflable.

 

De mon coté je termine les affaires courantes et ne vais pas tarder non plus à « rentrer chez moi ». Bonne nuit tout le monde.