Journal d’un BAC+5 SDF #69 (Ah oui, un jour chaud et humide... hum)
Samedi 6 Juillet 2024
Quelques timides étoiles brillaient dans la nuit noire. Un gros insecte rampant rôdait proche de la tirette de ma tente. En fait, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit il y a toujours des bébêtes se baladant sur ma tente. Depuis le temps elles devraient comprendre qu’il n’y a rien à manger ici.
J’émerge et arrive à la salle commune avec mes affaires juste avant la pluie. Je branche donc mon ordinateur et me prépare à travailler lorsqu’une soudaine éclaircie arrive. J’en profite pour aller faire quelques courses puisque mes réserves ne suffiront plus pour le week-end, ayant nourri le bon vieux Yves affamé. Je trouve une tarte aux citrons qui a l’air délicieuse, et puisqu’il n’y en a qu’une seule ça me fait mal pour les autres qui ne pourrons pas y goûter… Mais les nombreuses fois où j’inspecte le rayon sans en trouver, j’étais déjà sans doute à leur place.
Le trajet du retour était particulièrement plaisant, il faisait bon 16-18°C avec un vent agréable, pas celui qui charrie un air glacial pour congeler les tympans, engourdir les membres, piquer les yeux et faire couler les narines, non, pas du tout. Mais un air tiède et réconfortant alors que le ciel rempli de nuages sombres s’apprêtait à se déchaîner. Du genre « le calme avant la tempête », c’était plutôt ici « le foehn avant l’orage ». Tout juste le temps de rentrer que la pluie tombait. J’avais pensé à mon K-way au cas où de toute façon.
C’est le jour du nettoyage des vitres, alors qu’il pleut, drôle d’idée.
Ca tombe bien. Il y a même de l’eau qui entre par la porte ouverte de la sale commune. Je la ferme et remarque qu’il reste encore des traces de pieds juste derrière. Ca date d’il y a quelques jours, lorsque le gars de la maintenance de la chaudière est entrée avec ses pieds couverts de suie.
La dernière employée vêtue d’un ciré vert fluo nettoie les tables et la porté d’entrée tout en discutant au téléphone.
Et il pleut, encore et encore.
Malgré tout Dag est arrivé protégé d’un parapluie et ses sacs remplis de batteries à faire recharger. Il n’a pas dit un mot, tout au plus un son étrange lorsque je l’ai salué. Sitôt ses instruments branchés il est repartit.
Yves est aussi là, il a très mal dormi, pour sa première nuit dans son nouvel appartement, sans meuble, et donc sans lit et sans matelas.
Silence radio, ou plutôt silence internet au niveau de l’agence de recrutement pour le travail à Lentilly. J’ai passé avec succès l’entretien préliminaire, les 2 tests en ligne et maintenant j’attends… Il n’y a pas à dire, c’est formidable.
Le logement que j’avais réussi à dénicher a finalement bel et bien été capturé par quelqu’un d’autre, tout ça à cause de la lenteur de ce système. J’aurai l’air con si finalement l’entretien se passe et que je suis embauché : je n’aurai aucun logement… mais j’aurais payé le train et l’hôtel… pour rien.
Mais ça c’est si la femme de l’agence revenait de vacances(?), de l’hôpital(?) et/ou était remplacée(?), un jour peut-être…
Je crois que Dag a passé ses sandwichs triangles au micro-onde. Jamais vu ça. Déjà que ce genre de sandwichs c’est dégueux, alors en plus au micro-onde… Bleuargh… Franchement, prenez quelques minutes pour préparer vous même vos repas et ce sera moins cher Et bien meilleur que tout ces trucs industriels. C’est encore le pays de la gastronomie la France ou pas ? Ah oui, c’est vrai que c’est devenu le pays où les habitants mangent le plus au macdo… pfff… désespérant.
Après avoir chauffé quelques autres trucs il rassemble tout plein de nourriture dans ses sacs et retourne à sa tente les mains pleines…
Yves finalement est resté ici, redoutant la pluie à vélo, et roupille devant la télé allumée en attendant le premier match de foot.
Sur la terrasse une grand-mère joue aux Echecs toute seule sur son téléphone.
Une mère et sa fille, probablement anglaises (en tout cas anglophones), s’installent devant la télé, 10 minutes avant le début du match. Yves est en vadrouille je ne sais trop où, il me semble qu’il a parlé avec les employées de l’accueil juste avant. Il se tâtait, ne sachant trop s’il allait voir son « pseudo » ami chez qui il pourrait éventuellement obtenir une voiture pas chère (dont il me parle depuis bien longtemps) ou s’il restait ici pour regarder les deux matchs. Avant le second il pourrait éventuellement rapatrier un ou deux sacs de ses affaires qu’il a pu laisser dans le garage du camping.
Les anglaises se sont absentées un moment et reviennent avec un bouteille de bière, toutes souriantes et excitées.
Mince, il faut que je pense à préparer mes repas.
Peut-être bien qu’elles ne sont pas mère et fille. La plus âgée est Suisse et parle parfaitement le français.
Je croise un papy dans les WC alors que je me lavais les mains, il entrais dans le box que je venais de quitter. Première chose qu’il fait c’est de tirer la chasse d’eau… J’ai remarqué que ça arrive souvent, il y a des gens qui tirent la chasse d’eau systématiquement avant de faire leurs besoins (et parfois après aussi, heureusement, ne nous cachons rien). J’imagine qu’il peut exister des cas où c’est compréhensible, mais après moi qui tient un point d’honneur à garder les toilettes propres, je pense qu’il s’agit plutôt d’un toc.
« Tu comprends ? » et « Quand on a pas de tête, on a des jambes ! » sont les deux phrases les plus fréquentes d’Yves. Et il est très endurant en vélo.
Il me présente un papier froissé et griffonné sur lequel est inscrit un numéro de téléphone, 500€ + 50€ de charges. C’est censé être un logement disponible. Déjà c’est cher pour un appartement vide, mais en plus il me prévient de prendre garde car le gars propriétaire est un arnaqueur…
Dois-je dire quelque chose ?
Dag arrive d’un pas chancelant sous la pluie, protégé de son parapluie rétractable. Il a à nouveau trop bu, à mon avis. Enfin bon, j’imagine que pour une fois mon avis coïnciderait avec celui de tous ceux de bonne foi. Mais j’ai remarqué que la sincérité semble dépassée de nos jours. Les évidences, les observations factuelles et la réalité sont remises questions lorsqu’elles ne s’accordent pas avec la doxa.
Alors lorsque vous voyez quelqu’un tituber, marcher en zig-zag, tenir difficilement debout, sachant que c’est un grand consommateur d’alcool, non, ce n’est pas de la « stigmatisation » que de dire qu’il est vraisemblablement bourré. Il peut y avoir mille et une raisons à son addiction, des excuses, des explications ou je ne sais quoi, mais le fait reste le même.
Aujourd’hui on est tombé dans le « Cachez cette vérité que je ne saurais voir ! ».
(Et pour ceux qui feignent de comprendre, l’exemple de l’alcool est juste là pour expliciter mon point : je sais parfaitement bien que, pour le moment, on peut encore dire de quelqu’un de saoul qu’il est bourré… Par contre, concernant certains sujets épineux…)
Yves et Dag prennent le café à la machine. J’ai vu de mes yeux vu ce qu’était qu’un café de la machine : quelques cm de liquide brun mousseux dans un grand gobelet qui pourrait contenir trois fois plus. Yves se fait de la chicorée avec de l’eau chaude.
Ils discutent ensemble, pour une fois qu’ils sont présents au même endroit en même temps.
Les filles sont heureuses, la Suisse vient de marquer contre les anglais !
Quelques minutes plus tard elles chouinent…
Bidiou, Yves tente de donner des cours de manipulation de la télévision à un nouvel arrivant (qui vient de Lorraine).
Voilà Dag qui part en couille. Une prof d’école maternelle, pour lui, c’est une « maîtrice », pas une « maîtresse », il est sur le point de piquer une crise en rigolant. Plus personne ne comprend l’autre, alors je leur dit qu’on aurait une sacrée audience si on diffusait nos conversations kamoulox sur internet, et en plus c’était sans alcool.
Les dames sont toutes tristes, c’est l’Angleterre qui a gagné le match de foot. Elles partent la tête basse.
Peu de temps après une autre femme (d’Ecosse) entre, et Dag communique avec elle en anglais.
Lors des discussions entre Yves et Dag j’ai l’impression que parfois ils ne s’écoutent même pas mais continue quand même de parler.
« Je déteste les camping-cars, c’est encore pire que les allemands. Parce que les allemands ont plein de camping-cars. » Ce n’est pas de moi, c’est de Dag qui répond à Yves lui ayant proposé de partir un jour ensemble faire le tour de France. Moi je suis quelqu’un de solitaire et d’enraciné qui n’aime pas du tout les voyages. Dag nous raconte les différences de mentalités entre français et allemand, notamment en gastronomie où les allemands font leur possible pour faire le plus de profit alors que les français préfèrent servir des plats de qualité, quitte à sacrifier leurs marges.
Bon j’arrive à trouver le mot « maîtrisse » sur internet (il existe (existait ?) bel et bien) c’est le titre qu’avait la mère de la copine de Dag, psychologue scolaire et directrice d’école maternelle.
Punaise, moi qui pensais n’avoir rien à écrire aujourd’hui, j’arrive finalement à l’un de mes journaux les plus long… Quand Yves et Dag sont dans le coin le syndrome de la page blanche s’estompe.
Personne ne regarde le seconde match de foot et la télé est même éteinte, cool.
Dag se plaint des enfants qui font des bêtises, je lui rétorque que tous les enfants en font, ça fait partie de leur apprentissage de la vie. A cela il me rétorque que non ! Lui n’en faisait pas du tout. Alors je lui réponds que c’est pourquoi il se rattrape une fois adulte ! Il était sur le pas de la porte près à aller se coucher mais du coup fait demi-tour, ouvre le frigo et sort une seconde bière qu’il emporte avec lui.
<Insérez ici un même « Issou » !>
Yves est tout heureux, maintenant qu’il maîtrise l’allumage de la télé il ne manque aucune occasion pour l’apprendre aux autres. En cas de problème il me désigne comme opérateur…
Il fait aussi connaissance avec Lina, une adorable petite chienne aux poils blancs bouclés.
Parlant de son logement, j’apprends qu’il dispose d’une baignoire. C’est génial surtout en été, où il peut la remplir et la laisser rafraîchir tout son appartement. C’est ainsi que j’en suis venu à lui expliquer le fonctionnement des premières tours « climatiseurs » inventées à l’époque médiévale, comme les « tour à vents » de la perse ancienne, utilisant des cours d’eau souterrains pour rafraîchir les bâtiments grâce à une circulation d’air contrôlée. Pas besoin d’électricité ni de pétrole.
Yves fini par se décider à tester l’extinction de l’éclairage public, qui doit avoir lieu à 23h30. Il lui reste moins d’un quart d’heure pour rentrer chez lui.
Je lui rappelle que dans sa maison (qu’il a quitté), il a plein de matériel, y compris des matelas. Avec toutes ses connaissances il suffit d’en trouver une avec véhicule, aimable et capable de lui consacrer une petite heure pour transporter ce dont il a besoin à son nouvel appartement.
Sur ce, il est temps pour moi de clore ce journal et d’aller roupiller un moment. Faites de beaux rêves !
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON