Journal d’un BAC+5 SDF #72
Mardi 9 Juillet 2024
Cette nuit il ne fait pas trop frais, mais une fois encore le même gars que hier a éternué extrêmement bruyamment entre une heure et deux heure. A croire qu’il fait exprès d’en rajouter pour réveiller tout le monde.
Ce matin je découvre un petit escargot attaché à l’intérieur de ma tente. Comment s’est-il retrouvé là ? O_o Je ne laisse ma porte ouverte qu’une poignée de minutes chaque jours, juste pour sortir le matin et pour entrer la nuit. Et c’est particulièrement lent, les escargots. Sachant que j’inspecte mes chaussures avant d’entrer, je suppose donc que son seul moyen d’entrer est de tomber dans l’habitacle, sans que je m’en aperçoive.
Il fait une chaleur à crever dans la tente. Pour une fois je l’ouvre avant de m’habiller. Et là, que vois-je ? A même pas deux mètres, dans les herbes, un oiseau sombre tacheté de quelques plumes brunes et rouges, et au bec noir, m’étudie patiemment. D’autres de la même espèce sont en plein travail pour trouver de la nourriture, mais lui, tout seul, m’observe. En m’extrayant de mon antre avec mes affaires j’ai pu l’approcher à moins d’un mètre, mais il s’est alors finalement réfugié dans la haie d’à coté.
Des ouvriers municipaux se bagarrent avec le monticule au centre de la place de sable. Il doivent arracher le trop plein de végétation. Et elle pousse vite ici. Ils arrachent de longue lianes et « aèrent » la colline, comme quand vous allez chez le coiffeur.
Maintenance de la machine, cette fois-ci c’est un homme muni d’un chariot à roulettes rempli de tout ce qu’il faut pour l’approvisionner. Le gars me dit que j’ai un visage familier… Ah bon, me voilà célèbre ? Je ne pense pourtant pas m’afficher souvent, c’est même plutôt le contraire. « Vivons heureux, vivons cachés » est une de mes philosophies de vie.
Des gosses avec une console de jeu Switch ont des difficultés pour paramétrer la connexion automatique pour ne pas avoir à tout refaire à chaque fois qu’il reviennent ici. Ils regardent en même temps une série d’animation avec Idéfix comme personnage principal.
Oh Dag en « période silencieuse » m’a tout de même salué. Il y a du progrès. Il n’a pas voulu de mes sandwichs tout neufs, ni de galettes Saint-Michel.
C’est pénible de se trouver entre la télé à fond (les gosses doivent être déjà bouchés), et les machines diverses et variées qui font un potin de dingue. Bon au moins les gosses suivent une émission instructive de vulgarisation scientifique sur la Terre, le Soleil, l’eau et la vie.
Et bien, ça valait la peine de passer la matinée à amincir la végétation de la colline, maintenant ils vont à la débroussailleuse, rasant tout, et ne laissant que quelques plantes fixées à des fils et des poteaux.
Le ménage est fait, je vais avoir la primauté de baptiser les douches aujourd’hui.
En sortant de la douche je croise 3 hommes sur la terrasse, en train de se reposer à l’ombre. Je les salut et l’un d’eux m’interpelle, me demandant si ça allait, l’air de dire, c’est la belle vie, hein ? Je réponds nonchalamment que oui, ça va, mais que « c’est moins fatiguant que de travailler sous le Soleil ! » Je les avais reconnu, il s’agissait d’ouvriers municipaux qui on travaillé ici depuis ce matin, bravant une petite pointe à 32-33°C cet après-midi. Ils me plussoient en hochant la tête, visiblement content d’avoir été remarqué.
A nouveau un moineau s’est perdu dans la salle commune. Cette fois-ci j’ai pu le guider facilement vers la sortie.
Oh une réponse… négative à une candidature qui me tenait à cœur…
« Nous vous souhaitons le meilleur dans vos recherches. » Menteurs. Le meilleur dans ce cas c’est de chopper le job. Tout le reste n’est qu’enfumage et éléments de langage.
Je me suis fait attraper par Dag et Yves dans une longue discussion qui est partie dans tous les sens. C’est difficile pour moi, je n’ai pas l’habitude. A peine terminée qu’une dame arrive pour faire une animation afin de divertir les enfants, et puis David en pleine forme débarque à son tour. Il a bien bronzé, son torse velu est rouge vif. Il va prendre une douche et puis tenter de réparer son camion qui fait des bruits bizarres.
La grosse dame avec son gigantesque chapeau turquoise paré de multiples fleurs violette prépare son matériel pour les enfants (fabrication de comètes à l’aide de bouts de tissus colorés), et on peut entendre une musique du genre « hard rock » ou quelque chose comme ça, ce qui ne collait pas vraiment avec l’ambiance. C’était en fait l’alarme du téléphone de David. Je me permets de la couper.
Toutes les ouvertures sont fermées et la climatisation allumée. Ensuite la bonne musique est de mise ! Un florilège d’œuvres auditives pour le cirque ou les fêtes foraines… J’exècre ça. Si mes oreilles pouvaient vomir, elles le feraient.
Il y a même du « french cancan ». Le saviez-vous ? Ceux qui vont voir le « french cancan » ne viennent pas pour la musique…
Mais sérieusement… J’ai visité un appartement vendredi, on est mardi et l’annonce a été supprimée… sachant que le logement est encore occupé jusqu’au 26, donc pendant encore plus de deux semaines. Pfff c’est vraiment la fête du slip la location de logements dans le coin. Même les clapiers à lapins moisis à plus de 440€ se louent comme se vendent des petits pains. Tu m’étonnes que les rentiers en profitent un max. J’imagine qu’en passant par le canapé ou sous la table ça aide aussi ici…
Le gars doit avoir 5 ou 6 appartements dans le même bâtiment, de quoi rien glander de sa vie. Les mêmes qui traitent les sans-emplois de sous-merdes.
David tout propre récupère son téléphone. Avant qu’il ne sorte je lui rappelle l’animation en cours et lui propose de participer. « Ma vie est une comète » qu’il me répond en souriant.
Une toute petite fille aux grands yeux sombres n’arrête pas de me fixer. Quand je la regarde aussi elle cours dans les jupes de sa mère. J’ai envie de lui faire peur pour de bon, mais ce serait mal vu je parie…
Tout le monde sort pour faire un concours de celui qui lancera sa comète le plus loin. Une employée du camping les accompagne pour prendre des photos. Ils ont laissé la « musique » en sortant… Buirk ! (= Onomatopée d’une oreille qui vomit, oui j’innove constamment. C’est aussi ça le progrès)
Les enfants optimisent leur comète à l’aide de bouts de tissus avant de retourner dehors.
Ils testent ensuite un autre jeu, à l’aide d’un grand drap circulaire subdivisé en tranches colorées et troué en son centre. Tout le monde tient le drap sur lequel une ou plusieurs boule(s) de couleur est/sont placée(s) et le mouvement des joueurs la/les font déplacer. Le but m’est inconnu, peut-être les garder le plus longtemps possible, ou bien de les faire passer par le trou (semble bien trop facile). En tout cas ça secoue.
Pour finir c’est séance de hula hoop et de mikado géant.
Ca y est la climatisation a finalement été arrêtée. L’employée du camping était partie avec la télécommande… Il commençait à faire glagla, et avec les cheveux mouillé ce n’est pas recommandé.
Qu’est-ce que ça hurle fort une petite fille, surtout quand elle gagne.
Encore une fois j’aide pour allumer la télé. Il y a du foot, pour changer. Demi-finale France contre Espagne. La France ne peut que gagner de toute façon, inutile de regarder. Pourtant il y a déjà une dizaine de personnes dans les fauteuils alors que le match n’a pas encore commencé. Yves arrive tout juste pour le coup d’envoi. Rapidement on est une vingtaine.
J’ai éclaté un moustique. Il m’a laissé des traces noires sur les mains, et son corps écrasé est resté collé à ma paume.
Après une faute dégueulasse d’un espagnole qui écrase la tronche d’un français par terre (et même pas de carton rouge), nos supers joueurs ont marqué un magnifique but après même pas dix minutes de match. Yves l’a raté à cause d’un coup de fil. Pour la peine je lui apporte deux coussins pour l’aider à s’endormir. Hop un tacle abusé et un carton jaune pour un espagnole.
Un petit chien blanc et bouclé dont les maîtres sont sur la terrasse entre dans la salle commune et se fait grattouiller tout plein tout plein par Yves.
Après la mi-temps et les deux buts espagnoles la salle s’est vidée, il ne reste plus qu’une dizaine de personne, dont Dag qui vient d’arriver pour festoyer avec de la bière. Pour une fois il mange aussi, c’est déjà ça.
A 22h25 l’écran se fige et on me demande si je peux avoir le match sur l’ordi, ce à quoi j’ai répondu que c’est moi qui ai fait planter la télé mouhahahaha…
Dag partage une bière avec Yves.
La France a perdue. Donc tout le monde est sorti brûler des bagnoles et fracasser le mobilier urbain. Ensuite on a vandalisé quelques magasins et tabassé des gens au hasard qui croisaient notre route. Il fallait bien extérioriser notre peine et notre souffrance, non ? C’est pas d’n’otre fôte !Enfin bon, on aurait pu faire ça si nous n’étions pas des gens civilisés.
Yves récupère encore de ses affaires du frigo et rentre à son nouveau chez lui. Je ne sais pas s’il est paranoïaque ou s’il a raison, mais il me dit que les gens qui sont censés faire les réparations font tout pour que ça n’aille pas bien avec lui. Déjà qu’il n’avais pas trop envie d’aller là, l’avenir semble plus qu’incertain.
Ensuite c’est David qui s’en va, il doit se lever tôt pour aller travailler
Ca fait deux nuit de suite que je vois quelqu’un dehors avec une lanterne. Je suppose que c’est le gardien., que je n’avais pas remarqué depuis que je suis là.
« Vous êtes toujours là. » C’est ce que me dit un femme souriante et courtement vêtue allant déposer des trucs inutiles au frigo avant de retourner à son emplacement, toute seule, dans la nuit noire, alors que sa petite lampe torche faiblissait dangereusement… Oui, c’était bien entendu une invitation, mais je ne vais pas tout vous raconter ici, peut-être un jour dans mes mémoires…
Une sale bestiole m’a chatouillé les cheveux et en la chassant a quasiment réussi à entrer dans ma bouche. Et je n’ai même pas eu l’occasion de voir à quoi elle ressemblait.
Il y a encore plus de bruits étranges dans la pièce que d’habitude.
Au milieu de la salle, sur une des tables trône majestueusement une tasse en plastique orange remplies de petits crayons à papier. Vestiges de l’animation de cet après-midi ? Mystère. Et c’est donc avec mon esprit rempli de questions quand à la présence de tels outils ici que je me rend à ma grotte de plastique. J’espère que malgré la défaite des Bleus vous trouverez un sommeil réparateur.
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