Judge Dread, fou génial et illustre inconnu
Incroyable personnage fantasque et politiquement incorrect que ce clown reggae du pays de sa très gracieuse majesté ; fou génial que seule la Grande-Bretagne savait produire en Europe après-guerre. Dans un pays pourtant réputé conservateur, où l'audace et le flair de ses producteurs artistiques faisaient émerger courants artistiques novateurs et originaux.
De qui suis-je en train de vous parler ? De Benny Hill ? Bob Marley ? Mister Bean ? Mick Jagger ? En fait d'un personnage qui représente la synthèse de tous ces artistes, et que je viens de découvrir dans une compilation de vieux tubes reggae-ska, cette musique populaire apparue en Jamaique puis dans les quartiers populaires anglais dans les années 1960. Dingue, moi qui pensais bien connaitre le sujet, féru à vingt ans des titres des Specials, des Selecters et autres Madness. Trente ans après, je redécouvre des artistes que la France giscardienne comparait à des martiens. A des années-lumière d'un pays où Martin circus et les Charlots étaient considérés comme du rock alternatif, la Grande-Bretagne mettait en avant ses jeunes talents électrisés et improbables, comme notre bonhomme.
Pour deviner son nom, je vous livre ces quelques indices :
- Il est né dans le pire quartier de Londres, Brixton, une "banlieue" de la Jamaique avec ses écoles difficiles et ses pubs mal famés.
- Il a été catcheur amateur, puis garde du corps des Rolling Stones.
- Il est devenu chanteur ska-reggae, premier au Hit parade en Jamaique (du jamais vu pour un européen). Il fut même numéro un dans plusieurs pays africains.
- Un de ses premiers succès fut une parodie de Je t'aime moi non plus de Gainsbourg.
- Elvis Presley lui avait commandé une chanson.
- Il a vendu plusieurs millions d'albums durant ses vingt-cinq ans de carrière, plus que Bob Marley dans les années 1970.
- Il est le détenteur au Guiness des records du nombre de chansons censurées en Grande-Bretagne dans les médias publics (une bonne douzaine) pour cause d'atteinte aux bonnes moeurs.
- Il est mort sur scène, à la fin d'un concert à Canterbury.
Allez, vous l'avez tous reconnu, il s'agit d'Alexander Minto Hughes (1945-1998), plus connu sous son nom de scène, Judge Dread. Tous ou presque, il est en fait quasiment inconnu hors du monde anglo-saxon, ce qui est fort curieux pour ce phénomène qui alliait humour graveleux, second degré, érotisme lors de ses concerts et fougue malgré son physique impressionnant d'armoire à glace. Un bûcheron version Coluche et Boby Lapointe, qui n'est jamais passé en France, et nous allons essayer d'en comprendre les raisons.
Son nom de scène vient d'un titre de Prince Buster, un jeune musicien sulfureux des sixties qui fut repris par The Specials et Madness. Surtout, la musique Ska regroupait des jeunes de quartiers populaires issus de communautés différentes, souvent marginalisés et parfois violents. Voyous jamaicains et les fameux skinheads, puis les punks après 1975, dansaient sur les rythmes "two tones" dans les clubs de Brixton. Contrairement aux idées reçues sur le continent, ces "crânes rasés" étaient peu politisés. Bagarreurs et alcoolisés, certains se mêlaient aux hooligans des stades de football, mais peu militaient dans les partis où ils n'étaient pas les bienvenus, hormis les groupuscules néo-nazis pour certains, et d'ultra-gauche pour d'autres (les red-skins). Le look se voulait "prolo" en opposition aux cheveux longs en vigueur à l'époque dans les milieux bourgeois. C'était aussi une réaction envers la vague disco, très conformiste et commerciale.
Judge Dread a influencé d'autres groupes, Bad Manners par exemple et le colosse Buster Bloodvessel connu pour montrer son postérieur au public à la fin de ses concerts. En France, il fut bien sûr le modèle du regretté François Hadji-Lazaro (Les garçons bouchers), lui-aussi "redskin" humaniste proche des milieux ouvriers. Judge Dread fut d'ailleurs un précurseur des concerts humanitaires pour l'Afrique, un continent qu'il affectionnait.
Il est parti vers le paradis des troubadours en 1998 à l'issue d'un concert où son malaise cardiaque fut pris pour un jeu de scène, laissant derrière lui une discographie considérable.
Trouver du Judge Dread à un prix décent n'est pas tâche aisée sur Amazon et Rakuten. Vous pouvez toutefois le parcourir sur Youtube. Une bouffée d'oxygène d'un humour sans complexe bienvenu en cette époque morose où le woke est la norme des deux côtés de la Manche...
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