Justice fiscale : encore des mots, toujours des mots
Angel Garcia, secrétaire général de l’OCDE, ne cesse de le répéter : les inégalités de revenus dans la zone OCDE sont à leur plus haut niveau depuis un demi-siècle. Les inégalités sont un défi social et économique de premier plan souligne-t-il dans les réunions et les colloques en exposant, selon lui, la raison : l’efficacité rédistributive des systèmes fiscaux s’est réduite tout au long des dernières décennies. Soit. On peut même ajouter, bien dit. On peut même spécifier que depuis les années Thatcher/Reagan, nous sommes spectateurs passifs d’un glissement constant des politiques gouvernementales accélérant la déréglementation, permettant ainsi un transfert massif des capitaux du travail vers le capital, du salarié vers l’actionnaire. Le tout, sous le regard bienveillant et l’activisme militant de la Banque Mondiale et du FMI qui désirent aller encore plus loin dans la dérégulation du travail. A tous ces constats, mille fois exhibés, on est tenté de répondre : et alors ?
Alors rien, malgré la crise polymorphe de ce système qui dure depuis 2008. Ou plutôt une accélération du processus qui permet des transferts encore plus volumineux et l’exhibition des injustices, fiscale en particulier. A en croire la chaîne (très conservatrice et « orthodoxe ») Bloomberg, en 10 ans les armateurs grecs ont gagné plus de 175 milliards de dollars sans payer un kopeck au fisc. Pourquoi ? Parce qu’ils peuvent. Parce que, Etat dans l’Etat, ils ont imposé en 1967, sous la dictature des colonels, une loi incorporée à la constitution qui les dédouane de toute imposition en ce qui concerne leurs activités maritimes. Parce que, comme dit avec cynisme Victor Restis, l’un d’entre eux : ceux qui veulent nous imposer, il faudrait d’abord qu’ils nous trouvent. Parce que l’économie n’est que le résultat d’un rapport de forces, et que les Etats (à travers leurs dirigeants éclairés) ont tout fait pour que ce rapport de force penche indéniablement du côté des riches et des bien portants. Ne croyez pas que, à des degrés divers, les armateurs hollandais, maltais ou chypriotes soient plus mal lotis. Ne croyez pas non plus que la France, la Grande Bretagne ou les Etats-Unis n’aient pas construit des montages législatifs similaires qui soustraient de l’impôt leurs propres armateurs. Pourquoi ? Un autre armateur grec, Michel Boduroglou l’explicite : si les agents du fisc commencent à rendre visite à nos sièges sociaux, nos entreprises cesseront d’être aussi efficaces, parce qu’elles perdront l’avantage de la « non connectivité » avec les Etats. La messe est dite. Arrive-t-elle jusqu’aux oreilles du patron de l’OCDE, monsieur Angel Garcia ? Certainement.
On a reproché à Manuel Barroso d’avoir passé des vacances dorées sur le yacht de Latsis, pape des armateurs grecs. Il a répondu, un peu comme Jean-François Copé pris la main dans la piscine de Ziad Takieddine, qu’il savait distinguer l’amitié de l’action politique. Entre temps, les lois et les conventions internationales maritimes sont moins règlementées que celles qui concernent l’espace. Pourquoi ? Quelle question naïve…
C’est plutôt le contraire qui est arrivé : le droit maritime s’est emparé de la terre sous forme d’offshore, ces espaces juridiques loin des rivages qui sont pourtant bel et bien continentaux. Là où pullulent sièges sociaux, banques et services financiers de nos entreprises nationales, pas seulement maritimes.
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