Karachi et la raison d’Etat

L’affaire Karachi commence à alimenter les passions de toute part depuis notamment la déposition de Charles Millon, ancien ministre de la défense du gouvernement Juppé.
Je ne vais pas ici revenir sur les faits.
Je me contenterai de vous renvoyer à un bref résumé de cette ténébreuse affaire ou bien à l’article de Wikipédia beaucoup plus complet.
A ce jour, il existe de forts soupçons concernant le versement de rétrocommissions destinées au financement de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995.
Le nom de Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre du budget, a été également cité au dossier.
Cependant, je me demande si on n’est pas en train de donner aux familles des victimes de faux espoirs sur la résolution de cette affaire.
Ce que je crains, c’est que le volet politique franco-français (à supposer qu’il ait une réelle consistance) ne finisse par réduire à néant toute investigation concernant les bénéficiaires des commissions (lesquels doivent savoir évidemment beaucoup de choses sur les destinataires des rétrocommissions) et les commanditaires de l’attentat.
Pour autant que je puisse en juger, j’ai malgré tout l’impression que l’on vit dans l’illusion d’un dénouement plus ou moins rapide de cette affaire qui a déjà buté sur la raison d’Etat.
Qu’est-ce que la raison d’Etat ?
C’est une notion qui désigne l’intérêt de tout Etat à s’affranchir de la morale et du droit, ou de tout autre impératif, lorsqu’il poursuit un objectif supérieur considéré comme essentiel pour sa continuité, sa stabilité, voire sa survie.
Elle est cette raison mystérieuse inventée par la politique pour autoriser ce qui se fait apparemment sans raison.
Dans cette stratosphère particulière, il n’y a donc guère de place pour les procédures, les principes démocratiques, l’éthique et le respect des libertés fondamentales.
La politique s’y exprime dans tout son cynisme et toute sa violence.
Parfois, la raison d’Etat est « localisée » dans certains documents classés « secret défense ».
Le plus souvent, elle plane au-dessus de tous. Chacun y pense sans toutefois la nommer.
Elle est même confortée par la Constitution qui confère une immunité pénale absolue au chef de l’Etat le temps de son mandat (sauf en cas de haute trahison). Ce qui à mon avis rend assez vaine l’audition de Nicolas Sarkozy réclamée par les familles des victimes de l’attentat de Karachi.
Alors certes le financement occulte présumé d’une campagne électorale ne relève pas a priori de la raison d’Etat.
En revanche, si ce financement occulte présumé est susceptible d’éclabousser directement le pouvoir exécutif en place, et plus particulièrement le président de la République en fonction, il y a dès lors matière pour que cette raison d’Etat fasse obstruction à l’enquête au nom de la stabilité et des intérêts du pays.
Surtout si ce financement a partie liée avec le domaine militaire et la vente d’armes à des pays étrangers.
Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’on ne saura jamais la vérité un jour.
La vérité sera éventuellement connue, mais beaucoup plus tard lorsque tout danger pour l’Etat sera écarté.
(billet initialement publié sur Gabale.fr)
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