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#48 des Tendances

KARAMAZOV

Lors d'une adaptation théâtrale du livre de Dostoïevski, j'ai pu voir interprétant les plus profonds tourments de l'âme Russe (et humaine), une actrice montrant ses seins et un acteur exhibant son sexe. Je regardais l'une avec intérêt et je me comparais à l'autre avec humilité. Le Monde, la société, le théâtre changent.

Un certain relâchement des moeurs était sensible, mais il n'y avait peut-être pas lieu de s'en offusquer, il y avait eu des précédents ! Alexandre VI Borgia, immensément riche, devint Pape en 1492. Las de sa maîtresse, il noue une relation avec Giulia Farnèse. Cette nouvelle maîtresse, qui a 40 ans de moins que lui, lui donnera deux enfants en plus de ceux qu'il avait eu par ailleurs. Cela ne le dispensera pas de multiples liaisons avec d'autres femmes. Si certaines déviations avec les bonnes moeurs étaient possibles à Rome, pourquoi pas "en" Avignon...

C'est alors que j'ai eu l'idée de jouer moi aussi un ou deux des frères Kamarazov (je manquais de moyens pour avoir toute la fratrie). J'ai une âme tourmentée, moi aussi je veux noyer mes émois dans l'imaginaire pour me défaire d'un quotidien par trop sordide, moi aussi je veux oublier cette fin que l'on finit par espérer à cause de trop de tourments.

Me procurer le livre ne me fut pas trop difficile n'habitant pas trop loin du quartier Latin (je n'utilisais jamais Internet pour mes achats et encore moins pour mes rencontres, ce qui fait que j'étais seul et je ne lisais que les pages Saumon du Figaro lorsque le voisin jetait son journal dans la poubelle destinée à cet usage car il avait une fibre écologique très marquée bien que n'étant apparemment de gauche). J'ai dû élaguer toutes les pages où les moujiks buvaient à n'en plus finir de la Vodka (je destinais ma pièce remaniée à tous les publics), et il ne me resta qu'une vingtaine de feuillets que je découpais assez arbitrairement en Jour 1, Jour 2, Jour 3... pour faire Russe. Je fis des dialogues mais en fin de compte seul car mon plus proche ami avait refusé de venir avec sa femme lorsque je lui avais décrit le synopsis. Je me débrouillerai autrement.

Je n'avais pas le temps de me faire pousser la barbe, j'ai donc introduit dans l'action l'incendie de l'isba dans laquelle tout le monde habitait et qui conduisit à rendre glabres même les plus velus. J'ai teint ma vieille robe de chambre en vert et j'ai ajouté des boutons dorés, dans la glace, si j'avais su parler Russe c''est à peu près sûr que la brigade antiterroriste serait intervenue : je ressemblais à Poutine, sans le cheval.

En fait je savais pourquoi je faisais tout cela. C'était subliminal ! Un jour j'attendais l'ascenseur. Ma voisine arriva avec deux énormes paquets dans les bras, elle n'était pas bien grande mais ils étaient quand même gigantesques. L'ascenseur arrivant, elle me dit : "Vous pouvez appuyer sur le bouton s'il vous plaît." J'ai failli chanceler, ça m'arrivait quelquefois de faire des malaises lorsque l'émotion était trop forte. J'appuyais sur le bouton de son étage mais des larmes perlaient à mes yeux. Elle pourrait jouer Lise, celle qui est paralysée des jambes et qui reste constamment dans sa chaise roulante. Bien sûr comme babouchka, elle n'avait pas franchement le physique mais l'essentiel c'est cette voix intérieure qui transforme tout être en autre chose, d'impalpable, de plus vrai que le réel, le talent, et elle devait en avoir du talent. Moi je serai Alexeï...

Je trouvai une tout petite salle à deux pas de chez moi qui servait de temps en temps aux Coeurs Vaillants à préparer leurs sorties en zone rurale. Je pus la louer sans trop de problème en prétextant l'organisation incessante d'une campagne de dons dans l'arrondissement. Il n'y avait que quatre ou cinq chaises branlantes et deux ou trois cageots qui, retournés, pouvaient servir de scène.. d'estrade plutôt. Il ne me restait plus qu'à contacter la troupe.

Je savais que c'était une intellectuelle car elle était à la MGEN, j'avais vu ça sur l'abondant courrier qui dépassait de sa boîte que l'on envoyait à foison aux mutualistes. D'après la personne qui nettoyait les escaliers de temps à autre et qui savait tout sur tous, la future Lise avait le bac... avec mention, c'est tout dire. C'était la seule de l'immeuble. Les autres vous voyez le genre : Métro, Boulot, Macdo... question culture ça n'atteint même pas CNews. Enfin, faut bien vivre quelque part avec le prix de l'immobilier qu'ils nous font. Mais on s'éloigne de la Russie. Une intellectuelle donc. J'eus l'idée de faire une pétition pour que les idées qui précédaient la prise de contrôle par les communistes de l'empire revoient le jour dans un cadre démocratique et avec une égalité stricte entre les hommes et les femmes. Après réflexion, je retirai les mentions au communisme et à l'empire pour ne retenir que l'égalité homme-femme, on est jamais trop prudent. Avec une liste de plusieurs centaines de noms que j'avais mis plusieurs semaines à faire avec d'anciens annuaires téléphoniques, je sonnai à sa porte. Elle était là.

Bonjour ! J'ai une pétition pour faire respecter l'égalité homme-femme !

- Vous tombez bien, y'a la vaisselle à faire, vous pourriez peut-être vous y mettre.

C'est gentil, mais non. Il me faut du liquide vaisselle hypoallergénique, ma peau est très sensible.

- Laisse tomber, je charriais. Quant à la pétition, tu vas pas croire que je t'ai attendu pour que les connards ne me brisent pas les noix.

Vous êtes en avance, c'est bien. Vous aimez les auteurs Russes ?

Elle aimait, coup de bol. En à peine une demi-heure je l'avais convaincu de jouer dans ma pièce. Il y a juste eu un moment de flottement quand je lui ai dit qu'il n'y aurait qu'un frère, les deux autres ayant été envoyé en Sibérie par les Bolcheviques. "Les bolcheviques ? Vous croyez pas qu'ils étaient un peu jeunes à l'époque ?" Je répondis qu'il n'y avait pas d'âge pour être teigneux. Elle a rigolé !

Je passais les semaines suivantes à fignoler les décors. J'envoyais le texte de Lise un peu remanié pour mettre du rythme, de toute façon elle appréciait le hors-piste. En fin de compte j'ai pu garder une barbe relativement orthodoxe pour jouer Alexeï, faut jamais désespérer.

C'est pour demain 15H !

- On sera nombreux ?

Non, juste nous deux mais j'ai contacté un agent pour les autres rôles, c'est un tour de chauffe.

Elle avait réussi à trouver un ensemble minishort-corsage rouge qui convenait parfaitement pour le rôle. Elle connaissait à la perfection le texte comme j'avais pu m'en rendre compte au téléphone (je n'utilisais plus les réseaux trop peuplés de malades). Une exaltation de plus en plus oppresante s'emparait de moi, la nuit du jour fatidique je ne pus pas dormir et je m'épuisais à faire des mots croisés (niveau 3 quand même).

Enfin, elle était là, toute en rouge, montée sur un cageot, on pouvait commencer.

Tout se passa relativement bien jusqu'au moment où j'avais ouvert mon peignoir peint laissant voir mes attributs dont j'étais si fier. Elle jeta un coup d'oeil et alors que je regardais furtivement par la fenêtre elle me lança son sac à la tête. Après c'est tout noir ! Je me souviens d'un type, un pompier certainement, qui agitait ses doigts devant mes yeux et qui disait : "Tu vois mes doigts... Tu vois mes doigts". Après plus rien encore une fois. Un autre, tout en blanc : "T'inquiètes pas pépère, on va te faire une petite piqûre, tu vas devenir calme comme Baptiste... T'inquiète, ça fait pas mal. Quelques jours après un juge des libertés : "Vous reconnaissez votre délire". Je ne savais pas quoi répondre pour lui faire plaisir mais ça n'a pas dû lui plaire car je suis resté 5 semaines. Il m'a dit ensuite que j'avais eu de la chance car elle n'avait pas porté plainte. Maintenant que je suis de nouveau dehors, ce que je fais de plus intrépide c'est de regarder TF1.

On m'ôtera pas de l'idée que ce qui se fait à Avignon... pardon... en Avignon, ne doit pas être refait ailleurs.

 


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