Karzaï, le Parrain de l’Afghanistan (13) un général transparent comme du cristal

 Au moment même où je rédigeais cet article, tombe la une du New-York Times, qui nous apprenait plein de choses. La confirmation, surtout, que Karzaî effectivement discute depuis des années avec les talibans, mais aussi que lors des négociations avec Abdul Ghani Baradar, c’était son propre frère Ahmed Wali Karzai, à la réputation de chef de réseau de drogue, comme on l’a vu, qui dirigeait les discussions ! " Selon le général Hilaluddin Hilal, le député ancien ministre de l’Intérieur dans un gouvernement Karzaï , Ahmed Wali Karzaï et M. Baradar se sont réunis deux fois en Janvier près de Spin Boldak, ville située sur la frontière avec le Pakistan. La réunion a été négocié par le mollah Essa Khakrezwal, gouverneur de l’ombre des talibans de la province de Kandahar, et avec Hafez Majid, un des chefs talibans officiels, a dit le général Hilal". 

 

Une série de photos dévastatrices du Washington Post en date du 13 juin enfonce ce clou : on y voit Wali Karzaï en dirigeant quasi-présidentiel, au bureau gardé par des hommes de main, venant se faire baiser la main pendant qu’il téléphone.... C’est lui le maître de la région, c’est une évidence. Le journal y révèle également que le 8 mars dernier, le général McCrystal avait organisé une réunion des dirigeants de l’Otan qui devait logiquement conclure à l’expulsion de Wali Karzaï ou à son arrestation. Cela avait abouti à l’inverse, nous dit le Post, la présentation (Powerpoint ?) ayant pour objet cette recommandation ayant été jugée "mal faite" par les militaires. Et la réunion d’aboutir au final à un renforcement de la position de Wali Karzaï ! On y apprenait aussi qu’à Kandahar, sur les 900 policiers de la ville, 250 provenaient de la direction régionale, tenue par le frère de Karzaï et 110 étaient des mercenaires de son groupe de protection (de Watan Risk) ! Incontournable, indéboulonnable Wali Karzaï !

Un McCrystal bien gêné aux entournures aussi par la une du New-York Times du 21 juin 2010 : celle qui révèle qu’effectivement, c’est bien le contribuable américain qui fournit l’argent aux Talibans ! Dans un article dévastateur pour la conduite de cette guerre totalement inique, un rapport du House Subcommittee for National Security, lourd de 79 pages, fustige en effet officiellement la pratique du paiement des chefs de guerre et de leurs milices pour empêcher les attaques des convois américains : exactement ce qui avait été à l’origine de la mort de nos dix soldats français, comme l’avaient dit les italiens, qui eux aussi, avaient donc payé pour avoir la paix !! Au pays de la corruption tous azimuts, la paix en Afghanistan.. s’achète !!!! Dans le rapport, e-mails et listes de contractants dont la "célèbre" Watan Risk Group démontre l’imbrication extrême du problème : la plupart des bases américaines sont aujourd’hui "protégées" par cette milice ! Une liste l’atteste ! Pire encore : au milieu du rapport une photo dévastatrice : l’image d"un membre de Watan Risk en train de tirer au RPG-7 sur la route qu’il est censé protéger, et pour lequel il est grassement payé : n’en jetons plus, la cour est pleine !!!!

"Le rapport détaille des épisodes où les entreprises de camionnage qui ont refusé de payer les chefs de guerre pour escorter les camions ont été attaqués par les mêmes hommes. Un responsable d’une entreprise de camionnage qui a refusé de verser à M. Ruhullah affirme aux enquêteurs que ses camions ont été attaqués par les combattants de M.Ruhullah, qui "est prêt à exploiter impitoyablement l’absence de contrôle des militaires le long des routes sur lesquelles il opère. " On ne peut être plus clair : la route principale d’approvisionnement de la capitale a été abandonnée aux milices, capables de redevenir talibanes à tout instant !!!

C’est une onde de choc qui est (enfin) révélée au grand jour : "le rapport de 79 pages, intitulé finement "Warlord Inc", brosse une photo anarchique de l’Afghanistan d’aujourd’hui, avec les grands axes routiers du pays qui sont contrôlés par des groupes d’ hommes armés indépendants qui répondent à personne - et qui sont payés par les États-Unis. L’Afghanistan, montre l’enquête recèle des centaines de sociétés de sécurité privées employant le plus grand nombre des 70 000 hommes armés en grande partie sans contrôle aucun. "Les principaux sous-traitants de la sécurité privée", dit le rapport, "sont des chefs de guerre, des hommes forts, les commandants et les les chefs de milices qui sont en concurrence directe pour le pouvoir et l’autorité avec le gouvernement au centre de l’Afghanistan. Les seigneurs de guerre se développent dans le vide de l’autorité gouvernementale, et leurs intérêts fondamentaux sont en conflit avec des États-Unis qui vise à construire un gouvernement fort en Afghanistan", indique le rapport. Discuter avec les talibans ? Les Etats-Unis viennent d’avouer qu’ils le font déjà... financièrement !!! Nous avions déjà ici-même largement expliqué le principe... comme quoi je ne vous racontais pas... de salades !

Enfin, un second article tout autant dévastateur, cette fois de Rolling Stone Magazine, constate le gouffre séparant désormais McCrystal de Barack Obama... la faillite est complète, visiblement. Il n’y a pas que les méthodes de McCrystal qui étaient à part : l’homme était visiblement resté plus proche de McCain que d’Obama, à qui il n’a visiblement pas fait allégeance, en se permettant de le moquer dès qu’il avait le dos tourné. L’armée américaine et son gouvernement sont en rupture totale. Or Obama a besoin d’une armée fiable, forte et disciplinée pour pouvoir quitter l’Afghanistan de façon relativement propre : la défection médiatique de McCrystal ruine tous ses espoirs d’avoir une armée qui lui soit réellement fidèle : c’est une crise très grave qui s’annonce. Les paroles de McCrystal vont faire aussi mal que l’explosion d’une plate forme de pétrole. C’est le Canard enchaîné qui prend le relais dans ce sens le 23 juin en révélant le dépit croissant des militaires américains : "autre aveu d’un chef de guerre, celui de John Nicholson. Devant la commission des Affaires étrangères du Sénat, cet ancien coordinateur des opérations en Afghanistan et au Pakistan a admis, le 6 mai dernier, "que la corruption reste le grand défi à relever ". Façon de dire que l’insurgé n’est pas le seul ennemi de la Grande Amérique". 

Mieux encore : interrogé sur le départ de McCrystal, le gouvernement de Karzaï répond par la voix de... Wali Karzaî, qui regrette déjà celui qui le 8 mars 2010 aurait dû s’attirer les foudres de l’Otan et qu’un dénommé McCrystal avait si bien défendu !! En mai, déjà, il n’était plus du tout partisan de s’en passer : pour quelles raisons inavouables une telle volte-face  ? Car stratégiquement Wali était indispensable pour faire croire à une deuxième réussite à la Marjah prévue pour le mois de juin : une "reconquête" de rien, mais qui aussi n’aurait pas coûté en vies davantage que la précédente si Wali daignait "négocier" le retrait ponctuel des Talibans, le temps... des opérations de guerre contre des talibans fantômes ! Le problème est simple, explique David Ignatus : en repoussant les talibans, les USA créent un vide à combler : si dans la gouvernance qui suit il n’y a rien, les talibans reviendront aussitôt... on accepte donc un beau marché de dupes : un Wali Karzaï qui reste en place, pour servir de tampon aux talibans qui chez lui ont bureau ouvert ! Mais la face des USA est sauve : officiellement, ils ne discutent pas avec eux !

Wali Karzaï indispensable ? Oui, hélas, et pour avoir tissé une toile aux nombreuses ramifications : "Karzai a pris le dessus selon le renseignement de l’OTAN en prenant le contrôle de la police et de l’agence officielle de renseignement afghans dans la province, selon une nouvelle étude de la structure du pouvoir à Kandahar. L’étude, publiée le mois dernier par l’Institute for the Study of War, plutôt pro-guerre, montre comment Karzaï a édifié terminé sa consolidation du contrôle politique sur la police nationale à Kandahar après avoir utilisé la milice privée utilisée par la CIA, la Kandahar Strike Force, pour tuer le chef de la police et le chef de la province, dans une fusillade en juin 2009 ce qu’une enquête criminelle indépendante avait révélé. Plus important encore, Karzaï contrôle désormais la Direction générale de la Direction nationale de la sécurité (NDS) de Kandahar, qui combine les organismes des renseignements et de la police secrète, comme le révèle l’étude. NDS a de loin lale plus grand réseau d’informateurs dans la province et a longtemps pris les devants dans la réalisation de raids contre les les talibans à Kandahar, en raison de l l’inefficacité de la police nationale" nous dit Common Dreams... Selon la presse, le Lt. colonel Tadd Sholtis, un des porte-parole de McChrystal, en personne, le commandement américain accepte les renseignements que lui donne Wali Karzaï et serait même "fou" de les refuser...

Si bien qu’on a le monde à l’envers à Kandahar : celui qui est accusé depuis deux ans au moins d’être à la tête du trafic de drogue du pays en arrive aujourd’hui à tenir "ses" talibans en les menaçant de représailles par bombardement aérien de l’Otan si ils ne suivent pas ses volontés, précise Tim McGirk du Times ! Et là, ça devient l’horreur complète : un chef mafieux règle des comptes de mafieux en utilisant comme arme.... l’armée américaine ! Il y a un bon nombre de massacres délibérés dont on n’a jamais compris le sens exact qui s’éclairent tout à coup ! "Karzaï est largement soupçonné d’avoir utilisé les raids des forces de sécurité sous son contrôle pour cibler un certain nombre de tribus d’opposants, selon une étude de l’Institut. Karzaï est profondément engagé à intervenir dans la politique trible à travers la province, avec la création de nouvelles alliances et de se faire en même temps de nouveaux ennemis" précise l’étude : sidérant, c’est tout simplement ahurissant ! La première armée du monde aux ordres d’un chef de guerre mafieux organisateur d’un réseau de drogue tentaculaire !

Dans ce cas de figure, même les opérations militaires se retrouvent freinées par la corruption généralisée nous dit encore le Canard : "L’opération de reconquête du district de Marjah, menée récemment au sud de l’Afghanistan, est considérée par le général McChrystal, chef de la coalition, comme un relatif échec. Les insurgés ont fui, mais ils reviennent et exécutent les habitants qui collaborent avec les Américains. Echec, notamment, de l’installation d’une autorité gouvernementale, de ses policiers, et aucun ralliement no-table des talibans locaux, lesquels contrôlent en partie le ravitaillement de la ville. Ce constat a conduit McChrystal à retarder l’offensive qu’il envisage de mener dans la province de Kandahar (environ1 million d’habitants). Les 10 et 11 juin,au quartier général de l’Otan, à Mons,en Belgique, le patron de la coalition s’était pourtant voulu optimiste face aux représentants des 46 pays engagés dans cette guerre. Son exposé avait laissé rêveurs les officiers français présents. D’autant que l’amiral Mike Mullen, patron des armées américaines, venait de lancer cet avertissement : « Nous ne réussirons pas à Kandahar si nous n’arrivons pas à éliminer la corruption. Une condition qu’un diplomate du Quai d’Orsay, lecteur des télégrammes de l’ambassade de France et des rapports barbouzards, estime être un vœu pieux". La seule solution est de discuter désormais : Karzaï à tout intérêt à le faire car comme cela, au départ des américains, il sauve les meubles. Les américains pour éviter d’autres morts, dont le nombre croissant inquiète le peuple US et anglais. 

Les américains s’en sortiront-ils ? Pas avec celui que Barack Obama vient de choisir en tout cas : Petraeus, l’homme qui rêve de Maison Blanche à la place d’un McCain passablement dépassé. Le choix d’Obama ne peut se comprendre que dans la perspective de 2012 : c’est à Petraeus de clore avant le volet Afghan, désormais, et Obama, en fin politique, vient de le condamner à réussir. En prime, il vient de le mettre en fâcheuse républicaine en en faisant le général d’un président démocrate. Enfin il a le surnom de Petraeus, Betray-Us, qui lui colle au train depuis l’Irak. Mais il y a bien pire encore. Dans un autre article, je vous avais expliqué qui était vraiment Petraeus : celui chez qui pendant des années on a détourné, triché, dissimulé et trafiqué... sans que jamais les enquêtes ne remontent jusqu’à lui. Celui vers qui tout converge... Celui qui a pourtant reçu en France la légion d’honneur le 25 septembre 2008. Quand elles s’approchaient trop près, ces enquêtes, elles se terminaient comme s’est terminée l’histoire de Stoffel, mais aussi de Levonda Joey Selph, d’Hirtle, de Bell, de Gloria Davis... celle de la disparition de milliers d’armes, celle des contrats de Diveroli... la saga infinie des détournements en tous genres en Irak, comme en Afghanistan.

Si les journalistes peinent à faire du général qui parfois pique du nez en pleine audition du Congrès une bête noire, il n’en est pas de même de bloggueurs ou de lecteurs attentifs. Petraeus s’est récemment fait soigner d’un cancer de la prostate, et ne semble pas avoir retrouvé tous ses moyens physiques. Ainsi ce commentaire acerbe, mais tellement juste, de "Spacey79" relevé à propos de Petraeus dans le site de la BBC annonçant sa nomination  : "La campagne du "Surge" présentée comme un « succès » n’avait rien à faire avec le nombre de troupes ou le génie militaire. Petraeus a tout simplement payé l’ennemi pour qu’il s’en aille ! Il a appelé ça "l’Anbar Awakening" où d’anciens ennemis ont soudainement décidé de changer de camp. Tout ce qu’il a fait a été de donner aux chefs tribaux des liasses de billets pour cesser les combats, et puis quand la violence a chuté on a dit a que c’était du au "surge" surtension, ce qui permettait à la coalition de quitter l’Irak. Toute cette stratégie n’a été que de repousser les problèmes, ces mêmes groupes menaçant maintenant d’une reprise de la violence si les versements sont arrêtés. Je soupçonne que certaines sections "Talibanes" vont maintenant devenir très riches, et que la même tactique sera tentée pour permettre à la coalition de sortir de l’Afghanistan". Qui a entretenu et alimenté la corruption en Irak ? Qui n’a rien fait pour l’endiguer ? Qui a laissé condamner des collaborateurs ? Petraeus. Et on voudrait qu’il nettoie l’Afghanistan de sa corruption ? Finalement, les mafieux ne s’entendent qu’avec... d’autres mafieux.

sur l’Anbar Awakening, ce jugement étrange, lisible ici.

"Le leader, maintenant décédé, de "l’Eveil d’Anbar", le Cheikh Abd al Sittar Abu Reesha, a dit un jour,’’Nos amis américains ne nous ont pas compris quand ils sont venus. Ils se sont comporté en peuple fier, têtu et nous l’avons été aussi. Ils ont travaillé avec les opportunistes, maintenant, ils se sont tournés vers les tribus, et c’est comme il se doit.’’  Cela ne semble pas avoir marché le "comme il se doit" : La grave défaite du leader Shaykh Ahmed Abu Risha lors des dernières élections démontre que la greffe n’a pas pris, au contraire auprès de la population ! D’être "l’homme des américains" ne rapporte déjà plus !