KASAI : violences, viols et autres exactions continuent...
Les provinces issues du Grand Kasaï sont en proie depuis 2016, à des actes des violences, des viols, des massacres et des crimes commis sur la base des considérations politico-ethniques, dont les populations civiles ont été les principales victimes.
Ce que l’on peut déjà appelée la « guerre du Kasaï » a déjà fait plusieurs morts.
En effet, le rapport du FIDH de décembre 2017 révèle les massacres commis dans plusieurs villages, dont ceux de Kamako, Sumbula, Djiboko, Mvula-Milenge et Senge. Les témoignages recueillis auprès des rescapés font état de l’horreur des actes commis contre les populations civiles, notamment des exécutions sommaires, d’actes de torture, des mutilations, des violences sexuelles, de destruction des biens, d’arrestations arbitraires, durant la période comprise entre mars et juillet 2017.
Ces crimes sont attribués principalement à des éléments de nos forces armées (FARDC), de la police nationale (PNC) et à leurs forces supplétives dénommées « Bana Mura » et « Ecurie MBEMBE », des milices progouvernementales, mais aussi aux éléments de la milice « Kamuina Nsapu ». Ces crimes sont qualifiés des crimes contre l’humanité et le rapport parle de l’existence des fosses communes et en a dénombré au moins 87[1].
Le rapport d’Amnesty international de 2017[2], fait état des violences perpétrées dans la région du Kasaï ayant fait des milliers de morts et provoqué le déplacement interne d’environ 1 million d’habitants et contraint plus de 35.000 personnes à trouver refuge en Angola, pays frontalier.
Les violences du Kasaï sont propagées pratiquement dans toutes les provinces environnantes, notamment les 5 provinces issues du Grand Kasaï (Kasaï, Kasaï central, Kasaï oriental, Lomami et Sankuru) et le territoire de Kamonia (Kasaï), est devenu l’épicentre de cette guerre du Kasaï qui n’en finit plus.
Le rapport mondial de Human Rights Watch de 2019, s’agissant de la RDC et plus particulièrement de la situation dans le Grand Kasaï, révèle, après une enquête mandatée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, sur les violences de grande ampleur perpétrées dans la région du Kasaï, que les forces de sécurité congolaises et leurs milices, ont commis des atrocités constituant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité[3].
Soulignons que c’est en mars 2016 au Kasaï que les deux experts de l’ONU, Madame Zaïda Catalan, de nationalité suédoise, et Monsieur Michel Sharp, de nationalité américaine, ainsi que leurs accompagnateurs congolais ont été odieusement exécutés dans l’exercice de leur mission et à ce jour, leur procès continue et les coupables ne sont pas encore connus. Le gouvernement congolais a refusé qu’une équipe d’experts de l’ONU, à l’initiative du Secrétaire générale de l’ONU, vienne en appui à l’enquête congolaise, sur ces assassinats. Cependant, les enquêtes menées par certaines ONG internationales, ont mis en évidence l’implication d’agents du gouvernement dans ces meurtres et que les forces de sécurité congolaises, avec leurs supplétifs, ont commis au Kasaï des atrocités constituant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité[4].
Situation après les élections et traque contre les Lubaphones
Le changement de régime intervenu après les élections de décembre 2018, a suscité tant d’espoir pour les déplacés et réfugiés au point beaucoup d’entre eux ont pris la résolution de rentrer chez eux, dans leurs villages afin de reprendre leurs vies, misérables soient-elles. On a même vu quelques anciens miliciens de Kamuina Nsapu rendre les armes suite au changement intervenu à la tête du pays.
Leur espoir a été de courte durée puisqu’ils se sont vu refusé le retour à leur village pour certains. Beaucoup d’entre eux ont été attaqués, les femmes et jeunes filles violées et même des personnes abattues par les milices progouvernementales « Bana Mura » et Ecurie MBEMBE. Des cas ont été signalés à Tshinota, dans le groupement de Kamba-Tshiaka, du 19 au 23 février 2019, où 16 personnes ont été tuées et 23 personnes ont été blessées[5].
Deux jours plus tard, les mêmes milices ont exécuté 43 personnes dans la localité de Kamako, localité située à la frontière avec l’Angola, selon le rapport de l’ONG-Action pour la promotion des droits et des libertés des faibles (APDLF)[6]. Le même rapport parle encore des cas des femmes, jeunes filles et enfants sont pris en otage par les deux milicices progouvernementales « Bana Mura » et « Ecurie Mbembe », après décapitation de leurs maris, dans le secteur de Luvua-Luangatshimue, groupement Muasamba, Kamabonza, Kamilondo, Kanusuia, Tshitundu, dans le territoire de Kamonia.
En outre, les rapports des points focaux de l’ONG-Détectives-Experts pour les droits au quotidien (DEDQ)de la province du Kasaï, pour le mois d’avril 2019[7], font état des violations massives des droits de l’homme dans la ville de Tshikapa et dans les villages environnants et la situation ne fait que dégrader ces derniers temps, surtout pour les Luba et Lulua.
Même mode opératoire
Les événements du Kasaï, de l’Ituri, de Beni, de Butembo, de Tanganyika, et plus récemment de Yumbi, démontrent que le mode opératoire utilisé est toujours le même, c’est-à-dire le groupe ou le mouvement qui a la « faveur » du pouvoir, bénéficie du soutien logistique des forces armées congolaises. A l’origine, on oppose toujours les communautés entre elles, qui vivaient des décennies durant sans problèmes, en ressuscitant les vieilles querelles d’autrefois, généralement d’ordre foncier, par les hommes politiques ou des leaders d’opinions instrumentalisés par le régime, espérant récolter des dividendes politiques en termes de promotion sur l’échiquier politique ou militaire. Et les forces de sécurité et de défense leur viennent en appui sur le plan de la logistique et leur servent de base arrière, comme elles peuvent aussi participer à cette sale besogne.
Par ailleurs, dans toutes ses situations de massacre ou de tuerie en masse, les témoignages des rescapés ainsi que les informations recueillies auprès des différents observateurs, démontrent clairement et généralement de la planification de ces actes et surtout, de l’implication notoire des autorités tant nationales que provinciales.
La conférence sur la paix, la réconciliation et le développement du Kasaï
Le régime précédent a organisé en septembre 2017, dans la province du Kasaï central, à Kananga, la « conférence sur la paix, la réconciliation et le développement du Kasaï », dont l’objectif poursuivi était de « mettre ensemble toutes les personnes concernées pour discuter de la crise que le Kasaï connait », afin d’arrêter avec ce cycle des violences[8].
Pour rappel, dans le Grand Kivu, il avait été organisé à Goma (Nord-Kivu), en janvier 2008, la « conférence sur la paix, la sécurité et le développement dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu », au cours de laquelle des grandes résolutions avaient été prises dans un certain nombre de domaines, dont celui relatif aux groupes armés, et qu’il serait intéressant d’en faire l’évaluation aujourd’hui, plus de 10 ans après !
Dans son discours d’ouverture de cette conférence, l’ancien président de la république, Joseph Kabila, avait mis l’accent pour que « justice soit faite pour les victimes de violences du Kasaï » avant de parler de la relance des grands travaux suspendus suite aux violences.
Plus d’une année après, Madame Joséphine Bitota, recteure de l’Université du Kasaï (UKA), intervenant lors d’un atelier de réflexion sur la réconciliation dans l’espace Kasaï, parle de « mascarade » s’agissant de cette conférence et qualifie de « précaire », le calme observé actuellement dans le Kasaï. Pour elle, les « violences peuvent resurgir à tout moment car les plaies saignent encore et aucun mécanisme n’est toujours mis en place pour panser et cicatriser ces plaies[9] ». Propos d’une experte. En d’autres termes, les rancœurs et les ressentiments couvent encore…et que la conférence, fortement médiatisée, n’a certainement pas résolu car, il faut le reconnaitre que l’organisation de cette conférence n’avait pas fait l’unanimité parmi les natifs du Kasaï. Pour preuves, plus d’une année après, les exactions, violences et autres tueries continuent au vu et au su de tout le monde.
Il y a lieu de rappeler, pour ceux qui ont encore la mémoire fraîche ou que le temps n’a pas altéré, que déjà vers les années 1980, le Kasaï occidental et le Kasaï oriental, avaient organisé, chacune dans sa juridiction, une conférence pour le développement du Kasaï : Conférence pour le Développement du Kasaï Oriental (CODEKOR) et Conférence pour le Développement du Kasaï Occidental (CODESKO). Ces deux forums devaient jeter les bases d’un développement harmonieux du Grand Kasaï, mais seulement à l’époque, le Grand Kasaï n’était pas en proie aux violences des groupes armés, ni traversé par les forces centrifuges actuelles, après le récent redécoupage territorial, qui a porté à 26, le nombre de provinces de la RDC[10].
Conclusion
Les promesses faites par l’’ancien président de la république, n’ont pas été tenues sur la justice qui devait se faire sur les violences commises au Kasaï et que par ailleurs, les violences, les viols des femmes et des jeunes filles ainsi que les tueries continuent jusqu’à présent, plus particulièrement dans le territoire de Kamonia. Lentement mais surement, le Kasaï bascule dans un cycle des violences sans fin comme cela se passe à l’Est.
Etant donné que les noms des présumés commanditaires ou responsables sont connus, des hommes politiques ou leaders d’opinion pour la plupart, le rapport de la FIDH susvisé, parle d’une cinquantaine de présumés responsables concernant les crimes commis au Kasaï, et recommande que la justice soit faite, le droit rendu et les victimes indemnisées.
A cet effet, les recommandations suivantes doivent être appliquées, pour qu’il y ait une véritable réconciliation et que les Kasaïens puissent vivre dans la paix et en parfaite harmonie :
- La Commission nationale des droits de l’homme organise une enquête indépendante sur les violences commises au Kasaï et qui continuent jusqu’à ce jour, étant donné la gravité de celles-ci ;
- Le gouvernement congolais autorise qu’une équipe d’experts de l’ONU, à l’initiative du Secrétaire général de l’ONU, vienne en appui à l’enquête congolaise, sur les assassinats de deux experts de l’ONU et de leurs accompagnateurs congolais au Kasaï afin que lumière soit faite sur cette affaire, initiative refusée par vos prédécesseurs ;
- L’on procède au désarmement de toutes ces milices qui essaiment et écument le Kasaï, notamment les « Bana Mura », « l’écurie MBEMBE » ainsi que la milice « Kamuina Nsapu » ;
- Les forces de défense et de sécurité congolaises (FARDC), soient au service de la nation et non, au service de certains individus ou groupuscules ;
- Les responsables politiques ou autres présumés coupables, notamment les 50 personnes citées dans le rapport de la FIDH précité, soient traduits devant la justice ;
- Les victimes de ces atrocités soient indemnisées.
Les violences ont, à ce jour, touché 13 provinces sur les 26 que comptent la RDC, soit la moitié, à savoir : Ituri, Kasaï, Kasaï central, Kasaï oriental, Kinshasa, Kongo central, Lomami, Sankuru, Nord-Kivu, Sud-Kivu, Tanganyika, Haut-Katanga et plus récemment, Maï-Ndombe avec Yumbi.
Il y a risque que ces violences puissent se propager dans d’autres provinces, si rien n’est fait sur le plan de la justice et surtout de la restauration de l’autorité de l’Etat d’autant que dans les 13 provinces restantes, il existe des velléités des conflits intercommunautaires qui sont encore à l’état latent et qui n’attendent que le moment « opportun » pour éclater.
Par ailleurs, toutes ces violences ont fait que la RDC compte à ce jour, environ 4 millions de déplacés et plus de 621.000 réfugiés dans les pays voisins[11] et rien qu’au Kasaï, près de 3,3 millions de personnes sont dans une situation d’insécurité alimentaire et plus de 280.000 enfants malnutris, sont sans assistance[12]. Des nombreuses infrastructures sociales ont été détruites, notamment les écoles, plus de 300, les églises, les hôpitaux, les marchés et les bâtiments officiels.
Le pouvoir actuel se doit donc de prendre à bras le corps ce problème des violences récurrentes en restaurant, comme l’avait promis, le nouveau président de la République, Monsieur Felix-Antoine Tshilombo Tshisekedi, lors de sa campagne électorale, l’état de droit en RDC et aussi, en mettant en place, une véritable armée nationale et républicaine. Cela passe impérativement par le parachèvement de la réforme du secteur de la sécurité et exige une réelle volonté politique de la part des nouveaux responsables politiques du pays, d’autant que la Monusco, dont l’un des objectifs est la protection des civils, est entrain de fermer ses bases.
En effet, entre juillet et août 2017, elle en a fermé 5, notamment dans le Nord-Kivu, à Walikale-centre, Bunyakiri (territoire de Walikale), à Masisi-centre et Nyabiondo (territoire de Masisi) et à Luofu (territoire deLubero)[13], avec le risque de laisser le champ libre aux différents groupes armés et milices, compromettant sérieusement la protection des civils.
D’ailleurs, le prix Nobel de la paix congolais, le docteur Denis Mukwege, dans son discours devant le parlement européen, lors de la remise du Prix Sakharov lui décerné, le 26 novembre 2014, a dit ceci : « En RDC, la consolidation de l’Etat et le rétablissement de la sécurité à l’Est constituent la priorité des priorités. La réforme du secteur de la sécurité est l’une des plus importantes réformes institutionnelles et est au cœur des efforts de mise en œuvre de la responsabilité primaire de l’Etat congolais de protéger les civils ».
DEDQ-ONGDH et Réseau Francophone de protection des droits de l’homme (RFPDH)/RDC
[1] Rapport du FIDH/ASADHO/LE/Groupe LOTUS. « Massacres au Kasaï : des crimes contre l’humanité au service d’un chaos organisé », décembre 2017.
[2] Amnesty International. Rapport 2017/2018 : « la situation des droits humains dans le monde ». Londres, 2018
[3] Human Rights Watch (HRW). Rapport mondial 2019. Evénements de 2018. Janvier 2019
[4] Human Rights Watch (HRW). Op. cit.
[5] APDLF. « Rapport d’incidents et événements du VDH, territoire de Kamonia ». Kamonia, Tshikapa, 26 mars 2019.
[6] APDLF. Op. cit.
[7] DEDQ. « Rapport de monitoring sur la micro-subvention-mois d’avril 2019 », Tshikapa, 5 mai 2019.
[8] Radio Okapi. « Conférence sur la paix au Grand Kasaï : Joseph Kabila exige la justice », 19 septembre 2017.
[9] Actualité.cd. « la conférence sur la paix, la réconciliation et le développement du Kasaï était une mascarade, selon la professeure Joséphine Bitota ». 17 avril 2019.
[10] Michel LUNTUMBUE. « RDC : les enjeux du redécoupage territorial ». Rapports du GRIP 2016/10, Bruxelles, 2016 ; Michel LIEGEOIS. « Décentralisation en RDC : enjeux et défis ». Rapports du GRIP 2008/1. Bruxelles, 2008
[11] Rapport du FIDH. Op. cit.
[12] Rapport du FIDH. Op. cit.
[13] Center for Civilians in Conflict (CIVIC). « La protection avec une présence moindre : comment l’opération de maintien de la paix en République démocratique du Congo tente d’apporter une protection avec moins de ressources. ». Washington, janvier 2018.
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