Nous ne connaissons, en général, les révolutions que d'une façon historique, longtemps aprés les événements.
Mais lorsqu'on voit de loin, on ne distingue plus les détails ; et c'est l'objet du processus historique, au fur et à mesure que nous sortons de l'échelle de l'actualité pour entrer dans l'échelle de l'histoire, que de synthétiser.
Or, ces détails sont cruciaux pour comprendre par quels mécanismes et quels procédés un régime a pu tomber en quelques heures. Sous l'action de qui ? Suites à quelles décisions ? Dans quel contexte ? L'article qui suit reprend les diverses dépêches des 21 et 22 février pour retracer le cours des événements qui ont fait passer d'une sortie de crise agréée par le gouvernement et l'opposition, à une forme de coup d'état ayant balayé l'un et l'autre 24h plus tard.
— Le 21 février : accord de "sortie de crise". —
Cet accord [1], signé par le président Yanukovych, et les trois représentants de l'opposition (V.Klichko, O.Tyahnibok, A.Yatseniuk), avec la médiation de la France, la Pologne, l'Allemagne, la Russie, prévoit :
1- retour à la Constitution de 2004
2- réforme du pouvoir (équilibre des pouvoirs)
3- élections présidentielles avant 2015.
4- enquête sur les violences
5- pas d'état d'urgence, et retour au calme, notamment en allant retourner ses armes au Ministère de l'intérieur.
Cet accord fut salué par la plupart des pays surveillant la situation, incluant les Etats-Unis ou la France[2] :
Cet accord "est un compromis nécessaire pour lancer l'indispensable dialogue politique", a jugé le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy. "Il est désormais de la responsabilité de toutes les parties d'être courageuses et de passer des paroles aux actes", a-t-il ajouté. François Hollande a, lui aussi, appelé à la mise en œuvre de l'accord "dans les meilleurs délais".
Le Telegraph rapporte lui une discussion entre Poutine et Obama, se satisfaisant tous les deux de l'accord[3] :
"They agreed that the agreement reached today needed to be implemented quickly, that it was very important to encourage all sides to refrain from violence, that there was a real opportunity here for a peaceful outcome," a senior State Department official told reporters on a conference call.
Ainsi, il y a encore moins de deux semaines, tout le monde semblait d'accord pour, entre autres mesures, reconnaître Yanukovitch comme président légitime, jusqu'aux prochaines élections. Il semblerait désormais que nos dirigeants et notre diplomatie aient tous "oubliés" les termes de cet accord. Que s'est-il donc passé entre temps ?
— Réactions de la place Maidan : Right Sector refuse l'accord et menace d'assaut armé —
Le 21 février au soir, alors que Klitschko prend la parole pour expliquer l'accord aux opposants en leur demandant de rendre les armes, il se fait huer par la foule, avant qu'un acteur du Pravij Sector ne monte sur scène et explique que l'accord est inacceptable, et que le président Yanukovitch devra avoir démissioné à 10h du matin le lendemain.[4]
— Soir du 21 février : Yanukovitch absent, les milices prennent contrôle de Kiev —
Au soir du 21 février, des média rapportent (Telegraph et BBC) que le président se déplace a Kharkiev pour un meeting avec les représentants de Crimée :
"Un représentant de l'administration US a déclaré que le président était en déplacement pour se rendre à un meeting."[5]
A 08:30 le lendemain matin :
"Interfax Ukraine cite une "source informée" selon laquelle le President Yanukovitch est arrivé a Kharkiev pendant la nuit. Il était attendu à un congré des députés de Crimée et Sebastopol." [6]
Dans l'intevale, en violation de l'accord signé la veille, les milices armées, principalement celles de Pravij Sector, occupent la plupart des bâtiments publics de Kiev (abondamment recouverts, pour l'occasion, de tags nazis), y compris le Parlement, où l'opulente résidence vide du Président sera l'objet de nombreux articles de presse.
Right Sector occupant le Parlement le 22 février, en violation de l'accord du 21 février stipulant, entre autress choses, le désarmement de la population
— 22 Février : Yanukovitch nie les rumeurs de démission, le Parlement vote sa déchéance —
Alors que les journalistes déambulent dans Kiev vidé de toute présence policière, la rumeur de la démission de Yanukovitch, lancée par un tweet fort opportun mais faux, de l'AFP, se répand et profite notamment de l'absence réelle du président, pour gagner en force. Le Président dément rapidement et dénonce un "coup". [7]
Dans l'aprés-midi, le Parlement, dans un contexte d'occupation militaire et de démissions forcées, vote la libération de I.Timochenko ainsi que la déchéance du Président, à 328 votes pour contre zéro contre.
Un député malmené par les milices à l'extérieur du Parlement le 22 février
Le climat dans l'Ukraine occupée : dans une Assemblée régionale, Muzychko, du Pradij Sektor, braque l'Assemblée qui délibère sous la menace d'une Kalashnikov et d'un couteau de combat.
24h aprés la signature d'un accord de réconciliation, les puissances étrangères Occidentales demeureront silencieuses sur ces développements, sur le sérieux, la légalité et la légitimité du vote du Parlement démettant Yanukovitch de ses fonctions.
— 27 Février : la Russie envahit la Crimée —
Des soldats Russes, bien que ne portant pas de drapeau envahissent plusieurs secteurs clés de la Crimée. La Russie utilise l'existence de conventions avec l'Ukraine pour soutenir militairement son allié qu'elle considère victime d'un coup d'état.
— CONCLUSION : le jeu dangereux de l'Occident et l'alignement politique funeste de la France —
Bien que la Russie ne soit exempte de reproches, le jeu trouble joué par les pays Occidentaux confine au "crime contre la paix" [8]. Aucun de nos diplomates ou de nos institutions nationales ne se prononcera sur la légitimité des événements du 22 Février et l'assaut armé de milices néonazies, préférant se concentrer de facon exclusive sur la réponse militaire Russe, et ignorant la terreur instaurée par Right Sector (saccage de maisons de membres du Parti des Régions ou du Parti Communiste ; bastonnage de députés ; utilisation de la menace des armes sur des haut-fonctionnaires pour qu'ils signent des mesures d'urgence, etc... [9]).
L'accord du 21 Février, qui rencontra pourtant l'approbation de toutes les parties, y compris des USA ou de la France, semble s'etre évanoui en quelques heures et n'est guère plus mentionné que par Poutine et Lavrov.
Il est urgent pour la France de renouer avec sa tradition de non-alignement pour occuper la position qui manque cruellement dans cette escalade : la condamnation mesurée de la réaction Russe, mais surtout la condamnation symétrique du coup d'état du 22 Février orchestrée par Right Sector en violation du droit, entériné par l'accord du 21 Février.
Sources :