Kosovo : une défaite pour l’Union européenne face à la Russie
D’un commun accord, selon une dépêche AFP en date du 22 juillet 2007, les Etats-Unis et l’Union européenne ont abandonné leur projet unitaire d’une résolution à l’ONU favorable à l’indépendance du Kosovo, ceci face à un menace de veto russe. Moscou et Belgrade se réjouissent de cette décision, l’UE tremble sur ses fondements mêmes...
Le plan élaboré entre les dirigeants de l’Union européenne, avec le soutien américain, pour aboutir à une indépendance du Kosovo demandée par la majorité albanophone sous les auspices de l’ONU est mort.
Les raisons de ce "décès" sont claires, selon l’AFP et son correspondant aux Nations unies : la menace d’un veto russe sur une résolution à l’ONU quant à ce projet a amené les responsables de l’UE et américains à "reculer" selon les uns (notamment les Kosovars albanophones), à "reconnaître l’intégrité territoriale de la Serbie" selon les commentaires donnés sur cette information à Moscou et Belgrade.
Officiellement, le dossier est renvoyé au "Groupe de Contact" dit des Six, façon polie et à peine déguisée d’enterrer le projet sans fleurs ni couronnes, comme on enterre ailleurs les dossiers fâcheux dans des "commissions parlementaires".
L’expression et la vérification des vrais rapports de force
Cela fait plusieurs semaines que la crise sur le Kosovo était latente entre les dirigeants des 27 pays de l’UE, d’ailleurs pas tous univoques sur ce dossier d’un côté, et Moscou de l’autre.
Dans cette affaire, Poutine et les autorités russes avaient bien fait savoir publiquement que, si un projet de résolution était déposé à l’ONU, Moscou y opposerait son veto, ce qui ne ferait que manifester aux yeux de tous la puissance politique et l’importance diplomatique retrouvées de la Russie.
L’objectif de Moscou est on ne peut plus transparent : restaurer la solidarité entre "frères slaves" en montrant que la Russie ne laissera plus désormais les Etats-Unis et l’UE agir à leur guise avec les pays "slaves" et qu’elle les défendra de toute sa haute taille.
Belgrade, capitale d’une Serbie humiliée après l’intervention de l’OTAN au Kosovo, a bien vite saisi l’importance pour ses propres intérêts de faire alliance avec la Russie sur ce dossier.
En définitive, il a suffi à la Russie de se montrer "déterminée" sur le dossier du Kosovo pour manifester l’échec et l’impuissance commune de l’UE et des Etats-Unis dans cette affaire, le tout sans même avoir eu besoin de recourir au fameux veto annoncé.
C’est une nouvelle expression très concrète des véritables rapports de force en Europe qui est ici donnée.
Une décision grosse de conséquences en Europe centrale et orientale
Nul n’est besoin d’être un grand analyste des relations internationales pour comprendre que ce coup d’arrêt brutal à l’expansion politique de l’UE dans les Balkans est une défaite politique majeure pour l’UE, mais aussi en arrière-plan, pour les Etats-Unis. Et que cette défaite va être analysée et disséquée dans plusieurs capitales d’Europe centrale et orientale, où la force de l’UE et la confiance en sa capacité politique est maintenant bien "ébréchée" !
Cela ne résout en rien les problèmes concrets sur le terrain au Kosovo, mais cette décision marque un tournant brutal essentiel dans la vie politique des pays des Balkans.
Les responsables albanophones du Kosovo entendent de leur côté déclarer leur indépendance le 28 novembre prochain, jour de la fête nationale albanaise, ce qui reviendrait à vouloir se rattacher à la petite et fragile Albanie qui a déjà de nombreux problèmes, mais aussi à risquer cette fois une intervention militaire serbe, soutenue potentiellement par une Russie qui n’est plus celle de 1998-1999.
Il n’est pas certain que ces positions et projets "albanophones" soient soutenus, dans le nouveau contexte politique, par l’UE et les Etats-Unis.
En clair, si la majorité albanophone du Kosovo declarait son indépendance et/ou annonçait son rattachement à l’Albanie, ce sont tous les Balkans qui pourraient s’embraser militairement et l’Union européenne, soit être emportée dans un conflit à l’Est, soit être obligée de se retirer de la région des Balkans, ce qui signerait alors un désastre majeur dislocateur pour elle.
Un tournant majeur dans les Balkans et à l’Est de l’Europe
Depuis la fin de l’ex-URSS, l’UE et les Etats-Unis avaient poussé leurs pions en avant dans la région, profitant de la situation de faiblesse extrême de la Russie sous Eltsine. La Yougoslavie avait explosé en Etats distincts (Croatie, Bosnie-Herzégovine, Slovénie), des guerres avaient ravagé le pays, la Serbie avait été battue et elle aussi se sentait "humiliée" par ces événements.
Avec l’appui solide, mais nullement désintéressé, du "grand frère russe", Belgrade retrouve soudain une certaine place politique et une forme de fierté face justement à ses ennemis depuis quinze ans : le processus officiel d’indépendance du Kosovo qu’elle refusait avec l’aide de la Russie est bloquée juridiquement et politquement.
Pour enfin apprécier le renvoi au "Groupe des Six" dudit projet sur le Kosovo, citons les pays membres : France, Italie, Allemagne, Grande-Bretagne, Etats-Unis et... Russie, l’UE en faisant partie aussi comme une septième interlocuteur, ici faisant un peu doublon avec les autres pays européens impliqués.
Moscou a été très attentive à la décision annoncée : les autorités russes ont même annoncé qu’elles enverraient une délégation à Vienne jeudi prochain pour la réunioon du "Groupe des Six" : Poutine aurait été bien mal avisé de ne pas envoyer ses délégués à la cérémonie d’enterrement du projet qu’il a lui-même généré.
Le ministère russe des Affaires étrangères, de son côté, délivre un message on ne peut plus clair et précis : "Nous considérons que l’annulation d’un vote sur une résolution est le résultat logique de notre position active visant à créer les conditions afin de prolonger les discussions en vue d’obtenir un accord entre Belgrade et Pristina".
Traduit pour les non-initiés, cela signifie un avertissement au "Groupe des Six" afin qu’ils laisssent Belgrade et Pristina dialoguer afin de régler leur différend. Seuls et sans intervention extérieure !
Pour ceux qui auraient eu des doutes sur la compréhension du message russe, Belgrade en donne une explication de texte encore plus nette, avec la déclaration directe de son Premier ministre, Vojislav Kostunica.
Il a salué la décision de l’UE et des Etats-Unis comme une "importante victoire pour Belgrade et Moscou". Et d’enfoncer le clou afin que les capitales européennes ne se fassent pas d’illusions sur les processus en cours : "Une politique de principe commune de la Serbie et de la Russie a remporté une importante victoire au Conseil de sécurité de l’ONU (...) en défendant la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Serbie".
Quant à Vitaly Churkin, le représentant russe à l’ONU, son constat est aussi limpide "c’est une victoire de la légalité contre les tentatives de s’emparer d’une large partie du territoire serbe".
L’Union européenne, les Balkans et la Russie
A l’évidence, les médias russes et serbes insistent bien plus, et on peut en comprendre aisément les raisons internes, sur le succès des "deux pays frères" face à l’UE et aux Etats-Unis. Ce type d’informations et de déclarations flatte la fierté nationale très réactive, tant en Russie qu’en Serbie.
Ils ont la pudeur, tout aussi compréhensible, de ne pas trop insister sur la lourde et significative défaite politique de l’Union européenne. Les dirigeants russes savent très bien que les opinions publiques de certains pays, dans les Balkans et plus au nord, ne sont pas acquises à l’intégration à l’UE comme à celle au sein de l’OTAN. Ce type de succès vaut bien des discours pour s’attirer des "sympathies" dynamiques.
Ils ont ici joué le rôle du "grand frère" bienveillant qui défend un membre plus faible de sa fratrie. Les échos de cette position et de la victoire qui en a suivi dans les opinions publiques est-européennes sont à suivre avec attention.
Car le succès commun de Belgrade et Moscou, à la fois contre les Etats-Unis et l’UE, aura des conséquences à venir que personne de responsable ne saurait nier ou mésestimer.
Comme à Bruxelles, personne ne saurait se cacher que l’UE vient de subir une défaite frontale décisive, qui touche au fond même de son existence, en tout cas qui mine sa principale justification avancée : garantir la paix, le droit et la stabilité.
Comme personne ne peut y nier que les Balkans sont maintenant dans une impasse de mauvais présage pour toute l’UE. Et derrière, se profile un dossier "turc", ici bien malmené de facto, bien qu’indirectement !
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