L’Abbé Pierre : le dernier symbole d’une époque révolue

L’abbé Pierre est décédé ce lundi 22 janvier 2007.
Nous qui nous engageons chaque jour là où on a besoin de nous, pour des causes nobles et utiles, dans un élan indispensable, ou au moins qui nous y associons, ressentons aujourd’hui un vide immense.
Encore une fois la force de l’initiative citoyenne a servi de contrepoids au mauvais rêve qu’est parfois la vie.
Cauchemar. Cette métaphore n’a jamais été si pertinente. L’Abbé luttait dans un monde où il fallait se donner les moyens de combattre la misère. Aujourd’hui, ces moyens existent mais ne sont pas employés. La FAO estime à 12 milliards le nombre d’individus qui pourraient être nourris par la production actuelle. L’association Droit au logement parle de plus d’un million de logements vides en France. La misère est à notre merci, qu’on n’en doute pas. Des millions de travailleurs attendent de lui donner le coup de grâce.
Nous devons aujourd’hui combattre notre propre ennemi : le cynisme.
Si je dois retenir un exemple de l’engagement de l’Abbé qui pour moi fait sens, c’est celui du 12 décembre 2005.
Le 8 novembre 2005, les sénateurs UMP mis en minorité voient voté un amendement qui majore d’un ou de deux centimes d’euros le prix des vêtements neufs, au bénéfice direct d’associations qui littéralement les recyclent, c’est à dire les trie, les redistribue ou les valorise, comme Emmaüs.
Le Gouvernement UMP, y compris sa ministre de l’Ecologie Nelly Ollin, a refusé cet amendement au nom d’une concurrence internationale exacerbée. On est en pleine illustration de dumping environnemental et social. En vain : l’amendement passe.
Mais coup de théâtre : le Gouvernement contre-attaque le 12 décembre en retirant définitivement cette disposition de la loi. On est en plein dans l’époque des courses de Noël, et l’information passe quasi-inaperçue dans un double langage éhonté.
Pourtant il est trop tard. Cette infamie, symbole du cynisme le plus vil, a allumé en moi un désir d’insurrection contre l’injustice. Un peu de détresse aussi, face à l’indifférence de la France.
Aujourd’hui, c’est ce cynisme qu’il nous faut chasser, en commençant par celui tapi dans nos coeurs. Celui-là même qui nous fait accepter l’inacceptable. C’est à cela que le cri de l’Abbé Pierre fait écho.
Comme on a pu l’entendre dans le documentaire Pour en finir avec l’an 2000, l’esclave moderne a troqué ses chaînes contre un cadenas. Aujourd’hui nous faisons chaque jour la guerre à notre conscience, mais arrivera le moment où, comme deux boxeurs épuisés, et ne se soutenant l’un l’autre que par leurs chutes respectives, nous nous réconcilierons à nouveau.
L’Abbé est pour moi l’image d’un combat jamais terminé, non vain mais désintéressé. Celui d’un vieillard qui plante un arbre la veille de sa mort par amour pour son petit-fils, mais aussi pour lui inculquer cet amour.
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