L’affaire Jean Sarkozy-Bellouti : « la mauvaise foi », une notion judiciaire à géométrie variable ?
On doit à l’excellente chronique judiciaire de Pascale Robert-Diard du Monde.fr la publication, le 4 octobre 2008, du jugement qui a exonéré, le 29 septembre, M. Jean Sarkozy de toute responsabilité dans la supposée collision entre un scooter et la BMW de M. Bellouti, place de la Concorde, le 14 octobre 2005 vers 16 h 30, et condamné ce dernier pour « action abusive » à verser 2 000 euros à son adversaire en réparation du préjudice subi.

On y découvre que pour justifier cette condamnation dont M. Bellouti aurait fait appel, le tribunal a estimé qu’il avait « nécessairement agi de mauvaise foi » « en persistant à vouloir faire accréditer une thèse improbable soutenue sans réelle démonstration sérieuse et pertinente ».
La mauvaise foi retenue contre M. Bellouti
Cette imputation de « mauvaise foi » retenue contre M. Bellouti ne paraît pas avoir intrigué à en juger par ce qu’on a lu ici et là sur cette affaire. Elle est pourtant un élément constitutif de la « dénonciation calomnieuse » pour qu’une dénonciation soit qualifiée comme telle. Si on suit bien le tribunal, puisque les experts ont conclu à l’improbabilité de la collision faute d’indices probants relevés sur les véhicules, M. Bellouti a dénoncé à la justice une collision dont il savait très bien qu’elle n’avait pas eu lieu.
Car, depuis le nouveau Code pénal de mars 1994 et un arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 2001, « la mauvaise foi constituant l’intention délictueuse » doit être prouvée par la victime de la dénonciation : il est exigé d’elle d’apporter la preuve que son dénonciateur connaissait la fausseté des faits au jour de sa dénonciation. Le tribunal correctionnel a donc conclu que, ne pouvant pas ne pas connaître la fausseté des faits au moment de son dépôt de plainte et de sa citation directe de M. Sarkozy, M. Bellouti avait agi de mauvaise foi. Que le passager de son fils qui conduisait la BMW, ait relevé le numéro d’immatriculation du scooter tandis qu’il s’enfuyait après la collision supposée, sans pouvoir présumer qu’il était celui de M. Jean Sarlkozy et non de M. Dupont, ne semble pas avoir troublé outre mesure le tribunal.
La mauvaise foi non retenue contre les douze prévenus d’une cabale
On ne peut manquer de rapprocher cette affaire de dénonciation jugée de mauvaise foi d’une autre dénonciation où la mauvaise foi, selon la Cour d’appel de Poitiers et la Cour de cassation, n’a pas été prouvée. C’est précisément l’arrêt de Cassation du 24 avril 2001 qui a fixé la nouvelle jurisprudence de la dénonciation calomnieuse en requérant la mauvaise foi comme constitutive de l’intention délictueuse.
- Une cabale contre un principal stagiaire
En 1992, le principal stagiaire du collège de la Roche-Posay (Vienne) fait l’objet d’une dénonciation auprès de l’inspecteur d’académie, signée de onze professeurs, bientôt suivie d’une lettre du maire de la commune qui reprend les mêmes griefs. Ce principal stagiaire est accusé de manquer aux devoirs de sa fonction : il aurait écourté un conseil de classe et un conseil d’administration tantôt pour assister à un vernissage à 50 km de là, tantôt pour prendre un train. Les dénonciateurs ajoutent même qu’il a fait fuir une dizaine d’élèves vers le privé. Or, tout est faux ! Aucune présence à un vernissage, pas plus que de précipitation en conseil d’administration pour courir prendre le train ! Quant aux quelques élèves qui ont quitté l’établissement, c’est par suite de déménagement familial.
- Une carrière brisée
Le principal stagiaire n’est évidemment pas informé de l’existence de ces lettres. Ce n’est qu’en apprenant que la titularisation dans la fonction de principal lui est refusée qu’après consultation de son dossier administratif, il découvre le pot aux roses. Il tente un recours hiérarchique auprès du recteur, prouve l’inanité des accusations et rappelle que l’inspecteur d’académie est resté sourd à ses rapports sur les méthodes violentes ou injurieuses de certains professeurs qu’il entendait faire cesser, ceci pouvant expliquer cela… Il se heurte à un mur.
- Des instances juridictionnelles qui se contredisent
Redevenu professeur de philosophie, il se voit contraint de porter plainte en dénonciation calomnieuse avec constitution de partie civile. Le juge d’instruction rend un non-lieu. Mais en Appel, la chambre d’accusation d’alors (aujourd’hui chambre de l’instruction) infirme le non-lieu et renvoie, en termes très sévères, les onze professeurs et le maire devant le tribunal correctionnel qui les condamne non moins sévèrement pour dénonciation calomnieuse. Il est à noter que le procureur a changé d’argumentation à chaque étape de la procédure pour demander systématiquement le non-lieu ou la relaxe des prévenus.
Mais six mois après – la justice sait être rapide quand il y a le feu pour certains intérêts – la Cour d’appel annule le jugement et relaxe les prévenus, au motif que la preuve n’est pas apportée par la victime que les douze accusés connaissaient au jour de leur dénonciation la fausseté des faits qui lui étaient imputés. Le pourvoi en Cassation est rejeté le 24 avril 2001 par une Cour qui reprend l’argumentation de la Cour d’appel.
- Une appréciation aléatoire et partiale de la mauvaise foi ?
Ainsi professeurs et maire se sont-ils mis à douze pour rapporter des ragots calomnieux, sans prendre la peine de vérifier si ce qu’ils écrivaient de concert avait un commencement de réalité avant d’en saisir l’autorité compétente. La Cour de cassation ne leur a reconnu que l’excuse de "témérité" et non la mauvaise fois qui aurait constitué le délit de dénonciation calomnieuse. Comment est-il possible de ne pas reprocher à douze personnes – dont un maire supposé pondéré dans ses actes – d’avoir « agi de mauvaise foi », puisque tous les faits allégués étaient faux. Cela ne suffit-il pas à prouver l’intention de nuire et encore en groupe organisé ? La cabale a en tout cas porté ses fruits : la carrière du principal stagiaire a été ruinée, ce qui était le but recherché !
En revanche, pour avoir dénoncé une collision et un délit de fuite jugés improbables par des experts, M. Bellouti est lui aussitôt convaincu de mauvaise foi, sans que l’improbabilité alléguée par les experts et reprise à son compte par le tribunal – avec la marge de doute qui tout de même subsiste, fût-elle étroite – lui vaille justement le bénéfice du doute et donc la reconnaissance de sa bonne foi.
On voit que l’appréciation de la mauvaise foi par les juges peut-être variable selon les circonstances. Se mettre à douze pour dénoncer des faits notoirement faux qui provoquent la ruine d’une carrière, ne prouve aucune mauvaise foi et la dénonciation n’a rien de calomnieux. En revanche, poursuivre en justice le propriétaire dont on a relevé le numéro d’immatriculation après une collision alléguée, sans connaître le statut social éminent de l’intéressé, revient à agir de mauvaise foi. En somme, les juges ne feraient-ils pas leur cette alternative ? "Qu’est-ce que ça peut faire que je serve la mauvaise cause puisque je suis de bonne foi ? Ou qu’est-ce que ça peut faire que je sois de mauvaise foi puisque c’est pour la bonne cause". Paul Villach
42 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON