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L’affaire Pleyel

Partout, on annonce la réouverture de la Salle Pleyel, cependant, il semble que cette ouverture masque une sombre affaire et la destruction de cette salle mythique. Sur ce point, Carla Maria Tarditi, chef d’orchestre et directrice générale de la Salle Pleyel, s’exprime. Cet entretien nous offre la possibilité de comprendre tous les enjeux.

Carla Maria Tarditi on vous connaît comme chef d’orchestre et responsable de la musique à Pleyel, qui a connu sous votre direction un grand renouveau ; qu’en est-il aujourd’hui, de la Salle Pleyel et de vous-même ?

Carla Maria Tarditi : Je suis très inquiète actuellement sur les décisions prises aussi bien au niveau des pianos que de la Salle Pleyel. D’ailleurs, la création de ce site de protestation concernant les travaux prévus par le ministère de la Culture démontre que d’autres que moi, dans le monde entier, partagent cette inquiétude.
La Salle Pleyel est un lieu indispensable pour les musiciens du monde entier ; c’est un lieu où les plus grands se sont produits, c’est une pièce d’architecture unique, plus moderne par sa forme courbe que tous les auditoriums construits récemment ; en 1927, il préfigurait déjà le XXIe siècle. Paris possède un seul auditorium international, apprécié du monde entier : C’est la salle Pleyel. Je rappelle que l’Etat avait décidé de le vendre en 1995, comme une pauvre chose ingérable et d’ailleurs mal en point ; il a fallu beaucoup de travail et de passion pour sortir Pleyel de l’incurie où la gestion étatique l’avait plongé. Lorsque j’ai fermé l’auditorium pour travaux, après le dernier concert de la Philharmonie de Berlin, il était question de mener à bien la rénovation dans les 18 mois, rénovation sans surprise puisqu’identique au dossier de candidature de rachat de Pleyel en 1998.
Le projet était donc connu et était un élément important du programme culturel du candidat choisi par la Commission de Bruxelles, chargée de vérifier la cession des actifs du Crédit lyonnais, propriétaire de la salle.

Que s’est-il passé après la fermeture de Pleyel pour travaux ?

Carla Maria Tarditi : Bien avant la fermeture, mon équipe à présenté aux différents services de l’Etat le projet de rénovation qui consistait à redonner à l’auditorium toute sa splendeur de 1927, plus un confort amélioré des sièges, des espaces d’accueil et des vestiaires, l’immeuble étant inscrit aux monuments historiques. Et j’ai bien compris la leçon que m’a donnée un haut responsable des MH : quand un élément d’un bâtiment est classé, tout le bâtiment est classé ! Nous verrons par la suite comment cette règle est appliquée...
Après un sondage que nous avions fait sur notre public, 95% étaient très satisfaits de l’acoustique, 75% réclamaient plus de confort. Les travaux prévus allaient complètement en ce sens.

Pourquoi ces travaux ne se sont-ils pas faits dans les 18 mois, comme vous aviez prévus ?

Carla Maria Tarditi : Les services officiels bloquaient, il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas, comme si un mot d’ordre avait été donné. En fait, au tout début, mon intention était de faire les travaux pendant les périodes de vacances d’été, mais l’Orchestre de Paris s’y est opposé, ce qui m’a obligée à envisager une fermeture totale, et qui a eu pour conséquence le déménagement de l’orchestre à Mogador, qui a dû subir de coûteuses transformations pour ce faire. Gaspillage de temps et d’argent, de plus l’orchestre se plaignait qu’il avait été obligé de quitter Pleyel alors que son dirigeant avait décidé lui-même du malheur de l’orchestre ! Nous sommes restés plusieurs mois sans réponse de l’Etat. Un ancien banquier, se présentant comme gestionnaire de crise, est engagé par le principal actionnaire. Du jour au lendemain, je suis priée de quitter mon bureau, les dossiers me sont retirés, on licencie mes proches collaborateurs et tous les coups bas sont permis. Diviser pour régner. On me sort du placard juste lorsqu’il faut apporter un peu de crédibilité musicale à des actes par trop sacrilèges ! Je rappelle qu’il y avait une centaine de candidatures à la reprise de la Salle Pleyel, que le projet se jugeait sur un "mieux disant culturel" que je représentais. J’estime avoir une responsabilité morale au bon déroulement de ce projet choisi par la Commission de Bruxelles, en toute sagesse.

Comment en arrive-t-on à la destruction de la Salle Pleyel ?

Carla Maria Tarditi : Par l’intermédiaire de ce banquier reconverti, le ministère de la Culture propose un bail où il aura toute liberté sur la nature des travaux, bien que financés par les actionnaires pour 33 millions d’euros ! Et sur l’utilisation de la marque, tout le patrimoine lui revenant dans 50 ans pour un euro symbolique ! L’intention est non seulement de casser un monument historique mais aussi de bénéficier de surfaces non négligeables, 15 000 mètres carrés dans une des rues les plus prestigieuses de la capitale. Pour en faire quoi ?
Le Premier ministre ayant annoncé lors d’une conférence de presse (Le Figaro du 7mars 2006) la décision de construire une nouvelle salle de concerts à La Villette, entre 2000 et 2500 places. La Salle Pleyel en a 2380 ! Et l’orchestre de Paris d’ajouter que dès que la nouvelle salle sera achevée, il quittera Pleyel. Et le journaliste de commenter : "Cela ressemblait à un congrès politique".
Bien entendu, je n’ai pas été tenue au courant de tout ceci ; je ne l’ai découvert que plusieurs mois après. Le contrat était signé et le programme de travaux entièrement dicté et contrôlé par le directeur de la Cité de la musique qui affirme dans ce même article :"La Cité de la musique n’a pas le droit de gérer la Salle Pleyel" !
Voulant connaître la nature des travaux envisagés, je demande à consulter les plans aux services de la Mairie de Paris, ce que tout citoyen est autorisé à faire. On me répond que les plans ne sont pas visibles ! Pendant ce temps-là, les travaux avancent... Après deux mois, mon avocat saisi la CADA pour signaler ce dysfonctionnement, hélas, les dossiers ne mentionnent pas de destruction importante, juste 300 m2 de bureaux. Comment dans ce cas imaginer ce qui se trame ?
C’est au cours d’une visite organisée par l’entrepreneur de travaux, un jour où on m’a conviée à sortir de mon placard... que je découvre la vérité : un lieu rétréci de tous côtés, le fond de la scène est bouché par des blocs de béton censés accueillir du public, en fait c’est la place des choeurs qu’on compte dans le nombre de places totales, donc on supprime 600 places.
Les murs courbes ont été cassés pour supporter quatre balcons indigents, la voûte a disparu, le dernier balcon a une pente qui donne le vertige, il ne reste que très peu d’espace au-dessus des derniers rangs de spectateurs, j’ai l’impression de me trouver dans un espace multifonctionnel pour université de province !
On me dit qu’il y aura un système électro-acoustique de diffusion du son !Et que des rideaux sépareront l’espace...Quant aux salles Chopin et Debussy, elles ont disparu au profit de vestiaires et de la régie.

Est-ce irrémédiable ?
Carla Maria Tarditi : Non. Il suffit que les autorités prennent conscience qu’une telle opération dessert le prestige de la France, sonne le glas du prestige musical et culturel français à l’étranger, et de celui de ses responsables. Ce n’est rien pour une entreprise aussi habile que Bouygues de refaire ce qui est indispensable à la Salle Pleyel et aux musiciens. 2007 doit fêter les 200 ans des pianos Pleyel, la plus ancienne marque de pianos ! Faisons le nécessaire pour rouvrir la Salle Pleyel la tête haute ! Les programmes prévus peuvent se donner pendant quelques mois à la Cité de la musique, le temps d’effacer ces fausses notes architecturales et juridiques avant qu’elles ne deviennent historiques ! Nous sommes sûrs que Paris mérite deux beaux auditoriums : la Salle Pleyel et la Cité de la musique.

Propos recueillis
par Sonia Bressler

Retrouvez la pétition sur www.pleyelpetition.org



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