L’affiche « Le bal des actrices » : est-ce qu’elles se taisent toutes en bas ?
Mais quelle représentation attrayante du film « Le bal des actrices », ses auteurs ont-ils donc souhaité donner ?
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Un leurre d’appel sexuel renouvelé
Il ne ne fait aucun doute, que, pour capter l’attention, ils ont misé sur le leurre d’appel sexuel. Sa capacité à déclencher le réflexe inné d’attirance en fait, c’est vrai, un leurre sans rival. Mais à force d’en user et abuser, on risque d’en amoindrir l’efficacité. L’affiche, on doit le reconnaître, veille à l’éviter en tentant d’ en renouveler le contenu. Dans une mise hors-contexte totale par une toile de fond noire, un plan d’ensemble offre un amoncellement de corps féminins nus enchevêtrés dont la couleur chair tranche on ne peut plus par contraste. L’angle de plongée comme l’image mise en abyme où chaque femme toise le spectateur, vise à créer la transe du voyeurisme : ces femmes s’exhibent sans pudeur de leur plein gré ; elles dévisagent même le spectateur comme pour guetter l’effet produit sur lui par leur chorégraphie audacieuse qui ne peut s’observer que du haut d’un balcon. Le spectateur serait-il invité à faire son choix ?
Selon ses règles rituelles, le leurre repose sur le double jeu de l’exhibition et de la dissimulation pour stimuler la transe voyeuriste : la disposition des corps masque soigneusement toute zone sexualisée explicite. Au besoin, cuisses, bras et mains y pourvoient. Ce double jeu évite sans soute de transgresser la morale publique. Mais il vise aussi, en stimulant la transe voyeuriste, à ne pas fixer le regard sur le leurre au détriment du film qu’il a pour fonction unique de faire connaître. C’est un réflexe de frustration qu’il doit déclencher pour activer ensuite une pulsion de visionnage du film susceptible d’apaiser l’inconfort ressenti. Un échange mental est, en effet, attendu entre « l’objet du désir » hors de portée qu’est cet amoncellement de femmes pourtant offertes, et « le désir de l’objet », le film qui lui est associé et qui est, au contraire, très accessible pour le modique prix d’une place de cinéma.
Deux paradoxes énigmatiques
Simultanément, l’attention est retenue par les deux paradoxes de la mise en scène incongrue de ces neuf femmes, car sa solution n’est pas évidente, vu la mise hors-contexte. Même si la morale publique est sauve, il subsiste une contradiction apparente entre cette exhibition impudique de nus entassés et les usages publics de la nudité individuelle : un nu est chose courante, des nus entassés comme celui-ci ne le sont pas. Une autre contradiction apparente oppose les postures et la finalité poursuivie : si on écarte l’effet de surprise pour capter l’attention par un leurre d’appel sexuel inédit, la solution du problème échappe : à quoi jouent donc ces neuf femmes ainsi agglutinées ?
Une métonymie ambiguë
Le sens de la métonymie n’est pas plus évident. On cherche vainement la cause de cet effet que représente l’enchevêtrement de ces femmes nues. S’agit-il seulement, comme pourrait le suggérer le contexte du titre, « Le Bal des actrices », de signifier que le film livre à nu des actrices dépouillées des illusions du maquillage, du costume et de la mise en scène ? La légende de l’affiche le laisserait aussi penser : « Folles, lit-on, fragiles, superficielles, mégalos, sublimes…vous allez les adorer ! » Pourquoi pas ?
Reste le symbole de ces corps qu’on a éprouvé le besoin d’enchevêtrer au point que chacun d’eux tend à perdre sa personnalité et plonge dans l’anonymat : il faut un accommodement de l’œil pour reconnaître telle ou telle actrice. Est-ce à dire que, réduite à sa nudité, une actrice ne diffère pas d’une autre, sauf grossesse de l’une en cours ?
Une intericonicité à images multiples
Viennent évidemment à l’esprit diverses solutions selon le cadre de référence de chacun : sous l’empire du procédé de l’intericonicité, plusieurs images connues peuvent être reconnues dans cette image inconnue qu’est cette affiche. Les pires références, hélas ! peuvent surgir, de la plus vile à la plus tragique, voire la plus odieuse. On songe, au choix, à un amas de pâtes ou à un nœud de vers de terre, voire de vipères. Mais comment se défendre de reconnaître aussi dans ces corps nus enchevêtrés et recroquevillés ces masses de cadavres qu’une pelleteuse pousse vers la fosse commune d’un camp de concentration, comme on en voit dans le film d’Alain Resnais, « Nuit et brouillard » ? Que ce rapprochement puisse être fait, ne suffit-il pas à nier l’humanité de ces femmes qui s’exhibent, encore une fois, de leur plein gré ? Certaines en ont même le sourire aux lèvres.
Ces corps vautrés les uns sur les autres dont l’angle de plongée accroît l’écrasement, seraient-ils alors comparables à ces marionnettes avachies et entassées quand le marionnettiste lâche les fils ? Abandonnées à elles-mêmes, ces pauvres actrices n’auraient-elles donc pas plus de consistance ? C’est hélas ! l’interprétation la moins injurieuse que l’on puisse faire de cette affiche. On se refuse, en effet, à penser que cette affiche du « bal des actrices » poserait seulement une question digne de « L’album de la Comtesse » du Canard Enchaîné : « Est-ce qu’elles se taisent toutes en bas ? » Il n’est pas sûr que, pour en avoir le cœur net, on se hâte d’aller voir le film. Quand le message (le sujet du film) se dissout au point de se réduire au médium (les actrices), qu’y a-t-il donc de si intéressant à apprendre ? Paul Villach
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