L’Algérie française - De 1830 à 1954 - (Volet n° 3)
La Kabylie, le monde berbère.
Les ethnies diverses des habitants de l’Algérie ont très vite retenu l’attention des officiers et intellectuels civils. Cet aspect avait déjà été remarqué du temps de la Régence avant 1830.
« Cette diversité entraîne-t-elle des façons différentes de pratiquer la religion musulmane ?
La connaissance des populations depuis 1830 est devenue plus précise au fur et à mesure des progrès de la pénétration à l’intérieur du pays. C’est le cas de la Kabylie. « Mais comment a-t-on compris la spécificité du monde kabyle et quel sens a-t-on donné au mot ? »
Le mot « Kabyle » a très vite été employé dans un sens aussi large que peu précis, au regard du « particularisme » de la région montagneuse de la grande Kabylie.
Au XVIIIe siècle, le Consul Vallière divise la population de la Régence des Turcs en « Couloris, Maures et Cabayes ».
Voici ce qu’il en dit :
« Le Cabaye [Cabaïle, Kabyle] habite les montagnes, il paraît chaque fois dans les plaines, il change quelques fois de séjour et vit sous les tentes. Il n’est point foulé par les impôts du Prince, il s’y soustrait en se retirant dans les creux de la montagne où il est invincible ».
Vallière souligne, sans s’étendre plus avant, qu’ils parlent une langue particulière.
Mais Baudicour, lui, réserve aux Kabyles une place très importante, tout comme Ernest Renant qui écrit dans la « Revue des Deux Mondes » :
« La société Kabyle fait au socialisme la part qu’il est bien difficile à une démocratie de lui refuser. Ce que nous savons de la constitution des Gaulois rappelle singulièrement l’état social des Berbères… Les qualités de coeur de la race berbère, son esprit d’humanité, de douceur, expliquent les pages héroïques et touchantes du Christianisme africain. »
Baudicour, 20 ans plus tôt avait souligné la « douceur » des Berbères. Celle-ci est mise en parrallèle avec « la dureté de « l’esprit féodal et militaire » des Arabes. Le terme « féodal », dans l’esprit de Baudicour veut dire « société plus hiérarchisée », la société kabyle étant plus égalitaire.
Il précise encore que « le droit, chez eux, ne part pas d’en haut, mais d’en bas ».
L’étude des populations kabyles le préoccupe. Il veut se mettre en rapport avec les chefs autochtones autant que les chefs militaires. Dans sa correspondance, aucune allusion aux chefs kabyles, mais il perçoit l’erreur de leur donner des chefs arabes qui ne sont pas adaptés à leurs coutumes. Il craint des erreurs dans le domaine des institutions et des hommes. Aussi, s’est-il consacré à l’étude de la pénétration française en Kabylie.
En 1842, lorsque Bugeaud avait remonté la vallée de l’Isser, il s’était heurté à Ben Salem, ancien Khalifa d’Abd-el-Kader. Il avait lancé une proclamation destinée à engager les Kabyles à chasser Ben Salem de leurs montagnes. Ce à quoi les kabyles répondent, en affirmant leur particularisme.
« En notre qualité de Kabyle, nous ne connaissons pour chef que des Kabyles comme nous et pour arbitre souverain, Dieu qui punit l’injustice. »
L’esprit d’indépendance des Kabyles se traduit par la reconnaissance des chefs élus, les amines, tandis que dans l’assemblée du village, la djemaa est souveraine. L’assimilation des populations kabyles à celles d’Abd-el-Kader, selon Baudicour, est une erreur d’appréciation.
Les Kabyles professent leur foi islamique se considérant « dans la main de Dieu ». Ils menacent les Français de la « guerre sainte ». Bugeaud, dans son aveuglement n’a pas pris en compte cet aspect-là, des choses.
L’effet est désastreux. Aussitôt une grande assemblée de plusieurs Djeemas a lieu. Ils décident de rentrer en lutte contre Bugeaud.
Le 26 août 1844, Bugeaud occupe Dellys (littoral de la Kabylie). Baudicour proteste contre les méthodes employées. Comme « l’incendie des moissons". Les sédentaires (qui ne peuvent s’enfuir comme les Arabes nomades), sont contraits de camper dans les terres environnantes. Il leur est impossible de faire repousser en seulement une année les oliviers et tous les arbres partis en fumée.
Bugeaud et ses méthodes s’aliénaient les Tribus, alors qu’à contrario, la pacification de toutes la Kabylie était l’objectif essentiel, et le fruit d’un long travail de patience d’hommes suffisamment intelligents pour établir avec les Kabyles des relations solides et de confiance, dans la durée. Bugeaud ne tient pas compte des mises en gardes et des plus vives critiques émises contre lui, notamment à la Chambre des Députés en 1847, où le cas « Bugeaud » est évoqué. Mais Bugeaud, dévoré d’ambition et d’orgueil, qui « régnait en Algérie plus que le ministre de la guerre et le roi lui-même", non seulement n’en tient pas compte, mais le 6 mai 1847, il rentre en campagne en s’appuyant sur le chef autochtone Mokrani à qui il décerne le titre de Khalifa. Mokrani est originaire des confins de la grande Kabylie.
« La mesure est discutable » ; les Kabyles élisent eux-mêmes leurs chefs et n’aiment pas qu’il le leur soient imposés.
Toutefois, en désespoir de cause, Mokrani est acccepté. Baudicour souligne « la fierté sauvage des kabyles » qui révèle bien le véritable sens de l’obéissance à Mokrani.
« Nous lui obéissons, non à cause de lui, mais à cause de toi ! [ Bugeaud ]. C’est toi seul qui nous a vaincus ; lui, sans cela, nul ne nous eût jamais commandé. Aucun homme, ni de sa race, ni d’aucune autre, ne l’avait pu faire avant toi. »
Le recours à Mokrani évite un soulèvement au centre de la Kabylie. Une pénétration systématique était alors hors de propos. "Il aurait été judicieux de demander aux Kabyles la sûreté des communications et la liberté du commerce ».
Mais Bugeaud, qui n’a toujours rien compris de la mentalité berbère, persévère dans son erreur « psychologique ».
1/ Le nouveau chef n’est pas élu par les assemblées kabyles.
2/ Pour légitimer le pouvoir de Mokrani, il établit à ses côtés, un poste français et un bureau arabe ; « hérésie en monde berbère ».
Le Haut commandement ne veut pas réitérer les expéditions de Bugeaud. Les quelques expéditions partielles se sont toutes soldées par un échec, comme celle celle du Général de Barral qui trouve la mort en tentant de soumettre les Beni-Mellikeuch.
En 1850, moins de deux ans après le départ de Bugeaud, l’insurrection des Bou-Baghla vient mettre un terme aux divergences momentanément entre les militaires et les civils.
Qui est Bou-Baglha ?
Il s’agit d’un Marocain condamné pour vol en Algérie. Après un séjour au bagne, en 1850, il revient en Algérie où il se fait passer pour Marabout et prêche la « guerre sainte ». Il parcourt le territoire des Beni-Abbès où s’exerce la juridication du Khalifa Mokrani.
Mokrani dirige à sa guise et le khalifa est devenu un véritable noeud d’intrigues et d’agitation.
Mais Bou-Baghla et ses appels à la guerre sainte ne recontrent que peu de succès. S’affirmant comme « Chérif inspiré de Dieu », il profite du passage des troupes de St-Arnaud à Setif en route pour Ziama et la presqu’ile de Collo, pour soulever toute la région.
L’agitateur Bou-Baghla remporte quelques succès. Les Kabyles n’ayant pas digéré la nomination de Mokrani.
Les généraux Camu et Bosquet organisent une expédition contre Bou Baghla. Et punissent d’amendes les Kabyles complices de Bou-Baghla. Ceux qui refusent de se soumettre voient leurs villages détruits (au nombre de 300 – selon Baudicour).
Les Kabyles, par désespoir devant les dévastations, tentent de pratiquer la politique de la terre brûlée, « anéantir leurs richesses comme l’ont fait les Russes en incendiant Moscou ».
Le Cherif Bou-Baghla, pendant ce temps reste impuni.
Par fidélité aux traditions d’hospitalité, les zouaoua (zouaves) et les Guetchoula donnent l’hospitalité à Bou-Baghla mais n’envisagent pas de lui prêter main-forte ».
En 1852, un nouveau Cherif apparaît, nommé Bou Sebe, vaincu par Mac-Mahon. La fermentation est considérable. Le gouvernement général a décidé l’expulsion de Bou-Baghla.
Une convention est actée entre le gouvernement général et les Zaouaoua (Zouaves). Les troupes françaises entrent en Kabylie, et « les laborieux Kabyles purent se mêler à nos troupes pour percer à travers le pays, des routes praticables aux voitures ».
Il existait déjà des relations entre la France et la Confédération des Zouaves. Ce fut l’amorce d’une pacification en Kabylie, que Baudicour et ses très nombreux amis appelaient de ses vœux. Le Général Daumas appelait les Kabyles, « Les Auvergnats de la grande Kabylie ».
En 1857, toute la Kabylie est pacifiée.
20 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON