• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > L’amiante, les pesticides : le combat « des sentinelles (...)

L’amiante, les pesticides : le combat « des sentinelles »

Le film de Pierre Pézerat « Les sentinelles » montre le courage et l’humanité de héros ordinaires face à certaines multinationales sans scrupule et un État pour le moins passif. Il montre avec sensibilité le processus de prise de conscience de victimes de produits dangereux mis puis maintenus sur le marché malgré de nombreux signaux d’alerte. 

Voici un film qui devrait passer à la télévision aux heures de grande diffusion et qui reste difficile à voir. Remercions le Collectif pour la fermeture de l’usine SNEM [1] qui anime une lutte très semblable à celles du film et le cinéma Méliès à Montreuil qui l’a diffusé ce 11 décembre.

La victoire amère contre l’amiante

Qui aujourd’hui défendrait l’amiante ? Ce produit naturel miracle constitué de fibres ou de duvets cotonneux était « floqué » dans les maisons ou bâtiments dans les années des constructions rapides de l’après-guerre pour ses qualités d’isolant et de calorifuge. 150 000 tonnes étaient importées en France chaque année. Finalement interdit depuis 1997 (bien après nos voisins européens), il est devenu synonyme d’empoisonnement lent et … d’un diagnostic immobilier obligatoire. Chacun l’associe désormais à un nombre massif de cancers ou autres maladies des poumons. Ces maladies ont un bilan humain considérable. 35.000 personnes sont mortes, d’une maladie de l’amiante, entre 1965 et 1995, avant son interdiction.

« Nous attendons entre 50.000 et 100.000 décès par cancer en France durant les vingt prochaines années, dont les deux tiers seront causés par un cancer du poumon et le troisième tiers par les mésothéliomes pleuraux. Ces prévisions sont malheureusement inéluctables, à moins que survienne, entre temps, un progrès thérapeutique. Quoi qu’il en soit, le nombre de cas de cancers survenant jusqu’en 2025-2030 est fixé » avait témoigné le professeur Marcel Goldberg au Sénat [2] en 1996.

Selon l’Organisation internationale du travail, 100.000 personnes meurent chaque année, dans le monde, du fait de l’amiante.

 

L’hommage à un homme debout

Henri Pézerat tenant la banderolle à gauche du comité Anti-Amiante de Jussieu

En France un homme s’est inlassablement battu pour la reconnaissance de ces maladies. C’est Henri Pézerat, toxicologue chercheur au CNRS, qui avait dès 1973 dénoncé les méfaits de l’amiante sur le campus de Jussieu. Il y avait créé un comité anti-amiante qui n’intéressait pas les « avant-gardes politiques » de l’époque.

Dans les usines de matériaux pour le bâtiment, les ouvriers sont les plus exposés, ils sont aux premiers postes des nuisances qui seront disséminées dans la société. Des ouvrières de l’usine Amisol de Clermont-Ferrand avaient fait la grève en 1978. Il apportait leur son expertise et faisait la démonstration des ravages des fibres métalliques dans les poumons.

Le film magnifique de son fils Pierre Pézerat montre cette complémentarité décisive entre victimes et chercheurs, unis par leur courage et leur humanité.

Le combat exemplaire d’Henri Pézerat rencontre celui d’Annie Thébaud-Mony (directrice de recherche à l’INSERM, spécialiste de la santé au travail), auteure du livre Travailler peut nuire gravement à votre santé. Ce combat est possible par leur capacité à se lier à des malades et des victimes de l’amiante issues du milieu ouvrier comme Josette Roudaire -« vous êtes le savoir, nous sommes la preuve« – et Jean-Marie Birbès révoltés par les décès en série de leurs anciens compagnons de travail.

Ils avaient élargi leurs champs d’action à d’autres polluants cancérogènes. Cependant s’ils ont fini par gagner et si l’amiante est interdit depuis maintenant 20 ans en France, ses ravages sont là pour encore longtemps tant la maladie se développe lentement et tant le parc immobilier a été contaminé. Et les poursuites contre les responsables sont entravées de mille façons, les responsabilités diluées et la capacité des victimes à obtenir justice souvent découragée.

 

La bataille en cours contre les pesticides

Un autre type de produits fait des victimes dans un autre secteur d’activité : les pesticides dans l’agriculture. Cette fois le lanceur d’alerte ou la sentinelle est un agriculteur, Paul François qui avait inhalé involontairement des vapeurs d’un désherbant de Monsanto, le Lasso en vérifiant une cuve. Les amnésies, les vertiges, les comas à répétition… l’avaient conduit à l’hôpital pendant près d’un an. ll avait fini par faire le lien entre sa maladie et le pesticide et rencontré Henri Pézerat.

Déni des faits, dénigrement de l’homme accusé de folie, condescendance, menaces, indifférence complice des autorités de l’État, coûteuses batailles juridiques : le chemin du lanceur d’alerte est épuisant.

Hier l’entreprise Éternit, et le CPA Comité permanent amiante, aujourd’hui l’entreprise Monsanto et l’Union des entreprises pour la protection des jardins et des espaces publics (UPJ) ne lésinent pas sur les moyens pour gagner du temps, retarder les décisions qui s’imposent.

Le décès d’Henri Pézerat en 2009 accable les associations et soutiens nombreux mais il crée aussi les conditions de nouvelles mobilisations. C’est ainsi qu’est née l’association Henri Pézerat Santé-Travail-Environnement qui se bat contre plusieurs formes d’empoisonnements impunis.

Le film montre toute l’utilité de cette association qui encourage les mobilisations et les démarches en justice contre les industriels responsables.

Paul François, qui se disait agriculteur de droite se découvre partager avec des ouvriers cégétistes une même exigence de justice et de réparation. Il a eu le courage d’attaquer en justice Monsanto en 2012. Il a été aidé par un avocat engagé François Lafforgue [3] qui n’a pas exigé de rémunération préalable.

Ce combat en rejoint bien d’autres et ce film documentaire en témoigne comme déjà un autre consacré à Irène Frachon la fille de Brest dans la bataille victorieuse contre le Médiator. Un article de ce blog avait étudié « Le lanceur d’alerte : bon citoyen ou délateur dangereux ? » (Michèle Narvaez).

Fait historique, Paul François gagne contre Monsanto qui est condamné à l’indemniser entièrement, Monsanto fait appel. Puis devant la confirmation du jugement en 2015 par la cour d’appel de Lyon, se pourvoit en cassation.

Une lutte qui ne fait que commencer

Le film montre de nouvelles sentinelles soutenues par l’association Henri Pézerat, ce sont les ouvriers agricoles de la coopérative de Nutréa Triskalia, intoxiqués par des insecticides.

Sur ce long chemin pour obtenir que les entreprises soient déclarées responsables et que leurs dirigeants soient exposés pénalement, les victimes trouvent dans ce film et dans la figure d’Henri Pézerat, une reconnaissance morale essentielle. Sur les pesticides, le combat sera très long comme la bataille récente contre le glyphosate l’a montré.

 

Notes

[1] SNEM : Société Nouvelle d’Eugénisation des Métaux- société sous-traitante pour le compte d’Airbus et Safran. La SNEM est l’objet d’une mobilisation intense des habitants de Montreuil qu’elle est soupçonnée d’empoisonner en particulier à cause de l’utilisation désormais illégale en Europe du Chrome 6.

Le site de la mobilisation : https://lusineverte.wordpress.com

[2] Professeur Marcel Goldberg au Sénat

[3] François Lafforgue fait partie du cabinet Teissonniere Topaloff Lafforgue Andreu & associés qui s’est spécialisé dans le domaine de l’indemnisation des victimes de catastrophes industrielles, sanitaires et environnementales.

 

Pour aller plus loin

L’association Henri Pézerat Santé-Travail-Environnement  : http://www.asso-henri-pezerat.org/

Henri Pézerat (1928-2009) sa fiche wikipedia

Le site web du cabinet d’avocat. Celui défend également les riverains contre la SNEM de Montreuil.

Téléchargez le rapport du professeur Goldbert « Exposition à l’amiante et santé – Résultats d’une expertise collective de l’Inserm » dans Actualité et dossier en santé publique n° 17 décembre 1996

Autour du film de Pierre Pézerat

Article de Libération du 6 novembre 2017 sur Paul François, céréalier empoisonné par Monsanto

Article du site Éditions législatives sur les sentinelles

La bande annonce du film

 

Autour de Paul François

Son livre témoignage : Un paysan contre Monsanto, Paul François, agriculteur, Éditions Fayard

L’association Phyto-Victimes Association d’aide aux professionnels victimes des pesticides créée en 2011

 

PDF - 36.8 ko
Exposition à l’amiante et santé

Moyenne des avis sur cet article :  4/5   (4 votes)




Réagissez à l'article

2 réactions à cet article    


  • Attila Attila 18 décembre 2017 12:46

    Que certains produits phytosanitaires soient dangereux, ce n’est pas impossible. Mais le glyphosate n’est pas l’amiante. Il faut lire autre chose que la propagande de militants fanatisés :

    Glyphosate, le nouvel amiante ?

    Monsanto n’est plus le seul fabricant d’herbicide à base de glyphosate, il y a de la concurrence. Le comportement de Monsanto est sans doute criticable, mais se servir du glyphosate pour taper sur Monsanto est injuste vis-à-vis des autres fabricants et des utilisateurs.

    Dans une démocratie normale, on n’impose des contraintes aux citoyens que si elles sont justifiées, ce qui n’est pas le cas pour le glyphosate.


    • François Vescia François Vescia 29 décembre 2017 08:40

      @Attila


      Bonsoir M. Attila,

       

      1. Qui est ce commentateur qui se cache derrière le visage et le pseudo à peine modifié d’un écrivain influent ?
      Vous habitez près d’un champ traité au Glyphosate ou bien en ville ?

       

      2. N’est-il pas simpliste de réduire la confrontation à Monsanto d’un côté et des « militants fanatisés » ? Discréditer les personnes quand les témoignages gênent est un aveu d’échec.

      Monsanto n’est pas le seul fabricant d’herbicide à base de glyphosate en effet et d’autres herbicides ou génériques doivent être mis en cause mais cela ne modifie pas les avis exprimés par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) qui évoque un produit « potentiellement cancérigène » pour les humains.

      Pourquoi si « le comportement de MONSANTO est-il sans doute criticable » (en quoi d’après vous ?) ne voyez vous pas la nécessité de transparence, d’un large débat public, d’une confrontation des arguments. Ce que votre type de réponse et Monsanto ne semblent pas prêts à assumer.

       

      3. Les deux articles du Monde « MONSANTO Papers » (datés du 5 et du 6 octobre 2017) de FOUCART et HOREL ont été rendus possibles par la dé-classification au cours de l’été 2017 de milliers de pages de documents internes à MONSANTO, suite aux procédures judiciaires engagées aux Etats-Unis (aujourd’hui 3500 victimes ou proches de victimes décédées d’un lymphome non hodgkinien, un cancer du sang rare).

       

      4.Ces articles du Monde montrent comment MONSANTO a fraudé, puisqu’il a fait endosser ses propres études « scientifiques » maison (rédigées par du personnel de MONSANTO) à des experts reconnus, avec parution dans des revues savantes, contre des rémunérations tenues évidemment secrètes (ghostwriting), et ce pour contrer « scientifiquement » la décision du CIRC (OMS) qui le 20 mars 2015 déclare officiellement le glyphosate génotoxique, cancérogène pour l’animal et cancérogène probable pour l’homme.

       

      5.Il est fort probable que l’étude sur les agriculteurs américains soit un des contre-feux allumés par MONSANTO sur le plan « scientifique » pour discréditer l’avis du CIRC.

       

      6. Je ne sais pas si Bayer fait une bonne affaire en voulant acquérir MONSANTO.

       

      Bonne année quand même !

      Avec des industriels contrôlables et responsables et une prise en compte sérieuse des inquiétudes et dangers portés par les populations.

      Bien à vous.

      FV 

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité