L’arbre de la connaissance
Il était une fois, au tout premier temps des temps de l’homme sur la terre, une croyance qui plaçait le saumon comme l’ancêtre primordial, le tout premier hôte de la Loire. À ce titre, c’est avec une profonde dévotion que les pêcheurs quand ils parvenaient à attraper l’un d’eux, ce qui n’était pas chose aisée avant que de tendre des filets de barrage au travers de la rivière, lui rendaient honneur avant que de s’en nourrir.
Parmi ces pêcheurs, l’un des plus adroits à manier le harpon était sans conteste le brave Finn, un garçon qui avait appris les mystères de la nature, connaissait les secrets des plantes qui guérissent, savait déceler toutes les traces et les indices trahissant le passage d’un animal. S’il chassait, il ne le faisait que lorsque la faim et l’absence de baies, de racines et de fruits le poussaient à se tourner vers ses amis les bêtes.
Finn avait entendu des récits incroyables évoquant un saumon qui contrairement à ses congénères ne se lançait pas dans la grande migration. Il avait été repéré maintes fois dans la rivière en des saisons où seuls les jeunes, les tacons vivaient dans nos régions. L’animal état de taille fabuleuse, paré de toutes les nuances de l’arc en ciel, il était capable d’après ceux qui avaient eu le bonheur d’admirer ce prodige de bonds gigantesques.
Finn par vanité ou par orgueil voulait attraper ce poisson qui hantait ses nuits. Il ne serait pas dit qu’un autre que lui parvienne à s’en emparer. Il en faisait une question fondamentale, un point d’honneur qui tournait à l’obsession. Le garçon passait le plus clair de son temps à épier la rivière et plus encore la confluence de la Loire et de la Bionne, là où disait-on, le saumon venait manger les glands des chênes sacrés.
Le pêcheur se désespérait de voir le saumon, comme si le poisson avait conscience de sa traque et qu’il se refusait à lui. Il en devenait fou de rage, en perdant le sommeil et l’appétit. Sa quête prenait le pas sur toute autre activité si bien qu’il ne remplissait plus sa mission auprès des siens, celle qui consistait à fournir de la viande ou du poisson quand la nature n’accordait plus d’autres ressources.
C’est au cœur de l’hiver qu’enfin sa vie bascula. Il était comme à l’accoutumée sur la rive à chercher le moindre indice de la présence de l’animal quand son attention fut soudain portée au-dessus de la Loire. Haut dans le ciel un pygargue d’une taille exceptionnelle planait, prêt semble-t-il à fondre sur une proie. Jamais Finn n’avait admiré rapace aussi majestueux.
Soudain, l’aigle pêcheur piqua à la vitesse de l’éclair, plongea dans l’eau et en ressortit avec un somptueux saumon prisonnier de ses serres. Finn n’en crut pas ses yeux, l’oiseau allait s’emparer de son saumon sous son nez. Ce ne pouvait être que lui en cette saison qui n’était pas celle de la grande migration. Son sang ne fit qu’un tour, il s’empara de son harpon et visa le rapace qui, alourdi par sa proie peinait à ressortir de l’eau.
Le trait fut fulgurant, la justesse de son lancer diabolique. Le harpon frappa l’oiseau à la base de ses pattes, assez pour lui faire lâcher sa prise sans le blesser véritablement. Le saumon d’un bond prodigieux passa au-dessus de son prédateur, manière sans doute de lui signifier sa puissance retrouvée tout autant que de le défier s’il voulait recommencer. Le pygargue n’en demanda pas plus, il s’en alla d’un vol irrégulier, se réfugier dans la forêt voisine.
Finn n’avait plus de harpon, il l’avait jeté si loin au milieu des flots que son arme partit, emportée par un courant violent. C’est alors que le saumon, grand seigneur vint vers lui, fit devant son sauveteur, des figures acrobatiques dignes des numéros des dauphins, artistes prisonniers dans des centres de loisirs. C’était sa manière de le remercier.
Le pêcheur en fut ému aux larmes, lui qui avait passé des années entières à ne penser qu’à tuer l’animal. Il en éprouvait un profond remords tant ce qu’il voyait dépassait les plus grands prodiges qu’il avait pu observer dans la nature. Il n’était pourtant pas au bout de ses surprises.
Le saumon cessa ses arabesques acrobatiques et s’adressa à lui : « Je sais qui tu es Finn. Tu me traques depuis des années, tu ne désires qu’une chose, te repaître de ma chair. Je t’ai évité parce que savais que tu étais le seul capable de me vaincre. Le temps n’est pas encore venu de ma défaite cependant quand ma dernière heure aura sonné, c’est vers toi que je viendrai pour le sacrifice final. Je te donne rendez-vous, ici même, dans sept saisons. Mon temps sera passé et viendra le moment de te servir de repas ! »
Finn n’en revenait pas. Le poisson fit alors un bond plus impressionnant que tous les autres et disparut dans le courant. De ce jour, le garçon cessa de pêcher. Il se consacra à des tâches de transmission, d’éducation auprès des plus jeunes même s’il se rendit compte bien vite qu’il ne disposait pas de la sapience des druides.
Sept saisons plus tard, Finn vint à la confluence de la Bionne et de Liger. Il s’interrogeait sur la parole du saumon, un comportement humain en somme quand on est suspicieux par expérience douloureuse. Il avait tort, les animaux ne sont pas ainsi, ni fourbes ni menteurs, ils respectent la seule force qui les dirige : celle de l’instinct.
Ils se retrouvèrent à l' endroit où ils s’étaient quittés. Le bel animal vint vers l’homme et s’adressa à lui. Je te vois ici les mains nues. Ne pense pas que je vais m’offrir à toi sans lutter. Tu dois me mériter. Va chercher tes harpons, tu devras me prendre par la ruse, la vitesse et l’adresse. Je désire un combat loyal dont chacun connaît les règles du jeu. Si je sors vainqueur, il en sera fini de ma promesse. Si tu gagnes, tu seras le seul à me manger. Acceptes-tu mes conditions ? »
Finn sans se l’avouer vraiment fut enchanté de cette règle d’un jeu qui est véritablement celui de la nature. Il promit et affirma au saumon qu’il ne s’accordait qu’une seule possibilité de le tuer en ne prenant qu’un harpon. La journée qui commençait serait celle d’une traque à la vie à la mort entre eux dans le plus pur esprit chevaleresque.
Le saumon en son for intérieur se gaussa de la prétention de l’homme qui dans la bataille qui allait se tenir en ce jour mémorable n’était pas à armes égales. Le chasseur ne risquait en rien sa vie, simplement son orgueil ce qui est, après tout sans doute, le plus grand des enjeux chez les humains. Il donna son assentiment et tous deux fixèrent le périmètre d’une joute qui pourrait débuter au lever du soleil jusqu’à son couchant.
Finn alla quérir son meilleur harpon et se posta sur une branche de saule blanc dominant la confluence. Il fit le guet ainsi toute la matinée sans même apercevoir sa proie. Il faut avouer que le soleil provoquait un effet miroir qui lui interdisait de percevoir le fond des eaux. Il s’ankylosait sur sa branche et décida quand l’astre fut à son zénith de se dégourdir les jambes. Il n’eut pas posé le pied à terre qu’un bond formidable vint le narguer…
Il marcha le long de la rive, attendant les heures précédant le crépuscule pour se remettre sur sa vigie. L’homme savait qu’il n’aurait sans doute qu’une seule opportunité de vaincre, il banda ses muscles, se figea et attendit. Il avait le corps dévoré par les courbatures, il ne sentait plus ses jambes, son dos lui brûlait. Soudain, alors que le soleil disparaissait dans un flamboiement de la rivière, il perçut un reflet, une brève brillance au fond de la Bionne.
Finn lança le trait qui pénétra dans l’eau. Un nuage de sang marqua son triomphe. Il descendit de son inconfortable affût, sauta dans l’eau et s’empara du saumon agonisant. Dans un dernier sursaut l’animal lui dit : « J’ai bien cru avoir gagné la partie. Ta patience a eu raison de ma hardiesse de t’avoir ainsi défié. N’oublie pas, toi seul dois me manger ! »
Finn prépara un brasier au bord de l’eau puis fit griller son trophée. Il se délecta de la chair de son glorieux adversaire quand il sentit en lui une transformation profonde. Il avait le sentiment d’accéder à la sagesse, d’ingérer non pas la chair du poisson mais le savoir, la connaissance qui lui faisait défaut. Il devint par ce banquet rituel le plus sage et le plus savant de tous les druides du pays et n’eut alors de cesse que de transmettre aux enfants, au pied de son arbre de la connaissance ce qu’il avait appris du poisson de la sagesse.
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