L’Arche de Zoé ou les infortunes de la vertu
Sauver des enfants, Arche de Zoé ici, Children Rescue, là-bas tels étaient les noms dont s’affublaient ces civilisateurs d’un genre nouveau partis extirper du bourbier des massacres, les nouveaux innocents du Darfour. Ils n’avaient pas attendu toutes les autorisations, le feu vert du cabinet de Mme Yade ou celui de Mister sac de riz sur l’épaule, ils s’étaient dit, on y va seul, on nous aidera bien et sur place, sur la base d’Abéché, les soi-disant pieds nickelés disposaient de laissez-passer tchadiens véritables et de l’aide logistique de l’armée française. Peut-être avaient-ils en tête cette ONG espagnole qui, avec la complicité de membres de l’appareil d’Etat congolais, n’a cessé d’exfiltrer des enfants vers la péninsule ibérique après qu’on promette aux parents qu’ils seraient hébergés à Kinshasa et éduqués dans les meilleures écoles de la ville. La pauvreté, les exactions d’une guerre qui n’ont d’équivalent que celles de la guerre de trente ans en Europe, avaient convaincu ces familles congolaises de fermer les yeux et de croire aux contes de fées ; au Tchad d’autres considérations sont venues détruire la douce mélopée des Schindler en 4x4.
Si l’on dessine les cercles du Tchad, on trouve, en premier lieu son rapport au monde arabe, en deuxième occurrence la présence militaire française, en dernier lieu, l’irruption, liée notamment à la question pétrolière, de l’acteur chinois.
Que le Tchad s’insère comme une périphérie du monde arabo-musulman est une évidence. Outre les interventions incessantes de la Libye dans ce pays, on trouve désormais relayé par le régime de Khartoum, la stratégie prosélyte de l’Arabie saoudite et jusqu’à un des fils de Ben Laden, alimentant en pétro-dollars la rébellion naissante du clan Déby contre son ogre en chef. Car Idriss Déby Itno, son nouveau blaze, appartient à l’ethnie zaghawa et plus particulièrement au clan gorane, à cheval sur la frontière entre le Tchad et le Soudan, aussi, le Darfour n’est pas pour lui une province lointaine, c’est son locus de naissance, son réservoir de forces. Ajoutons que M. Déby semble maîtriser parfaitement les mécanismes de la mondialisation financière puisqu’il serait compromis dans un trafic de faux dinars du Bahrein, fabriqués en Argentine et écoulés dans un comptoir de change de Kano, ancienne métropole prestigieuse de l’islam nigérian. Pour le deuxième volet des multiples talents de M. Déby, on sait que ce dernier serait tombé sous le charme de la femme d’un de ses fils, indiquant par là que le tyran ne déguiserait même plus ses désirs dans un voile de voracité de velours.
En conclusion, le Tchad comme le Darfour sont le terrain d’une expansion de l’islam sunnite sous sa modalité wahhabite qui entend constituer face à la remuante vague de l’islam chiite, une force noire au même titre que son prédécesseur français. Justement, la France détient dans ce pays trois bases militaires essentielles pour la maîtrise d’un espace qui fait la jonction avec les régions sahéliennes, le golfe de Guinée via le Nigéria, la cuvette congolaise, via le Cameroun et le monde arabe entre océan Indien et mer Rouge, c’est ce qu’on pourrait appeler une zone stratégique, au même titre que l’Afghanistan. En échange de son soutien à un régime tenu en main par les ethnies du Nord, les dirigeants français concernés doivent bien lorgner sur les revenus pétroliers, le maintien des bases militaires, et le face-à-face qui est aussi compromission avec un islam radical en expansion, que le jeu débile avec la Libye entend freiner.
Car une nouvelle fois, les dirigeants français font la guerre pour un autre, roi de Prusse au XVIIIe siècle, Chine aujourd’hui. Les dirigeants chinois se moquent de l’expansion d’un islam sunnite radical, ce qu’ils cherchent ce sont des zones de prospection et d’extraction du pétrole et d’écoulements de leurs marchandises. Pour ce faire, les Chinois s’asseoient sur les massacres du Darfour et déboursent à qui mieux mieux, pulvérisant le gradient de corruption de la Françafrique. Dès lors le régime aux abois du tyran Déby, menacés par une insurrection dont des membres se recrutent dans son clan, a trouvé moyen de respirer et c’est dans ce cadre que se place le coup de sang contre la traite des Noirs et la brusque arrestation de ces messieurs-dames de l’Arche de Zoé. Il s’agit de trouver les moyens de faire entendre aux dirigeants français qu’ils ne sont plus que des maîtres à plaisanterie, des gens qu’on flatte et dont on réclame le savoir-faire militaire, ce n’est plus la France qui rend service au Tchad, c’est le Tchad qui admet l’aide française comme un pis-aller, comme l’a dit Rama Yade, l’Afrique de papa c’est fini, je crois pourtant qu’elle ne comprenait pas bien ce qu’elle énonçait sur un ton de pasionaria de cafétéria.
Pour le reste, Pascal avait mis en garde les moralistes dédaigneux de la glaise, du sperme, du sang et de la poudre à canon, qui veut faire l’ange fait la bête, affirmait-il. Et derrière le cas de cette arche qui démange tant les associations humanitaires, c’est cet ensemble qu’il faut remettre à plat. Ceux qui connaissent la situation au Darfour savent que la guérilla opposée aux guerriers arabes de Khartoum est fragmentée, qu’elle ne vit que du pillage et du trafic de l’aide dite humanitaire et qu’elle détient une contrainte absolue sur la population déplacée des camps de réfugiés, l’arme de la faim. Pour y mettre un terme, Sarkozy a obtenu de l’ONU le déploiement d’une force d’interposition au Darfour. Il est à craindre que les options à venir ressemblent à celles d’hier.
Soit cette force reste l’arme au pied et elle sera victime d’une série d’humiliations et de lâchetés. Soit elle interviendra sans ménagements et l’exercice de son mandat s’accompagnera d’exécutions sommaires et d’une plongée dans la cruauté pour nombre de ses membres. Il suffit pour s’en convaincre de se souvenir des jeux douteux des troupes de choc en Somalie, ou du destin d’un voleur ivoirien étouffant dans un sac plastique en Côte-d’Ivoire.
Nous aurons, dans tous les cas, pour le prix des bons sentiments ce qu’il y a de pire, une alternative où sur une branche des associations humanitaires soutiennent de manière indirecte des meutes guerrières qui ne vivent que de la menace de mort qu’ils font peser sur les populations civiles, de l’autre, une barbarisation lancinante des soldats envoyés en surhommes, protéger les gens au regard éteint.
Le seule sortie possible d’un tel dilemme est politique, elle consiste soit à intervenir et à administrer sous un régime d’occupation les régions tenues militairement en main, l’exemple de l’Irak indique assez les limites d’un tel exercice, soit à mener le boycott des régimes et des factions compromis dans les massacres, ce qui suppose des confiscations, des gels de comptes bancaires, des arrestations, des assassinats ciblés, des opérations de propagande, des soutiens aux oppositions y compris militaires, une forme de guerre de faible intensité donc, soit laisser une faction décimer son adversaire et contempler le spectacle de désolation de villages détruits, incendiés, de corps pourrissants ce qui suppose un abandon par l’Occident de sa pseudo-mission civilisatrice.
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