L’ARPP cautionne une pub banalisant la violence conjugale
La dernière pub de Cuisinella met en scène une conjointe défenestrant son conjoint. Saisie, l’ARPP la trouve « humoristique »…
Dans sa cuisine toute neuve, un homme se pâme de contentement. Par la fenêtre ouverte, on voit le foisonnement des arbres, ce qui dénote qu’on est en étage. Mais la maîtresse de maison arrive, l’air tendu. Brusquement et sans ménagement, elle jette l’homme par la fenêtre, puis s’écrie : « Là, c’est parfait ! ». On entend alors le slogan : « Cuisinella, des cuisines qui donnent envie ! ». La scène est un peu dédramatisée par le fait que l’homme revient par la porte, souriant bêtement, couvert de feuillages.
Cuisinella présente cela comme un « spot décalé ». Effectivement, il y a un décalage, qui est de deux ordres :
- la violence conjugale, qui est aujourd’hui un comportement honni socialement, dénoncé et combattu, est banalisée. Elle apparaît ici comme un rapport normal entre conjoints, de peu de conséquence puisque la victime s’en tire sans grand dommage, voire drôle comme certains le ressentent peut-être au vu de la dernière image ;
- la prétendue non-participation des conjoints masculins aux tâches domestiques est également un comportement régulièrement dénoncé. Mais le spot va en sens inverse : ici, et même s’il semble motivé, l’homme est exclu, et avec violence, de ce champ domestique que représente la cuisine, comme si sa présence constituait un problème, et son éviction la bonne solution.
Un "ton humoristique"
Choquée, l’association Sos Hommes battus a saisi l’Autorité de régulation de la publicité professionnelle (ARPP) le 28 juin dernier. Les adhérents de l’association sont, pour leur malheur, bien placés pour évaluer le film, et pour donner leur avis.
Curieusement, le 2 septembre, l’ARPP a rejeté la saisine, pour le motif suivant :
« En effet le recours à l’exagération et au ton humoristique, puisque la femme se « débarrasse » de son mari uniquement pour admirer la perfection de la cuisine, tout comme le déroulé de la séquence qui reste exempte de danger puisque l’homme réapparaît visiblement indemne, rendent ce film acceptable pour la majeure partie du public. »
Ces motivations posent de nombreuses questions. En effet :
- la violence conjugale est par définition une « exagération ». C’est une réaction exagérée à un conflit. C’est bien pourquoi il n’est pas souhaitable de la présenter comme un comportement habituel, ni, a fortiori, amusant ;
- « l’homme réapparaît visiblement indemne », certes, mais c’est seulement parce qu’on est dans une pub qui s’efforce de pondérer son excès. Dans la réalité il y a des morts et des blessés graves, que ce soit physiquement ou psychiquement. Il est scandaleux de donner à penser qu’une telle scène puisse bien se terminer ;
- enfin, que signifie « la majeure partie du public » ? Quelle proportion de téléspectateurs ont vraiment envie de voir défiler sur leurs écrans des scènes de violence domestique ? Les enfants, dont on ne peut empêcher qu’ils soient confrontés à ce genre d’image, sont-ils en mesure d’apprécier ce qui, dans l’éjection d’un membre du couple (dans lequel ils voient l’équivalent du couple de leurs parents), relève de l’« humoristique » ?
L’explication du laxisme de l’ARPP, qui n’est pas systématique, est peut-être toute simple. Si la victime était la conjointe féminine, la saisine aurait reçu une réponse positive. Mais c’est le conjoint masculin qui subit, et à notre époque, l’image des hommes est tellement dégradée qu’effectivement, cette violence-la devient tout à fait « acceptable ».
24 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON