L’arroseur arrosé
C’est quoi « la vie privée » ? La question est pertinente concernant cet objet, car à force on avait fini par l’oublier. Et voici qu’opportunément l’actualité vient nous le rappeler, et au plus haut niveau de l’Etat. Oui… « Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais », clament habituellement nos élus et dirigeants. Mais non ! Ça ne marche pas toujours comme ça. La preuve… Aussi est-il pour le moins cocasse d’entendre aujourd’hui réclamer le respect à la vie privée par ceux-là mêmes qui ont contribué au fil des ans et des mandats à mettre en place une politique destinée à priver les citoyens de cette « vie privée », au nom de la sécurité, de principes revisités et de la mondialisation – un engrenage qui mène à coup sûr vers une démocratie totalitaire, et une lecture que n’aurait pas désavoué Hanna Arendt.
Comment invoquer la vie privée, quand aujourd’hui l’enfant c’est l’adulte et l’adulte c’est l’enfant, quand la femme c’est l’homme et l’homme c’est la femme, quand la nuit c’est le jour et le jour c’est la nuit, quand le haut c’est le bas et le bas c’est le haut, quand le string c’est le voile et le voile c’est le string, quand le dedans est dehors et que le sacré et le profane ne font plus qu’un ? Confusion et violence garantie. Comment invoquer la vie privée quand la transparence est reine et que les corps sont rois, quand il n’y a plus de vide, d’inconnu et que l’extinction de la lumière et du rire qui permettent toute rencontre n’est plus possible ? Comment invoquer la vie privée quand tout est sous contrôle, sous regards, quand l’articulation se raidit et que la langue finit sous l’opprobre et les mots en bouillie ? Comment invoquer la vie privée quand il n’y a plus de rythme, d’altérité, quand il n’y a plus de jeu et que le multiple se résorbe froidement au profit de l’unique, parce qu’un élément de l’ensemble en est devenu le tout ? Et comment parler de liberté, quand on sait qu’il n’est pas de liberté sans altérité et repères, sans vie privée justement, sans rythme. Et « si on a perdu le rythme, on a perdu le monde », nous prévient Novalis.
Soyons sérieux, puisqu’il est désormais interdit de rire : on ne peut à la fois réclamer le respect à la vie privée et s’employer à en être le fossoyeur.
Marcel Zang
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