L’Art de la guerre à l’heure syndicale
« J’entends les inquiétudes professionnelles des enseignants auxquels j’apporterai les réponses qui permettront de réussir #Collège 2016. » Tweet de madame le ministre de l’éducation nationale et de la recherche, le 19 mai à 20h.
20 mai 2015 parution du décret d’application 2015-544 relatif à l’organisation des enseignements au collège au journal officiel.

Le 16 avril 2015, lorsque naissent les polémiques autour de la réforme du collège, paraît un communiqué intersyndicale1. Les organisations SNES-FSU, SNEP-FSU, SNALC-FGAF, SNFOLC, SNETAA-FO, CGT éducation et SUD éducation, représentant 80% des enseignants du second degré, demandent alors le retrait de ce projet ministériel. Très bien.
Tout le monde semblant uni contre cette mesure, le triomphe des protestataires paraît assuré : 800 000 enseignants en désaccord, 60% des 24 millions de parents d’élèves hostiles aux projets ubuesques des officines de la rue Grenelle. Rajoutons à cela l’opportunisme et la virulence de l’opposition politique (UMP, FN, Front de gauche), les diatribes d’intellectuels médiatiques, l’impopularité inédite de l’exécutif, et les réfractaires ont désormais tous les atouts en mains pour une victoire facile.
Face à un tel front commun, imaginer autre chose qu’un recul du gouvernement et le retrait de la réforme « collège 2016 : mieux apprendre pour mieux réussir » paraîtrait en effet assez aventureux. Paraîtrait. Car en réalité, madame le ministre n’est pas encore vaincue, loin de là.
Comment est-ce possible ? Comment une armée visiblement si puissante pourrait être défaite seulement par quelques éclaireurs envoyés à sa rencontre et presque sans coups férir ? Comment ? Si ces troupes sont menées par de mauvais stratèges, tout simplement. Or, en l’espèce, et trêve de comparaisons, ces pitoyables généraux sont nos grands syndicats.
Disons tout de suite et afin d’éviter tout faux débat, que l’on ne parle pas ici des syndicalistes de terrain, mais bien de leurs directions. Ne pouvant le prouver à coup sûr, nous leur ferons grâce de les accuser de se battre pour l’ennemi.
Imaginons donc que ces directions sont honnêtes. Car si elles sont vendues, vous avez déjà la raison des innombrables défaites des luttes syndicales imperdables. Reste une question qui brûle toutes les lèvres : comment font-ils pour être aussi mauvais ? Réponse : ils ont un traité de stratégie secret, que de orbis terrae concordia s’est procuré en exclusivité !
L’art de la guerre à l’heure syndicale
Comment perdre un combat gagné d’avance ? Comment tout mettre en œuvre pour s’assurer la défaite, même quand ça paraît impossible ? Voici quelques recettes à l’usage de tous les futurs dirigeants syndicaux de la fonction publique !
(et toute ressemblance avec des faits réels n’est peut-être pas fortuite)
- Désespérer ses troupes.
Il s’agit d’être suffisamment grotesque pour que personne ne vous fasse confiance. Même vos militants doivent être amenés à douter de vous et à admettre en public qu’ils ne partagent pas vos faits et dits.
Conseils pratiques : produire des affiches de propagande pleines de couleurs vives et de dessins enfantins pour bien indiquer que vous êtes inoffensifs, avoir des slogans ridicules calqués sur une pub de shampoing, ne jamais reparler d’une réforme que vous avez échoué à contrer afin de donner l’impression que vous n’en aviez rien à faire, toujours publier les mêmes brochures, année après année, traitant de points juridiques et pratiques mais jamais de leur origine ou de leur bien-fondé, favoriser par tous les moyens les luttes d’influences stériles en votre sein, encourager les clans et les querelles personnelles puériles, ne pas défendre un particulier syndiqué rencontrant de sérieuses difficultés parce que »vous travaillez à une solution nationale », signer des compromis mais surtout pas ceux voulus par votre base, s’efforcer de tenir un discours incohérent et contradictoire, organiser de nombreuses réunions locales dont vous ne tiendrez jamais compte, rendre la direction inaccessible et antipathique aux militants, etc.
Il est aussi assez important de bien choisir les batailles dans lesquels vous envoyez vos troupes : privilégiez toujours les causes impopulaires ou inaudibles et optez consciencieusement pour le pire moment pour entreprendre une action nationale. De défaite en défaite, vos obtiendrez des résultats inespérés : abandon et désespoir chez vos militants, et surtout un impopularité grandissante !
Il est aussi assez bénéfique de toujours donnez l’impression d’être surpris par les événements ! Quoi ? Une réforme du statut des enseignants ? Mais d’où ça sort ça ? Auparavant, vous aurez, bien entendu, pris le soin de taxer de complotistes cinglés tous vos militants lisant les projets de lois ou les productions de think tanks. Vous apporterez le plus grand soin à ne jamais faire de liens entre les différentes réformes de manière à empêcher la naissance d’un discours d’ensemble cohérent : apportez cependant le plus grand soin à l’analyse technique de chaque réforme. La pénibilité de ces productions devrait désintéresser le plus grand nombre.
Malgré tous ces efforts, vous ne devriez malheureusement pas avoir réussi à vous débarrasser de tous vos adhérents autres que les représentants nationaux. Que faire de votre base si elle désire faire autre chose que payer sa cotisation ?
- Refusez toute alliance de circonstance qui vous permettrait de remporter un victoire au nom de principes intangibles.
C’est là une règle importante. Souvent, les hasards des événements peuvent fondre dans une même communauté d’intérêt, des milieux que tout oppose à priori. Refuser les mains tendus et dénigrer ces alliés de fortune systématiquement. Justifier le tout au nom de la pureté idéologique. Faites passer pour des traîtres tous ceux qui dénoncent cette erreur stratégique évidente.
- Contenir les forces et les colères de ses troupes.
Si vos adhérents semblent mécontents d’une réforme et ont l’air de vouloir faire autre chose que grogner ou pester, vous devez agir vite ! Faites semblant de prendre la question au sérieux, publier des tracts incisifs reprenant certaines idées de vos militants. Tâchez si possible de les rendre inoffensives. Rajoutez des revendications dont personne n’a jamais parlé et qui dérouteront vos soutiens. Dire que vous allez gueuler au ministère et qu’on va voir s’ils ont compris cette fois ! Dire que vous avez bon espoir. Si ça ne passe pas, déclarer que vous organisez une action à l’échelle nationale, parce que c’est inadmissible et qu’on va voir ce qu’on va voir ! Mettre deux mois à ce que ça aboutisse. La plupart des militants devraient avoir oublié, avec le boulot de con qu’ils se tapent. Si toutefois ce n’était pas le cas, voir étape suivante.
- Organiser une journée de grève et de manifestation nationale.
Ça, souvent, ça les calme. En général, ils espèrent naïvement qu’il s’y passera quelque chose. Attention, la plupart des gens arrivent cependant énervés et assez remontés à ces rassemblements. Il convient de tout de suite briser toute velléité de sérieux. Donnez une ambiance de fête bon enfant au cortège : musique joyeuse, bière, hot-dogs, couleurs gaies. Ça décontenance souvent et en plus ça plaît bien aux lycéens qui viennent s’amuser et draguer. Ressortez les mêmes slogans qu’à la manifestation précédente, ce qui devrait inconsciemment suggérer que ça ne mènera à rien, comme la fois précédente. Veillez aussi à bien choisir un trajet inoffensif, ne passez jamais devant un centre de pouvoir. Pour ce faire, l’aide de la préfecture est recommandée. Laissez les gens marcher avec leurs banderoles et n’oubliez pas d’en avoir confectionné des bien rigolotes avec des jeux de mots. L’objectif étant de bien montrer à ceux qui voudraient en découdre pour de bon, qu’ils sont parfaitement isolés au milieu de gentils naïfs.
Une fois arrivé, dispersion.
Vous avez ainsi rempli un double objectif : montrer aux gouvernements et à vos militants que vous êtes sans danger, et pour ainsi dire déjà battus.
En général, le lendemain, au boulot, c’est la déprime, pfou, les manifs ça sert à rien ! Répétez l’opération autant de fois que nécessaire, mais de manière espacée.
N’oubliez pas que les penchants individualistes de vos adhérents sont vos meilleurs alliés ! Insistez sans relâche sur les dangers encourus, les effets des pertes salariales, les vacances qui approchent, etc. Infantilisez un maximum ! N’oubliez pas de jouer sur le clivage public/privé qui, pour être assez éculé, a cependant fait ses preuves.
N’évoquez jamais l’idée d’une grève illimitée ou de désobéissance ! De toute façon, vous aurez pris soin de claquer toute la thune en Com’ et en affiches multicolores, il ne restera donc rien pour faire office de fond de soutien. De manière générale, inventez tout et n’importe quoi pour que l’effet de raz-le-bol soit canalisé de manière indolore et inopérante.
Comptez aussi sur les médias, qui pour adorer les mouvement sociaux, finissent toujours par s’en lasser et par passer à autre chose.
Quand vos militants sont vraiment désespérés, arrangez-vous pour faire modifier un ou deux points inessentiels et criez victoire ! Traitez tous ceux qui manifestent à votre égard un mécontentement certain, au choix, de réactionnaires, passéistes, staliniens ou « pas réalistes » (ce dernier est très efficace !). Si vous percevez que le triomphalisme sera mal vécu par votre base, optez plutôt pour le « ah ces salauds de droite/gauche qui mènent le pays au chaos ! Vivement les élections ! »
Vous devriez ainsi perdre bon nombre d’adhérents et vous vous rapprochez de vos objectifs annuels.
- À l’impossible, nul n’est tenu !
Parfois, malgré tous vos efforts, des gouvernements renonceront. Ce sont les aléas de la profession. Bien sûr, vous n’y êtes certainement pour rien, il devait y avoir d’autres enjeux, d’autres influences, comme des élections approchant à grands pas ou des désaccords du monde de l’industrie et de la finance. L’important, dans ce cas, est de continuer la lutte ! ça n’a pas voulu sourire cette fois, ça sourira la prochaine fois !
Addenda
listes des erreurs de débutants à ne pas commettre :
- Considérer un mouvement social comme un rapport de force qu’il convient de remporter.
- Avoir une stratégie à long terme.
- Bien identifier ses alliés objectifs et ses adversaires.
- Produire une analyse d’ensemble des phénomènes économiques, politiques et sociaux.
- Utiliser les cotisations comme fonds d’aide aux militants.
- Ne rentrer dans un conflit que si on veut et qu’on peut le gagner.
- Encourager les actions portant gravement atteinte aux intérêts de vos opposants.
- Faire comprendre aux gouvernements que rien ne vous fera renoncer.
- Inciter vos adhérents à faire des sacrifices importants pour faire gagner leur cause ou à prendre des risques.
- Donner un sens historique et politique aux événements.
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