L’assaut de Saint-Denis, retour d’expérience
À la suite de l’assaut mené le 18 novembre contre Abdelhamid Abaaoud et ses complices retranchés dans un appartement à Saint-Denis (93), plusieurs quotidiens ont fait part de nombreux griefs à l'encontre des opérateurs du RAID. Le Monde parle : « d’une opération qui s’est déroulée avec une rare violence et dans une extrême confusion. (...) L’essentiel des munitions ont en réalité été tirées par les policiers d’élite. Aucune mention non plus des raisons pour lesquelles les explosifs disposés par le RAID sur la porte de l’appartement n’ont pas fonctionné. » Cela appelle quelques précisions à décharge. Lorsque le groupe d'intervention arrive sur les lieux, un témoignage laisse à penser que les terroristes réfugiés dans l'appartement sont armés de kalachnikov et pourvus d’explosifs et que des voisins leur étaient acquis...

Il est 4h20 quand les opérateurs s'engouffrent dans l'immeuble de la rue Corbillon avant d'atteindre le troisième étage et de venir placer trois charges sur la porte palière de l'appartement visé. Lors de leur activation, une charge n'explose pas, la porte n'est pas détruite et le vacarme alerte les occupants privant les policiers de l'effet de surprise. Des rafales vont résonner pendant de longues heures, une voisine déclarera : « J'entendais des coups de feu, le sol se fissurer. » La fin de l'intervention est annoncée, il est 11h26. L'"op" a duré sept heures ! Le Monde a rapporté qu'Abdelhamid Abaaoud n'a été atteint par aucun tir et que sa cousine Hasna Aït Boulahcen est décédée « asphyxiée » sous les décombres. Abaaoud lui est décédé dans l'explosion déclenchée par son comparse, un belgo-marocain, des suites du blast (souffle) et par polycriblage (boulons contenus dans le gilet explosif). Parmi les décombres, des milliers d'étuis de calibres différents, un seul pistolet semi-automatique et une arme factice sont retrouvés.
Ce déroulé explique en partie le comportement des policiers qui ne savaient pas à quelle situation ils allaient se trouver confrontés. Le New-York Times parle d'un : « scénario cauchemar » et « pas de doute que la police française a réagi avec bravoure », de faire remarquer qu'« une réponse coordonnée et sans heurts aurait sans doute été impossible pour n'importe quelles forces de police. » Le quotidien américain met cependant en cause la longueur de la chaîne de commandement ; le patron de la BRI a été informé des tirs aux terrasses parisiennes 22 minutes après la première fusillade (carrefour des rues Bichat et Alibert) et sept minutes après la dernière attaque. Selon le New-York Times, cela repose la question d'une « police de proximité » (îlotiers) et de s'appuyer sur l'intervention providentielle et courageuse d'un commissaire de la BAC qui fut le premier à pénétrer à l'intérieur du Bataclan et abattre Samy Aminour avec son arme de service pour enfoncer le « clou ».
Cela me fait penser au spectateur assis tranquillement dans son fauteuil devant son téléviseur qui commente un combat de boxe. Quelles que soient les questions oiseuses soulevées, les membres du RAID et tous leurs homologues n'ont pas attendu les articles parus dans la presse pour se livrer à une séance d'autocritique, debriefing ou RETEX (retour d'expérience). La nature de leurs interventions à venir a radicalement changé. Le rapport de force pour le succès d'une opération a considérablement évolué, au temps de la Guerre froide, on estimait qu'un combattant abattrait une dizaine d'ennemis avant d'être abattu à son tour, avec des terroristes retranchés, ce rapport a « explosé », il faudra sans doute une dizaine d'opérateurs pour neutraliser un seul individu...
Confrontés à des adversaires sachant tirer intelligemment parti du milieu urbain environnant, les effectifs mobilisés seront encore plus importants. Encore heureux qu'il s'agissait d'un appartement occupé au débotté et non d'un appartement loué pour servir de repli, aménagé en conséquence et sélectionné sur des critères prenant en compte : le quartier et sa densimétrie, l'urbanisation, les voies d'accès, l'immeuble, la disposition des pièces, etc. Ce ne serait pas « Fort Chabrol » mais Cameron. On change radicalement d'échelle, et comme il est hors de question de faire intervenir l'aviation et l'artillerie, l'intervention des opérateurs tendra à ressembler à l'action du grenadier-voltigeur en plus compliqué, il leur faudra : épargner les occupants innocents - éviter les dommages collatéraux - ne porter le feu qu'à l'encontre des seuls terroristes pas toujours aussi facile d'identification mêlés à la population civile - sans oublier la prise en compte de la couverture médiatique...
L'adversaire de plus en plus polymorphe pourra disposer de bons abris, d'angles morts, de points hauts, d'obstacles, caractéristiques pour les terroristes et les opérateurs qui pourront avoir tantôt des effets bénéfiques tantôt négatifs (secteur de tir réduit, courte distance, etc.). Lors du « nettoyage » d'un local par exemple, on pratique l'engagement alterné et on ne se déplace que si l'on sait où on va - dos à couvert - prêt à riposter immédiatement. L'instruction devra prendre en compte celle des sapeurs du génie en combat urbain, comme par exemple l'utilisation de charge-gibet pour ouvrir des brèches dans les murs, planchers (combat du haut vers le bas), technique qui aurait très certainement écourté le siège de la rue à Saint-Denis. Le lecteur me pardonnera de ne pas en dire plus sur le combat de localité.
L'instruction individuelle et en groupe restera autant déterminante que le matériel ainsi que le Renseignement humain et technique. Dans le futur, les intervenants seront équipés de lunettes à réalité augmentée capables de délivrer des informations sur leur environnement. La Mairie de Paris réfléchit à la modélisation en 3D des établissements recevant du public ou ERP pour ainsi être en mesure de livrer aux intervenants une modélisation des lieux !
30 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON