L’attentat de Karachi : le sophisme « abracadabrantesque » du président Sarkozy
Elle est bien bonne ! De qui se moque le président Sarkozy ? Lors d’un point de presse, un journaliste de l’AFP l’a interrogé, vendredi 19 juin 2009, sur ce qu’il pensait de la nouvelle hypothèse qui expliquerait l’attentat de Karachi du 8 mai 2008. Ayant fait 14 victimes dont 12 ingénieurs français de l’armement, il aurait été perpétré en représailles après l’annulation par le Président Chirac dans un contrat d’armement du versement de commissions, avec possibles rétrocommisions destinées à la campagne présidentielle de M. Balladur.
Le président Sarkozy en contradiction avec lui-même
À l’en croire, il n’est plus de secret qui tienne. L’univers serait une maison de verre où individus, groupes, entreprises, institutions et États seraient transparents les uns aux autres. Mais il est vrai que, forts de la puissance technologique des moyens de communication qui abolit temps et espace, les médias passent leur temps à faire croire à cette « illusion de l’ information exhaustive » en propageant leur « théorie promotionnelle de l’information ».
Il est étonnant, cependant, d’entendre la même chanson de la part d’un président de la République qui, le 8 janvier 2008, en conférence de presse, s’est fichu de la figure de son parterre de journalistes accrédités : quand vous êtes à mes basques, leur a-t-il dit en substance, c’est que je vous ai sifflés ; quand je ne le veux pas, vous ne pouvez pas m’approcher. Il ne pouvait démontrer plus crûment le contrôle strict qu’il exerce sur son information. Les journalistes accrédités, qu’ils n’en doutent pas, sont réduits à n’être que les porte-parole de « l’information donnée » qu’il entend livrer et rien de plus. En conséquence, l’information qu’il veut dissimuler, qu’on nomme un secret, leur est inaccessible. C’est bien que le président Sarkozy est le premier à savoir qu’il préserve jalousement des secrets. Mieux, il ne doit pas ignorer que sa loi de programmation militaire actuellement à l’étude prévoit une extension du « secret défense » (1).
Le secret, une condition universelle de survie
En cela, le président Sarkozy ne fait que se soumettre au principe fondamental de la relation d’information : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire.
Aucune malignité ne dicte cette règle, mais seulement l’instinct de survie. Nul ne s’expose si possible aux coups d’autrui, les individus comme les groupes, et les États encore moins. Pas de défense ou de stratégie de conquête de pouvoir sans surprendre l’adversaire en lui refusant l’information qui pourrait l’aider à déjouer les manœuvres projetées ! La seule existence de multiples services de renseignements, ou services secrets, suffit à mesurer l’ampleur de l’information dissimulée que chaque État cherche à extorquer coûte que coûte à ses adversaires. L’information, à vrai dire, est comparable à l’illusion de l’iceberg qui montre moins qu’elle ne cache.
D’où l’importance de bien distinguer les variétés d’information : « l’information donnée » est celle que le président Sarkozy, comme tout le monde, livre volontairement parce qu’elle sert ses intérêts ou du moins ne leur nuit pas ; « l’information indifférente » est celle qui est répandue à profusion pour sa futilité parce qu’elle leur nuit encore moins et les sert sans en avoir l’air : le président Sarkozy, avec ses frasques conjugales et amoureuses, comme autant d’os à ronger jetés aux chiens, a su pour faire diversion en gaver les médias qui en ont raffolé. Enfin « l’information extorquée » que n’aime pas le président Sarkozy, est celle qui traque les secrets et qui est obtenue à son insu et/ou contre son gré, comme peut-être cette hypothèse d’explication de l’attentat de Karachi.
Des secrets innombrables
« Un monde où tout se sait et où la notion de secret d’État n’existe plus » est donc une plaisanterie que le président Sarkozy n’a pas craint de lâcher, sachant que l’argument flatte les médias : ne se font-ils pas forts, dans leur promotion incessante, de révéler les secrets, les dessous des affaires pour appâter et épater le client désorienté ?
Faut-il rappeler quelques exemples pour mesurer l’inanité tragique de cette « illusion de l’exhaustivité de l’information » ? Loin d’être celui de la transparence, ce monde est celui du secret le plus opaque. 46 ans après, connaît-on les instigateurs de l’assassinat du président Kennedy ? En 1975, un juge d’instruction français, François Renaud, était assassiné à Lyon : connaît-on davantage les auteurs de ce crime ? Un non-lieu a clos l’instruction. Le 19 octobre 1995, le corps du juge Bernard Borel était retrouvé carbonisé près de Djibouti. La thèse du suicide a été aussitôt répandue. L’instruction s’oriente aujourd’hui vers celle de l’assassinat. Quelles montagnes, sa veuve, Mme Borel n’a-t-elle pas dû soulever pour en arriver là ? Combien de temps faudra-t-il encore pour savoir ce qui s’est passé, il y a maintenant 14 ans ? L’affaire de la prise d’otages de l’école maternelle de Neuilly en mai 1993 n’a-t-elle pas été surprenante ? Des magistrats ne se sont-ils pas posé des questions, même s’ils ont été condamnés en diffamation pour les réponses sans preuve qu’ils y apportaient ? Qu’en est-il des responsabilités dans les multiples affaires de la mairie de Paris ou de l’Ile-de-France : les condamnés à de menues peines en étaient-ils les véritables responsables ? Les attentats de New-York du 11 septembre 2001 sont-ils eux aussi à ce point transparents qu’aucune question ne se pose ? Etc.
Inutile de poursuivre l’inventaire ! Chacun est à même d’y ajouter sa provision d’exemples. On reste donc pantois à entendre le président Sarkozy proférer pareille ineptie en guise de réponse. Elle se retourne, en fait, contre lui. Rien d’étonnant, peut-on lui répliquer, qu’il ait fallu 14 ans pour que cette hypothèse de représailles fît surface, puisque le secret est la règle ! On serait donc en présence d’une information extorquée par enquête critique méthodique que le président Sarkozy chercherait à discréditer selon un sophisme enfantin fondé sur une prémisse majeure erronée : puisqu’ « on est dans un monde où tout se sait, où la notion de secret d’État n’existe plus », l’information de prétendue représailles aurait due être connue dans les années, sinon les mois, qui ont suivi l’attentat. Or, il a fallu 14 ans, un temps trop long au goût du président pour qu’elle le fût. Donc elle n’est pas fiable. Seulement d’une hypothèse infondée, on ne peut tirer qu’une conclusion qui l’est tout autant. « Franchement c’est ridicule ! C’est grotesque ! Qui peut croire à une fable pareille ? » s’est moqué le président Sarkozy. Oui, qui peut croire la fable qu’il a servie lui-même ? C’est même « abracadabrantesque », comme dirait quelqu’un d’autre ! Paul Villach
(1) Paul Villach, « Le projet gouvernemental d’extension du « secret défense » : « une société de l’information » ou « une société du secret » », AGORAVOX, 17 juin 2009.
(2) Paul Villach, « L’affaire Borrel, une affaire d’État, opportunément rappelée aux bons souvenirs de qui ? », AGORAVOX, 20 mars 2009.
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