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Accueil du site > Tribune Libre > « L’aveu » des barbares à Prague et à Bratislava

« L’aveu » des barbares à Prague et à Bratislava

Un voyage à Prague et à Bratislava réserve des surprises. Ce n’est pas tant que la réputation de Prague soit surfaite et celle de Brastislava, sous-estimée. Non ! Prague est bien la merveille architecturale attendue et Bratislava vaut plus que le détour avant de gagner Vienne. La surprise vient de ce qu’on ne parle pas en général de la balafre que des barbares ont laissée derrière eux dans le coeur même de ces deux villes.

On la découvre avec stupeur sur place. Il est entendu qu’elle n’est qu’une image gravée dans le sol de la répression totalitaire qu’ont subie les peuples de ces deux capitales pendant près de cinquante ans.

En haut de la place Wenceslas, une autoroute...

Prague, on le sait, est la capitale de L’Aveu, titre du livre d’Arthur London publié en 1966, et du film que Costa-Gavras en a tiré en 1970. Or, ce qu’on lit à même son sol est aussi une sorte d’aveu mais d’un autre genre. A. London, comme les autres accusés, on s’en souvient, avaient été contraints, en 1952, d’avouer des crimes qu’ils n’avaient pas commis en échange d’une possible mansuétude, refusée pour finir à la plupart. L’atteinte à l’urbanisme séculaire d’une ville, lui, est un aveu involontaire qui désigne ses auteurs comme les saccageurs de l’Histoire d’un peuple et donc de son esprit.
On ne sait pas assez que, tout en haut de la place Wenceslas - cette sorte de cours plutôt, formé de deux contre-allées qui descendent de part et d’autre d’un jardin longiligne, et que ferme le musée national - passe, au pied même des escaliers du musée, entre la belle fontaine à trois vasques superposées d’où l’eau retombe en couronne perlée, et la statue équestre de saint Wenceslas, l’autoroute qui traverse le pays d’Ouest en Est. Dans le vrombissement des voitures, les visiteurs du musée ont intérêt à faire attention pour ne pas se faire écharper en entrant comme en sortant. On ne pouvait mieux éventrer un des centres historiques de Prague, cadre de tant de manifestations populaires, en particulier pendant la période dite du « Printemps de Prague » quand le peuple tchèque a cru pouvoir secouer le joug soviétique ; le 16 janvier 1969, après le retour de l’hiver totalitaire, un jeune homme désespéré s’y est immolé par le feu, Jan Palach.
On peut tout ignorer de l’urbanisme et être cependant atterré devant une telle abomination urbanistique. Or, la réponse est toute simple : il se serait agi, sous la domination soviétique, d’ouvrir une voie rapide pour acheminer au plus vite les chars de la répression en plein cœur de la ville. Face à ces impératifs, on le devine, l’architecture d’une ville et sa mémoire ancestrale ne pèsent pas lourd. Il faut seulement s’estimer heureux que l’autoroute n’ait pas emprunté la place de la Vieille-Ville et le pont Charles.
On sait que la ligne droite dans une ville est la préoccupation majeure de tous les pouvoirs tyranniques. L’exemple vient des Romains qui construisaient une ville comme un camp militaire avec ses deux axes centraux se croisant à angle droit : le déploiement de la troupe en était facilitée. Sous Napoléon III, en France, Haussmann a eu la même préoccupation en taillant dans le vif des artères rectilignes dans Paris : la volonté d’aérer Paris s’accordait avec celle de contrer les insurrections populaires qui n’avaient cessé de se succéder depuis 1789. Mais à Rome comme à Paris, on avait eu au moins le souci de la beauté du paysage urbain.

Sur le parvis de la cathédrale Saint-Martin, une autoroute...

On ne peut pas en dire autant à Bratislava qui comme Prague exhibe une plaie ouverte qu’on évoque rarement. L’entaille est d’ailleurs encore plus cynique qu’à Prague. Car un pont nouveau (Novy most) a dû, en plus, être construit sur le Danube. Et les artistes militaires de l’ère soviétique n’ont rien trouvé de mieux entre 1967 et 1972 que de le jeter sur le fleuve de manière à faire passer l’autoroute exactement entre la colline du château et la cathédrale Saint-Martin dans le cœur historique de Bratislava. Et là, inutile de chercher à entrer dans l’église par un porche ouvrant sur la nef, il n’y en a pas : les voitures défilent quasiment sur le parvis à une dizaine de mètres à peine. Sans doute, le tort de cette église gothique, à l’époque de ce renouveau urbanistique soviétique, a-t-il été d’être d’abord une église dont on se fichait pas mal qu’elle fut aussi une œuvre d’art, et d’avoir ensuite accueilli les couronnements des rois de Hongrie. Quant au quartier juif et à sa synagogue, ils ont été purement et simplement détruits.
C’est un peu comme si, à Athènes, on avait fait passer une autoroute en plein milieu de la Plaka pour isoler l’Acropole de la vieille ville. Ceux qui en reviennent, ont pu voir, au contraire, que le boulevard Apostolou Pavlou au trafic intense qui passait autrefois entre l’Acropole et la Pnyx puis le Mouseion, a laissé place à une délicieuse promenade piétonne que les promeneurs envahissent les soirs d’été.
Aurait-on eu idée à Paris de faire monter l’autoroute A6 de la porte d’Orléans à la porte de Clignancourt en passant par le parvis de Notre-Dame ?

Le projet de réunir la place Wenceslas au musée national, en enterrant l’autoroute, serait, dit-on, dans l’air. Quant à celui de rendre à la vieille ville de Bratislava les pentes de son château et le parvis de sa cathédrale, a-t-il même germé dans les têtes ? Ne faudrait-il pas pour cela déplacer ce malheureux pont, « Novy most », dont le mérite sans doute était, à l’èpoque soviétique, d’atteindre le cœur de la ville au propre comme au figuré. On pouvait croire que ce saccage urbain était réservé jadis aux sites archéologiques qui n’intéressaient personne, à Aquiléia, par exemple, en Italie du Nord, dont le forum est traversé par la route menant à la lagune de Grado, ou encore à Paestum, en Campanie, dont une autre route a coupé carrément l’amphithéâtre en deux. On voit au contraire que même une ville sublime comme Prague ou seulement belle comme Bratislava n’ont pas du tout impressionné les barbares. Paul Villach

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9 réactions à cet article    


  • QUENTIN QUENTIN 16 octobre 2007 19:43

    Merci pour le voyage en Italie, n’oubliez pas demain le voyage des naufragés de l’eau départ le 17 octobre 1961 et arrivée le 17 octobre 2007, journée internationale du refus de la misère ? Un bon livre Fin de l’Europe des Lumières de Ian Buruma, ce livre s’intéresse cette fois non plus à la Chine mais aux Pays-Bas Voyage en France ? continuité des relations et réseaux d’amitiés particulières ? Des médailles et des basiliques dans le désert du Larzac ou ail’Eure en aurait-on eu l’idée ?

    « Venance Konan, journaliste écrivain » Venance Konan (journaliste-écrivain) : “Jeunes patriotes, voici comment vos patrons du FPI se moquent de vous”- La Refondation, la France et la françafrique jeudi 11 octobre 2007

    "....la décoration par le président français Nicolas Sarkozy de M. Robert Bourgi, en présence de M. Eugène Allou, directeur du protocole d’Etat de Côte d’Ivoire. Qui connaît M. Robert Bourgi en Côte d’Ivoire ? Pas grand monde, à part peut-être quelques anciens étudiants de la faculté de droit d’Abidjan, comme moi, qui l’avons eu comme professeur. Qu’a-t-il fait pour la Côte d’Ivoire ? Rien de connu du grand public. Mais le parcours de M. Bourgi pourrait nous aider à mieux comprendre. Son père, un riche commerçant d’origine libanaise de Dakar, était l’un des grands piliers de ce qu’on a appelé le réseau de Jacques... ...une poignée de main, entre notre chef et celui des Français lors de l’Assemblée générale de l’ONU. On obtint finalement la poignée de main. Quelle joie ! Quel bonheur ! La photo fit la « une » du journal gouvernemental et notre chef ne put s’empêcher d’en parler lors de sa conférence de presse, en précisant que M. S et lui se téléphonaient. Et maintenant c’est le directeur du protocole d’Etat qui...." suite du feuilleton sur http://www.lenouveaureveil.com/a.asp?n=268319&p=1743


    • Stéphane Jean steph 17 octobre 2007 04:14

      Merci pour votre article qui parle de ces deux capitales surprenantes.

      Au risque de vous surprendre moi je l’aime bien ce nouveau pont novi most à Bratislava ! La tour qui le surplombe est superbe, on dirait une tour de controle, et le contraste avec le château a côté est impressionnant. Sans parler de la vue imprenable depuis ce pont (et encore je ne suis pas monté en haut de la tour mais j’imagine que ca doit etre possible). Et le passage piétonnier rempli de tags juste sous l’autoroute, un vrai bonheur... Et oui ce pont est à deux étages !

      Quant à l’autoroute sur le parvis de l’église, je vous accorde que c’est complètement nul ! smiley


      • Denis COLLIN Denis COLLIN 17 octobre 2007 09:10

        L’architecture stalinienne n’est tout de même pas une exception. Car comment qualifier les balafres que Pompidou a infligées à Paris au point de défigurer cette ville magnifique ? Le front de Seine rive gauche, le centre Pompidou, la tour Montparnasse ... ça vaut bien les « grandioses » réalisations staliniennes. Quant à l’enlaidissement systématique de nos villes par les parcs de hangars de supermarchés, cela suffit pour qualifier l’époque dans laquelle nous vivons et l’idéologie dans laquelle nous sommes invités à communier.

        Denis Collin http://denis-collin.viabloga.com


        • Manuel Atreide Manuel Atreide 17 octobre 2007 09:52

          Cher Denis Collin ...

          votre commentaire n’a que peu de rapport avec le sujet du papier. Vous parlez de ces opérations d’urbanisme en les qualifiant de ratage, mais ce n’est que votre opinion. Beaubourg est architecturalement une petite merveille d’ingéniosité, de pensée élégante et originale. Ce musée n’a pas été construit pour défigurer la ville ou pour assurer une mainmise politique ou militaire sur une ville.

          Cela vaut aussi pour les autres quartiers ou immeubles dont vous parlez, quel que soit l’avis esthétique qu’on porte dessus.

          Paul Villach ne nous fait pas un papier sur le thème du cétémieuavan, il nous fait un papier sur le totalitarisme et sa traduction dans l’urbanisme. Ce n’est pas vraiment la même chose.

          Manuel Atréide


        • Denis COLLIN Denis COLLIN 17 octobre 2007 12:06

          N’étant totalement idiot, j’avais bien compris mais je faisais remarquer que le lien entre l’urbanisme et le stalinisme n’a aucune consistance. Inutile de faire du jadnovisme à l’envers et juger tout en fonction du régime politique. L’urbanisme soviétique est généralement laid mais pas parce qu’il est « soviétique »... puisque sa ressemblance avec l’urbanisme « capitaliste » est souvent frappante. Cette ressemblance a une source, le culte du progrès industriel, d’où le rapprochement pas si incongru que ça entre le pompidolisme urbanistique et l’urbanisme stalinien (ou fasciste d’ailleurs : Rome porte encore les stigmates de l’époque mussolinienne). .


        • docdory docdory 17 octobre 2007 12:11

          @ Paul Villach

          La France , toute démocratique qu’elle prétende être , a ses accès de barbarie vis-à-vis du paysage . Outre les voies sur berge et la tour Montparnasse sus mentionnées , il y a eu aussi une tentative , heureusement abandonnée , de mettre un parc à thèmes à coté du château de Chambord pour le « valoriser » , une autre tentative de faire passer une autoroute juste à côté d’une petite ville pittoresque de la Loire et de son château ( Langeais , je crois mais je n’en suis pas sûr ) , d’autres paysages ont été saccagés ( la fameuse « Marina baie des anges » ) . A Rouen , ville que je connais bien puisque j’y habite , la belle forêt domaniale du Rouvray a été littéralement éventrée , malgré l’opposition massive de la population , pour construire une « rocade sud » totalement inutile puisqu’à quelques kilomètres plus au sud , l’autoroute Rouen-Paris faisait déjà office de rocade sud !

          Si la barbarie constituée par ces dégats est due à l’absence de démocratie à l’époque du communisme ou d’autres dictatures ( ça se voit encore en Chine , où le barrage des trois gorges a créé des destructions majeures ) , elle traduit dans les pays comme le nôtre un affaiblissement inquiétant de la démocratie locale , les protestations citoyennes ne pouvant pratiquement jamais infléchir des politiques de bétonnage , tant les intérêts financiers des entreprises de travaux publics sont puissants , sans compter le lobbying et les pressions qu’elles exercent sur des élus locaux , lesquels feraient mieux d’écouter les citoyens , qui ont souvent voté pour eux faute de mieux !


          • Paul Villach Paul Villach 17 octobre 2007 13:10

            Je souscris une fois de plus à la pertinence de votre commentaire. Dénoncer la barbarie totalitaire qui a saccagé des villes aussi belles que Prague et Bratislava, n’empêche pas de balayer aussi devant notre porte. Paul Villach


          • QUENTIN QUENTIN 17 octobre 2007 14:07

            Bonjour à Rouen depuis la capitale de l’Eure affectée Ankor à la région Haute-Normandie.

            Nous avons aussi, de très récente facture, hérité d’un blockhaus hérissé de piques mais heureusement pas encore de tessons de bouteilles ni de décharge électrique à qui s’en approcherait de trop près.

            Il s’agit du siège gigantesque érigé pour la petite communauté d’agglo, dommage que je ne sache infiltrer une photo sur mon commentaire salé de mauvais goût à propos des beautés architecturales, cela pour demander un avis ou une confirmaton à propos de l« architecture moderne ». Ceci explique peut-être cela : les lieux de cette tour infernale érigée sont en zone ZFU ou ZRU, crédits d’impôts et manne européenne ?....

            Il y a quelques 25 ans j’avais connu de bons militants architectes franciliens, nous fréquentions le même petit groupe et nous réunissions à 4 ou 5 ensemble bien que ma profession n’aie vraiment rien eu à voir avec la pierre (ni « Le successeur de Pierre » - un bon livre hors sujet du monumental mais je n’ai pu ou su résister pas à faire quelques secondes de publicité gratuite pour cet excellent auteur scientifique et de plus romancier de science fiction ou science frictions, auteur qui avec Rembrandt et Calvin et d’autres sait si bien décrire les dérives totalitaires et tordre le bâton de la « modernité » obligatoire jusqu’au bout, effet boomerang, sans doute un utopiste ou un visionnaire ?)

            Reprenons le sujet sans encore dériver vers les marchands du temple d’Ankhor ou d’aillEure : ces élèves architectes militants m’avaient fait découvrir beaucoup sur leur métier, malheureusement déjà en ce temps là empli d’ emplois précaires. Ils et elles étaient ceux qui, de temps en temps, étaient appelés de toute urgence, le jour, la nuit pour les charettes issues de commandes publiques ou privées.

            Vivent le BTP Bouygues, Vinci, Bol au Ré de la côte de l’île ou Lille ou la Défense ou etc... ceci n’est qu’un près petit et bas appel SOS car j’ivoirien de bien émouvant ou flamboyant, artistiquement parlant dans cette architecture des « temps modernes » des siècles 20 et 21


          • QUENTIN QUENTIN 17 octobre 2007 12:13

            « Beaubourg est architecturalement une petite merveille d’ingéniosité, de pensée élégante et originale » ah oui ? et quelques 20 ans après c’était déjà à refaire et puis ceci-cela ce n’est que votre opinion à vous aussi, d’ailleurs les « opinions » ce n’et guère fouillé

            et le trou des Halles c’est beau ? et la BNF ? et etc... chaque gouverneur de la république 5ème a voulu poser son empreinte sur les murs de la ville c’est beau une ville la nuit Notre Dame de Paris, le Panthéon, la Tour de Pise,la cathédrale de Koln, le Colisée, les tours de Venise, de Bologne,Pise, San Geminiano, etc sont toujours debout même si elles penchent vers la gauche un peu, le temps des guerres a rendu son « office » pour détruire Le Havre, Amiens, Trêves, etc...

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