L’échec retentissant de la diplomatie française au Moyen Orient
La défense des droits de l'Homme et les calculs géopolitiques destinés à protéger les intérêts de la France ont abouti aux résultats inverses, dans une course sans fin vers l'absurde.
On critique souvent les présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande pour leur bilan intérieur mitigé, voire catastrophique, selon les points de vue. Le taux de chômage structurelle au-dessus de 8%, l'explosion des déficits, le gonflement de la dette et la détérioration de l'ensemble des services publics, de l'éducation au transport en passant par les entreprises d'État et la santé, tout concorde à démontrer les ravages de la politique néolibérale.
Mais un aspect reste souvent peu discuté, celui de la politique étrangère et de la diplomatie. À la lumière des récents évènements, il devient évident que l'ampleur de l'échec s'inscrit dans le registre de l'absurde.
Jugez plutôt.
Tout part des attentats du onze septembre 2001 et de la politique américaine de "guerre contre le terrorisme". L'invasion de l'Afghanistan (2001) puis celle de l'Irak (2003), illégale et sous couvert de faux prétextes, propage le terrorisme à travers le Monde.
Georges Bush parlait "d'axe du mal" en citant l'Irak, l'Iran et la Corée du Nord. Durant l'occupation des territoires "libérés", l'armée américaine mène une répression brutale contre la résistance toute aussi volente des djihadistes qui affluent en Irak et en Afghanistan. Le recours à la torture et l'humiliation, non seulement des suspects accusés de terrorisme, mais également des soldats du régime déchu de Sadam Hussein pose les bases de ce qui deviendra l'état islamique.
Le retrait progressif des troupes américaines (2009) est facilité par la formation d'une nouvelle force de maintien de l'ordre irakienne, recrutée dans des milices tribales et majoritairement chiites. Opprimés sous le régime de Saddam, les nouveaux maîtres de l'Irak répriment durement les populations sunnites, favorisant l'apparition de Daesh.
Ces deux armées, les milices chiites formées à la violence et la torture par l'armée américaine, et l'ancienne armée irakienne humiliée et torturée par cette même armée, se sont affrontées à Mossoul dans un véritable bain de sang dont les premières victimes furent les civils (un million de réfugiés, quarante mille morts). Les crimes contre l'humanité commis lors du siège de Mossoul symbolisent l'échec cuisant de l'interventionnisme occidental.
L'axe du mal de Georges Bush s'est renforcé. La Corée du Nord possède désormais des missiles intercontinentaux et des armes atomiques, l'Iran jouit d'une influence considérable en Irak et en Syrie, l'Irak est en proie au chaos.
La France entre en scène
L’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir marque un tournant atlantiste de la politique étrangère française, jadis suffisamment perspicace pour prendre ses distances avec la folle entreprise américaine.
Tout débute avec l'intervention en Libye (2011) qui plonge ce pays dans le chaos. Les armes fournies aux rebelles islamistes se retrouvent dans les mains des djihadistes qui traversent le Sahel pour arriver aux portes de Bamako, forçant le président Hollande à faire intervenir l'armée française pour éviter que le Mali tombe sous contrôle d'Al Qaida. L'hémorragie est stoppée, mais voilà qu'éclate une nouvelle révolution en Syrie.
Ignorant l'expérience passée, François Hollande prend unilatéralement parti pour la rébellion et appelle Assad à se retirer. Dès 2012, l'opposition se trouve renforcée par des groupes de djihadistes armés et financés par les deux plus gros acheteurs de matériel militaire français : le Qatar et l'Arabie saoudite. Ils prennent d'assaut l’est d'Alep (une ville qui ne s'était pas soulevé contre le gouvernement) et bombardent pendant trois ans les quartiers ouest abritant les populations chrétiennes, avec le soutien tacite de la France.
Pourtant, dès 2013, l'ONU publie un document alarmant qui témoigne de l'état du rapport de forces en Syrie. On apprend que les rebelles "laïcs" sont en position très minoritaire face aux groupes terroristes (Al Nosra filiale d'Al Qaida et Daesh). Le conflit s'enlise, et le recours confus aux armes chimiques pousse la France à livrer de nouvelles armes à la rébellion, qui atterrissent majoritairement dans les mains d'Al Nosra.
Avec le droit international de son coté, la Russie entre ensuite dans la guerre afin d’éviter que son allié Assad tombe face aux attaques de Daesh.
La France, impuissante, décide de se concentrer sur l'Irak en rejoignant symboliquement les USA dans leur effort désespéré d'empêcher Bagdad d’être capturée par les forces de Daesh.
En réponse des frappes francaises, l'EI commet des attentats en plein coeur de Paris, tandis que des flots de réfugiés syriens affluent en Europe, depuis la Turquie et la Libye.
Au nom de la défense des droits de l'Homme, la France a semé le chaos en Libye, et sans les efforts russes, aurait précipité la chute de la Syrie dans les mains des djihadistes.
Lors de la bataille d'Alep, la diplomatie française, puis l'ensemble des grands médias hexagonaux prennent unilatéralement parti pour les rebelles dirigés par Al Nosra dans ce qui deviendra le plus grave fiasco journalistique récent. Ils vont jusqu'à relayer les images de propagandes des islamistes, déclenchant une émotion qui facilite le départ de centaines de citoyens français déterminés à rejoindre le Djihad pour combattre Assad.
Désormais liée à la coalition américaine, l'armée française participe à des crimes de guerre en Irak (selon Amnesty International) en massacrant les populations civiles utilisées comme bouclier humain par les combattants de Daesh.
En parallèle, la démocratie recule en France. Le prolongement de l'état d'urgence est utilisé pour réprimer les opposants politiques et restreindre le droit à manifester. La condamnation de la CEDH et des ONG qui n'hésitent pas à parler de violation des droits de l'homme n'y fait rien. Censé rassurer une population apeurée, l'état d'urgence offre une victoire morale aux organisations terroristes indirectement soutenues et armées par la France. Leur propagande est relayé dans nos journaux télévisés tandis que leurs financiers (Qatar, Arabie saoudite) jouissent de l’appui diplomatique de l’État Français, entre autres dans leur entreprise génocidaire au Yémen.
Le comble de l'absurde est atteint en 2017. Les ONG dénoncent le non respect des droits de l'homme et le recours à la violence contre les réfugiés présents sur notre propre sol. Des populations qui fuient les guerres que la France a causées, soutenues ou entretenues.
Bilan absurde
En résumé, nous avons appuyé des pays soutenants le Djihadisme, bombardé les dictatures le combattant (au nom des droits de l’homme) tout en apportant une caution médiatique et militaire aux organisations terroristes qui leur faisaient face. Pour éviter que les réfugiés affluent en France, nous signons des accords honteux avec le régime autoritaire turc et les seigneurs de guerres libyens, tout en gazant et violentant les réfugiés arrivés sur notre sol. Tout ça pour la défense des droits de l’homme.
Un second axe de lecture s'appuie sur le rôle des matières premières. Le Qatar et l'Arabie saoudite espéraient faire passer un pipeline par la Syrie pour alimenter le marché européen, ce qui aurait considérablement limité notre dépendance au gaz russe. Mais Bachar al Assad soutenait un projet concurrent, porté par la Russie, qui visait à relier l'Iran à l'Europe (cf ce résumé). Si l'objectif des Européens, qui ont tant fait pour convaincre Obama de faire tomber Bachar après les attaques chimiques de 2013, était de renforcer leur position, on appréciera l'impact du flux de réfugiés sur la cohésion de l'UE et sa vulnérabilité diplomatique. À défaut d'indépendance face à la Russie, nous voilà soumis au chantage de la Turquie et de la Libye.
Il ne reste plus qu'à approuver la guerre contre l’Iran souhaité par Washington, et la boucle de l’absurdité sera bouclée.
Notes : bien conscient de l'existence de raccourcis dans ce récit, nous recommandons la lecture des sources indiquées, et de notre article "D'Alep à Mossoul, lecons d'une double tragédie" pour approfondir les questions posés. En aucun cas ce texte se veut un soutient aux dictatures mentionnées.
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