L’échelle des âneries
À force d’écrire des âneries, on finit par trouver ça intelligent. Alors on écrit encore. Mais comment faire le tri dans tout ce fatras ? Peut - être existe-t-il une échelle des âneries pour classer tout ça ? A Bullshit Scale, pour parler globish ?
« J’en enfile des perles, et pas qu’un peu monsieur ». Il faut féliciter l’auteur de cet aveu, et non pas le moquer. En effet, de nos jours il faut être diablement éclairé pour prendre conscience que ce qui sort de votre plume aurait mieux fait d’y rester.
Et personne n’est à l’abri. Du débile complet au sachant qui sait tout, jusqu’à l’auteur de ce papier évidemment. Tous peuvent tomber dans le piège à encre. Car l’écriture est capiteuse, capable d’halluciner de sottes pensées en traits d’esprits. On attrape vite le melon armé d’un clavier ou d’un stylo.
Et pourtant, il ne suffit pas d’écrire pour libérer la pensée. La pensée ne se décrète pas, elle ne s’invente pas une fois posés les doigts sur le clavier ou la pointe du stylo sur le papier. Par contre, l’ânerie si. L’ânerie n’a aucun problème d’agenda, elle se rend toujours disponible. Du lundi au Dimanche, 24 heures sur 24 heures, il est toujours possible de pondre des âneries. D’ailleurs, non seulement c’est possible, mais c’est inévitable.
Nous écrivons tellement. Qui peut croire que nous avons autant de choses intéressantes à raconter ? Vu la quantité d’articles pondue en continu, nous sommes condamnés à quelque misère intellectuelle. On ne peut pas satisfaire ce besoin de noircir du papier ou des écrans par les seuls faits du monde ou de l’imaginaire. Forcément, il faut aller chercher l’inspiration dans le stock d’âneries disponibles, car lui il est inépuisable.
On pourrait alors choisir de moins écrire ? Impossible. Il faut écrire. Parce que ne pas s’écrire c’est s’effacer. Ecrire permet d’occuper l’espace. Et qu’importe si l’espace occupé l’est par du vide : « Les conversations de Charles étaient plates comme un trottoir de rue, les idées de tout le monde s’y promenaient », Flaubert et sa Madame Bovary.
Même le scribouillard n’est pas dupe. Il sait au fond de lui qu’il n’écrit plus que des âneries. Pas question de s’arrêter pour autant, c’est plus fort que lui. Le silence serait inaudible. « Monsieur de Chateaubriand croit qu'il devient sourd car il n'entend plus parler de lui », Talleyrand
A Bullshit Scale
Alors puisqu’il faut écrire, et qu’il sera forcément écrit beaucoup d’âneries, pourquoi ne pas tenter de les classer ? Il existe bien une échelle pour les tremblements de terre, pourquoi n’existerait – il pas une échelle pour les âneries, une bullshit scale pour parler globish ? En fait, cette question a déjà fait l’objet de nombreuses réflexion dans la communauté scientifique, ici ou là. Signe que le problème est sérieux.
Attention toutefois à ne pas tomber dans la démesure. Comme faire preuve de rationnelle inattention, encore un autre sujet d’étude très en vogue du côté des chercheurs. Cette approche nous propose d’éliminer rationnellement les informations qui nous semblent les moins utiles, crédibles, intéressantes, etc. Mouais… Il faut toujours tiquer un peu lorsqu’une théorie ou autre dogme propose de faire le ménage entre les bonnes et les mauvaises idées.
Non, une échelle des âneries est plus modeste, moins ambitieuse. L’échelle des âneries ne prétend pas savoir ce qui doit faire preuve d’attention et ce qui ne doit pas. L’échelle des âneries propose juste de classer les âneries, pas d’en éliminer. Après tout, chacun doit rester libre de choisir l’ânerie qui lui sied.
Bien sûr, en pratique il y a le risque que cette échelle des âneries soit surtout occupée par le bas. C’est-à-dire qu’il y ait une surpopulation des grosses âneries relativement aux âneries légères. Mais ça, on ne peut rien y faire. Puisque de toute façon il sera écrit beaucoup d’âneries, on ne peut pas quand même pas empêcher les gens d’écrire de grosses âneries. D’ailleurs, l’Histoire n’est pas faite que de fulgurances, elles sont rares, le gros de l’affaire c’est quand même des gens qu’on oubliera.
« Oh ! vouloir à l’histoire ajouter des chapitres, et puis n’être qu’un front qui se colle à des vitres ! », L’Aiglon
Enfin, il y a quand même un point dont il faut discuter un peu : qui décide de l’échelle des âneries ? Existe-t-il une échelle universelle qui s’impose à tous, vraie pour tout le monde ? Je ne crois pas, et même si c’était vrai, personne ne le croirait. De là à ce que chacun produise sa proche échelle des âneries, je ne suis pas sûr que l’on avance beaucoup.
Quant à cet article, il n’échappe pas à la règle évidemment. Il trouvera lui aussi sa place quelque part dans l’échelle des âneries.
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