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Accueil du site > Tribune Libre > L’école m’a tuer

L’école m’a tuer

(c'est l'histoire d'une déclaration d'amour qui perd pied)

On s'était promis de ne jamais se faire payer le prix de l'amour qu'on se portait. Mais les promesses, même gravées sur un banc à la pointe du canif, y'a toujours un cul qui finit par s'assoir dessus. Les promesses ne volent jamais plus loin qu'un il était une fois, et quand le réveil sonne il est déjà l'heure de reprendre le chemin de l'école. Se lever le mercredi matin, faire le chemin à pieds qu'il pleuve qu'il neige que le soleil tape trop fort, ça nous a jamais tués. L'école n'a jamais eu besoin d'aide pour avoir notre peau. Son problème, c'est pas le rythme, c'est la mélodie. Une complainte d'adultes qui soupirent en répondant à des questions qu'on ne s'est jamais posées ; quand on chante faux, on réserve ça à la salle de bain - c'est la moindre des politesses. La même, d'ailleurs, qu'elle glissait dans notre soupe froide tous les midis dans cette cantine qui sentait toujours mauvais, même les jours de frites. La politesse, j'en ai bouffée plus que mon pharynx pouvait déglutir. A force de oui madame, bien monsieur, merci s'il vous plaît et vice et versa, j'y ai laissé mon œsophage, mon estomac et mon intestin grêle. Je m'excusais pour les mains aux fesses que mon sourire avait agressées. Je disais même pardon pour les fausses notes que mes côtes craquaient quand un poing qui n'avait pas, lui, la politesse en intraveineuse voulait tâter de l'enfant sage. Alors qu'on ne s'étonne pas si ce matin j'ai le bonjour qui me reste en travers de la gorge, si je ne cède pas ma place à la première petite vieille venue - aussi plissée aussi courbée soit-elle. Alors qu'on ne me reproche pas, les soirs de pluie, mon côlon irritable et mes diarrhées verbales. L'école, c'est comme un plat dans un restaurant gastronomique. Sur la carte ça fait rêver, mais dans l'assiette y'a pas grand-chose à grailler. Les chimères, ça n'a jamais fait taire l'estomac de l'homme qui a faim, même s'il ferme les yeux, même s'il y croit aussi fort que son cœur cogne contre sa poitrine. Au début tu joues le jeu, et au premier cours d'histoire t'oublies déjà Barbie sous le lit : quand tu seras grand tu seras Indiana Jones. Mais quand on te parle de problèmes, de guerres dans des langues que tu ne comprends pas, les étoiles s'éteignent et ta tête s'aperçoit qu'elle est juste à côté de tes pieds, sous le béton qu'ils sont en train de couler. Mais quand on te gifle parce tu gueules aussi fort dans tes rédactions que devant les photos de ton livre d'histoire, tu cesses définitivement d'y croire, baisses la tête et t'éteins, comme les étoiles tout à l'heure. L'école, c'est une histoire d'adultes désabusés qui marchent à côté de leur vie, de mômes qu'on prive de contes de fées, à qui on tend un sachet de baby carrots parce que c'est meilleur pour la santé. A la cours de l'école qui a toujours raison, on est tous des cancres en devenir, et les bons élèves ne sont rien que des comédiens qui ont appris par cœur les pas que le metteur en scène leur a soufflés. En se disant que c'est juste un mauvais moment à passer, que quitte à couvrir son cul d'escarres sur des chaises trop dures, autant remplir ses poches avant de décamper. J'étais bonne comédienne, le masque collait à mes joues rebondies et le soir j'apprenais mes leçons par cœur. J'ai appris à détester la chimie, parce qu'on m'a dit que c'était pas un truc de filles. J'ai appris à détester la couleur quand le prof de dessin a lâché son premier sourire en recouvrant mes dessins d'une craie grasse que les lames de rasoir ne savaient pas faire partir. J'ai appris à détester la philosophie quand celui pour qui j'avais mis deux-trois rêves de côté s'est finalement moins intéressé à mes questions qu'à mon cul. J'ai appris à détester la justice à coup de punitions collectives, j'ai appris à détester la solidarité quand on m'a demandé de balancer ma copine, j'ai appris à détester la communauté quand elle a ri à gorge déployée derrière mon bonnet d'âne, sans même prendre la peine de faire passer ça pour des sanglots. Et dans la cours de récré, à regarder les filles jouer à la poupée les garçons jouer à se faire les filles les gros bras jouer à se taper les gringalets à lunettes, j'ai appris à me détester. J'ai appris à détester le sport et la littérature, les épinards et les filets de colin ; j'ai jamais su prendre mon pied, à renifler ceux des autres dans les vestiaires, à compter ceux des poètes sur les polycopiés. J'avoue, j'ai jamais fait que simuler, mes explications de textes salissaient des pages sans y croire vraiment et je croisais plus d'inconnus dans la rue que dans les équations. Pour l'école ça n'avait aucune valeur, mais pour moi ça n'avait pas de prix. J'ai appris à remplir les fiches de la rentrée comme si de rien n'était, à faire rentrer "décédé" dans la case "profession" sans que ça dépasse jamais ; j'ai appris à sceller mes larmes sous mes paupières et la grille de l'école en regardant les bons élèves se pendre aux arbres de l'autre côté. Alors qu'on ne s'étonne pas si ce matin je couve une grosse colère. Alors qu'on ne me reproche pas, les soirs de pluie, de la tourner vers l'école même si c'est toi qu'avais promis. J'ai perdu mes rêves dans les couloirs du collège et son acné, comme j'ai fait la paix avec le sport la littérature et ma fièvre d'exister dans tes bras qui m'ont déjà oubliée. On s'était promis de ne jamais se faire payer le prix de l'amour qu'on se portait. ; sauf que pendant que ton valet fait claquer tes deniers pour te réveiller, moi je termine ma nuit qui n'a jamais commencé dans un bar mal léché à faire la causette au cendrier d'une jolie blondinette, juste pour me sentir un peu en vie.


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10 réactions à cet article    


  • Passante Passante 29 octobre 2014 12:48

    beau parcours, typique.

    l’ennui,
    c’est que du fait qu’à l’apprentissage par coeur,
    succède si bien, et de si près surtout, le niagara des « j’ai appris à détester »,
    la juste colère qui suit serait colère de trop d’obéissance ?
    pourtant, pour écrire ce là, et comme ça,
    il a bien fallu désobéir, et même vaincre détester, et d’abord son coeur qui apprend -
    c’est donc ici l’intro du coeur qui désapprend ?
    mais alors, désapprendre par coeur, ce serait l’école de quoi...

    • njama njama 29 octobre 2014 18:17

      bravo Myriam, ça me rappelle l’Herbe rouge de Boris Vian
      (extraits ... et un peu plus ici)

      - Le point important, dit Monsieur Brul en détachant soigneusement les mots, c’est de définir en quoi vos études ont contribué à votre dégoût de l’existence. Car c’est bien ce motif qui vous a amené ici ?
      [...]

      - Alors parlons études, dit Monsieur Brul.

      - Posez-moi des questions, dit Wolf, et je répondrai.

      - Dans quel sens, demanda aussitôt Monsieur Brul, vos études vous ont-elles formé ? Ne vous contentez pas de remonter à votre première enfance, je vous en prie. Quel fut le résultat de tout ce travail - car il y eut un travail de votre part, et une assiduité, peut-être extérieure, certaine ; or une régularité d’habitudes ne peut manquer d’agir sur un individu lorsqu’elle persiste un temps assez long.

      - Assez long ... répéta Wolf. Quel calvaire ! Seize ans ... Seize ans le cul sur des bancs durs ... seize ans de combines et d’honnêteté alternées - seize ans d’ennui - qu’en reste-t-il ? Des images isolées, infimes ... l’odeur des livres neufs le premier octobre, les feuilles que l’on dessinait, le ventre dégoûtant de la grenouille disséquée en travaux pratiques, avec son odeur de formol, et les derniers jours de l’année où l’on s’aperçoit que les professeurs sont des hommes parce qu’ils vont partir en vacances et que l’on est moins nombreux. Et toutes ces grandes peurs dont on ne sait plus la cause, les veilles d’examens ... Une régularité d’habitudes ... ça se bornait à cela ... Mais savez-vous, Monsieur Brul, que c’est ignoble, d’imposer à des enfants une régularité d’habitudes qui dure seize ans ? Le temps est faussé, Monsieur Brul. Le vrai temps n’est pas mécanique, divisé en heures, toutes égales ... le vrai temps est subjectif ... on le porte en soi ... Levez-vous à sept heures tous les matins ... Déjeunez à midi, couchez-vous à neuf heures ... et jamais vous n’aurez une nuit à vous ... jamais vous ne saurez qu’il y a un moment, comme la mer s’arrête de descendre et reste, étale, avant de remonter, où la nuit et le jour se mêlent et se fondent, et forment une barre de fièvre pareille à celle que font les fleuves à la rencontre de l’océan. On m’a volé seize ans de nuit, Monsieur Brul. On m’a volé ça ... entre autres ... On m’a volé mon but, Monsieur Brul. On m’a fait croire, en sixième, que passer en cinquième devait être mon seul propos ... en première, il m’a fallu le bachot ... et ensuite, un diplôme ... Oui, j’ai cru que j’avais un but, Monsieur Brul ... et je n’avais rien ... J’avançais dans un couloir sans commencement, sans fin, à la remorque d’imbéciles, précédant d’autres imbéciles. On roule la vie dans des peaux d’ânes comme on met dans des cachets les poudres amères, pour vous les faire avaler sans peine ... mais voyez-vous, Monsieur Brul, je sais maintenant que j’aurais aimé le vrai goût de la vie.
      [...]
      - Mais, objecta Monsieur Brul, tout le monde en est là.

      - Qu’importe, dit Wolf, si l’on a vécu. Mais que l’on commence par cela, voilà encore contre quoi je me suis dressé. Voyez-vous, Monsieur Brul, mon point de vue est simple : aussi longtemps qu’il existe un endroit où il y a de l’air, du soleil et de l’herbe, on doit avoir regret de ne point y être. Surtout quand on est jeune.

       


      • cevennevive cevennevive 29 octobre 2014 18:42

        Bonjour Myriam,


        Eh bien moi, j’ai aimé l’école, le lycée, la fac, et je suis tout-à-fait heureuse qu’une fille de mineur de charbon, vivant à la campagne de surcroît ait pu les fréquenter...

        Et si vous aviez été plus assidue à l’école, vous sauriez qu’un texte doit être aéré, comporter des paragraphes, des lignes sautées, des temps morts pour respirer

        Dommage que vous soyez si difficile à lire, car ce que vous écrivez vaut la peine d’être lu. L’esprit communie, mais les yeux ne s’y retrouvent pas.

        Dites, lorsque vous êtes avec vos retraités, ôtez-moi d’un doute, vous ne leur parlez pas comme vous écrivez ?

        Allez, sans rancune. La prochaine fois, sautez des lignes.

        Il y a de la place sur Agoravox.

        Cordialement.


        • njama njama 29 octobre 2014 19:28

          car ce que vous écrivez vaut la peine d’être lu.

          ça « vibre », ... je confirme !
          avec tous mes encouragements ...


        • Isonomia 30 octobre 2014 11:37

          Bonjour

          Juste un tout petit petit coup de gueule ou plutot un petit éclat de voix .

          Vos phrases commençant par ’’eh bien moi ’’ou’’dites’’ou pire ’’allez sans rancune’’ me laisse perplexe.

          Manifestement après tant d’années de formatage éduc. nat. vous n’échappez visiblement pas à certains déterminismes liés à votre contexte d’origine.

          L ’ art vous échappe ne reste que le jugement ...purement scolaire.
          Ce n’est pas un rapport de stage que vous lisez mais un exercice d’écriture au demeurant relevé avec beaucoup de poésie et beaucoup beaucoup de subtilité !

          En espérant que vous ne me tiendrez pas rigueur de ma réaction à votre encontre.La sincérité de votre démarche qui est le partage de votre avis est ternie par le rôle de maitresse de cp que vous avez endosser.
          Cela reste pesant et inintéressant mais en définitive vous reste la liberté de penser et d’écrire ce que bon vous semble.Non ?


        • cevennevive cevennevive 30 octobre 2014 14:16

          Oui, Isonomia,


          J’ai, en effet, un tempérament d’institutrice... 

          C’est dans la voie de l’enseignement que j’ai commencé ma vie professionnelle, et j’ai fui très vite, non pas les élèves, mais l’administration de l’éducation nationale.

          Bref. Je ne vous en veux nullement de votre réaction à mon encontre.

          Peut-être comprendrez-vous mieux si je vous dis que je suis bien plus âgée que l’auteur, que mon expérience en matière d’écriture est solide, et que j’estime mes remarques justifiées car je pense à ses prochains articles (que je lirai avec plaisir).

          Pourquoi s’interdirait-on de dire ce que l’on pense si cela peut aider à améliorer les choses ?

          Ai-je été injuste ? Je ne le crois pas.

          Cordialement.




        • pierre 30 octobre 2014 19:24

          « laisse perplexe » me laissent perplexe


        • Isonomia 1er novembre 2014 11:14

          Yes...merci ! mais cela et un peu peine perdue j’en ferai d’autres !
           L’homme étant perfectible et par ricochet sa grammaire et orthographe aussi, je le prends volontiers sur moi en espérant ne plus vous faire larmoyer quand vous me lirez tantôt.
          Vais faire un effort smiley


        • Jean Keim Jean Keim 30 octobre 2014 08:18

          Malgré tout ce qu’il y a de sombre dans votre texte, il y a toujours cette formidable capacité d’être.


          • Jean-François Dedieu Jean-François Dedieu 2 février 2015 07:04

            Touchant. Beau. Pourquoi juger au nom d’un carcan académique ?

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