L’Égalité n’existe pas !
L’Égalité n’existe pas, même comme idéal, même comme un but à atteindre, même comme espoir ; c’est seulement une croyance que l’on essaie d’inculquer pour faire accepter un système. La Justice, elle, est accessible, mais c’est une tout autre chose.

Pas un seul membre des élites médiatique et politique n’ignore que l’égalité est un mythe et de multiples démonstrations simples (sans être simplistes) peuvent être proposées. Un lapin crétin (ou pas) vous propose deux carottes de même taille, de même poids, de même couleur, de même provenance, elles ne peuvent pas fournir le même nombre de calories ou les mêmes saveurs identiquement. Pour pallier cette difficulté, deux solutions sont possibles. Vous admettez les différences et vous faites confiance au lapin pour qu’il vous procure les deux carottes les plus semblables. Ou alors, vous assignez un prix aux carottes, par un mécanisme qui importe peu, et vous décidez que les carottes seront identiques lorsqu’elles auront le même prix. L’association d’un bien quelconque à un prix n’est pas seulement un outil technique permettant de faire aisément des comparaisons, il s’agit d’un choix de société voire de civilisation.
On ne sait pas comparer deux carottes, il va de soit que le problème est encore plus irrésolu si l’on considère une carotte et une pomme, un homme et une femme, un homme et un autre homme. Le problème est donc de savoir qui va déterminer les termes d’une éventuelle égalité.
Lorsque vous faites une mesure d’une quantité circonscrite, vous êtes capable de classer celle-ci au sein d’autres de même nature. À titre d’exemple, prenez 176 coureurs munis d’un vélo. Faites les courir, pédaler, monter, descendre durant 3480,3 km. Vous chronométrez chacun d’entre eux et selon le temps mis à boucler l’épreuve, vous obtenez un champion (le premier), des adversaires valeureux (les suivants immédiats) et enfin les équipiers qui constituent le reste du peloton. Si vous notez la différence de temps entre le premier et le deuxième, vous observerez que l’un fut plus rapide que l’autre de 0,02%. Entre le premier et le dernier, la différence est de l’ordre de 5%. Ceci semble une mesure simple des différences d’aptitudes liées à l’inné ou à l’acquis dans un domaine déterminé, étroit, dans lequel des mesures objectives et fiables peuvent assurer un classement. Il est possible à ce stade d’associer un prix au champion qui effectue une performance.
La grille des salaires ne dépend pas linéairement des capacités physiques que l’on a estimées par chronométrage. Entre un leader confirmé et un équipier, les revenus varient d’un facteur 100 environ. Qu’est-ce qui justifie un tel écart ? Ce n’est clairement pas le mérite qui pourrait être évalué objectivement par la quantité de calories dépensée par les uns et les autres. Il ne s’agit pas non plus d’un choix délibéré des professionnels du secteur. Ceux-ci savent les montagnes d’efforts que doivent surmonter le gregario comme le vainqueur, non seulement lors d’une course mais depuis des lustres depuis qu’ils étaient poussins, minimes, juniors, et déjà sur leur vélo. Non ce qui détermine la récompense c’est l’attrait de la multitude qui se détermine par l’émotion et le caractère moutonnier qu’elle engendre. Le ‘premier’ attire les foules, les contrats, les médias… les bénéfices financiers. Le dernier du classement n’a pour seule possibilité pour s’assurer un revenu que de se mettre au service du leader paré de toutes les vertus tant physiques que morales. Il s’agit de capter l’attention, les regards et les financements qui vont avec d’une foule qui ne connaît rien ou pas grand-chose au sport cycliste : les foules ne s’enthousiasment que pour les combats, les duels, les luttes, tout ce qui engendre des émotions de vainqueur par procuration, ce qui leur permet d’oublier pour un (court) moment le non sens dans lequel s’enchevêtre leur vie, comme un narcotique non seulement légal mais encouragé.
Les conséquences financières n’ont donc aucune relation (ou presque) avec une mesure quantitative d’un quelconque ‘mérite’. Ce qui entre en jeu c’est le spectacle donné et la joie de voir un dominant terrasser un dominé. Être un athlète reconnu relève, selon les foules, d’une sorte de prédestination dans laquelle la Nature a choisi, dans le secret des chromosomes, ceux qui seront les premiers, ceux qui gagneront richesse et gloire, ceux qui ne mourront jamais.
Dans le monde matériel, l’hyper-division du travail induit une collectivisation qui doit être régie par des responsables, des managers. La ‘pyramidalisation’ des talents implique une mesure quantitative (et en principe objective) de ce talent. Pour arriver au sommet de cette pyramide, ce que l’on nomme l’ascension sociale, il faut concentrer toute son énergie, tout son savoir pour réaliser ce seul objectif en négligeant tous les autres. Ce sont les spectateurs, ceux qui regardent sans participer, ceux qui s’émerveillent sans connaître qui vont déterminer l’ampleur des retombées financières, et en fin de compte la hauteur, la structure, la composition de la pyramide sociale. La personne qui accède aux plus hauts échelons d’une pyramide possède par son talent ou ses efforts quelques fragments d’atouts que ses compétiteurs n’ont pas, mais ce n’est pas ce qui décide de l’ampleur de l’aura, donc de la puissance concentrée.
L’Amour lui-même s’est prêté à la quantification en se transformant en philanthropie afin de recueillir les suffrages d’une foule qui cherche, malgré toutes les difficultés, à aimer autre chose que leur ombre. La philanthropie se pratique en particulier par l’intermédiaire de fondations créés par d’anciens présidents, d’anciens acteurs·trices, mannequins, rois du pétrole, sportifs, managers… 138 milliardaires américains, dont Mark Zuckerberg (Facebook), Bill Gates (Micro-Soft) et Warren Buffett (investisseur), se sont engagés à faire don d'au moins la moitié de leur fortune à des œuvres philanthropiques. Ainsi de la ‘Chan Zuckerberg Initiative’, la ‘Fondation Robin Hood’, la ‘Fondation Bill-et-Melinda-Gates’… L’action des fondations relève se retrouve dans tous les secteurs : action sociale, santé, recherche médicale, éducation. Dans ce cadre, l’amour d’autrui peut se mesurer en centaines de milliers, millions, milliards de dollars. Il n’y a pas lieu de douter de la sincérité des protagonistes qui disent œuvrer pour les plus démunis, mais mécaniquement cela contribue également à justifier un système qui se donne comme classe dirigeante les plus riches, et seulement eux, indépendamment des sursauts démocratiques de la multitude.
Ainsi donc il peut être créé une société entièrement mécanisée dans laquelle toute action, tout sentiment, tout émoi, tout amour est quantifié, évaluable, classifiable, ‘monétisable’. Peut-on « ne vouloir rien savoir d’une charité qui serait une capitulation constante devant les puissances temporelles » ? L’Homme peut peut-être remplacer un Dieu qui n’existe pas mais peut-il se passer de l’amour ? En d’autres termes, l’amour comptable, mécanique, est-il encore de l’amour puisqu’un avilissement moral est largement inévitable lors de la quête éperdue de richesses sans autre horizon. Un monde qui tourne le dos aux humbles devenus des incapables, des losers, des perdants, des minables ?
Le monde des égoïsmes est générateur de conflits car rien, si ce n’est la coercition ou le spectacle, maintien un lien entre humains. Elle rigidifie aussi le système car rien ne peut jaillir de l’intuition, du hasard, du trait de génie, tout est abandonné aux besogneux sans scrupules. Le monde n’a plus les élans nécessaires pour réaliser l’impossible, se contentant du possible, du probable, du mieux disant.
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