L’Église catholique a persécuté les gauchers
J’espère que le titre a suscité chez vous une saine réaction. Il arrive régulièrement que des mensonges ou des approximations se transforment en vérités historiques convenues et indiscutables. Que les lecteurs se rassurent : notre Sainte Mère l’Église ne persécuta jamais les gauchers, dont je fais partie.
Récemment encore, dans un film évoquant les Temps féodaux, cette rengaine a de nouveau été servie. Dans le salon d’un hôtel où je me trouvais entre trois rendez-vous, un homme, me voyant prendre des notes sur mon cahier, m’a interpellé ironiquement en affirmant que j’avais « de la chance d’être né à notre époque », car sinon j’aurais été « victime de persécutions religieuses ». Ces deux événements ont motivé la rédaction de cet article, rédigé dans le but de tordre le cou à cette idée reçue. Celle-ci contribue au dénigrement de l'Église catholique, une raison de plus pour la dénoncer.
Il n’est pas rare d’entendre ou de lire que l’Église aurait persécuté les gauchers. On pourrait même parler d’une croyance répandue et acceptée telle une vérité irréfutable. Or, bien qu’il s’agisse effectivement d’une croyance, elle repose en réalité sur une fausseté historique. Il convient de préciser que, par le passé, les gauchers ont parfois été l’objet de suspicions dans de nombreuses cultures, qu’elles soient chrétiennes ou non. Toutefois, ce phénomène de crainte, de doute et de préjugés n’a jamais été soutenu ni encouragé par les doctrines de l’Église catholique romaine.
Dans de nombreuses langues, notamment le latin, les mots associés à la gauche peuvent porter des connotations négatives : sinistra (gauche en latin) est ainsi à l’origine du terme sinistre. À l’inverse, le terme droite est généralement associé à des notions positives, telles que la droiture ou la justice. Cette opposition linguistique ne suffit pas à expliquer certains agissements.
Les gauchers furent, par exemple, souvent contraints d’écrire de la main droite dans des sociétés laïques, comme celle de la Troisième République. Cette pression relevait davantage de normes culturelles que d’une quelconque persécution religieuse imputable aux méchants catholiques. En réalité, à tort ou à raison, ces pédagogues estimaient qu’écrire de la main gauche posait des difficultés avec les plumes d’écriture, entraînant des taches d’encre et rendant cette pratique peu compatible avec les standards d’écriture de l’époque…
L’Église catholique ne condamna jamais les gauchers, que ce soit de manière officielle ou officieuse, en les considérant pécheurs ou hérétiques. Aucun document pontifical ne lie le fait d’être gaucher à une quelconque notion de mal ou de péché. Cela dit, je constate que la symbolique biblique associe parfois le côté gauche à des aspects négatifs. Dans certaines paraboles, les mauvais croyants se tiennent à la gauche du Christ lors du Jugement Dernier. Nous pouvons lire chez Matthieu au chapitre 25 : « Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il s’assiéra sur le trône de sa gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui. Il séparera les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs ; et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche ».
Dans ce contexte, la droite est assimilée à une position de faveur, symbolisée par les brebis, représentant les justes, tandis que la gauche incarne le rejet, avec les boucs figurant les condamnés. En réalité, cette métaphore du Jugement reflète une symbolique largement répandue dans la culture biblique, où la droite est perçue comme le côté de la bénédiction et de l’autorité divine.
Cependant, il convient de rester honnête et de ne pas surinterpréter cette symbolique. Cette distinction allégorique entre gauche et droite ne saurait être considérée comme une condamnation intrinsèque des gauchers. En effet, les Écritures insistent avant tout sur les intentions du cœur et les actions des individus, plutôt que sur leurs caractéristiques physiques ou leur orientation sexuelle…
En 1703, dans Les Règles de la bienséance et de la civilité chrétienne, l’ecclésiastique et pédagogue Jean-Baptiste de la Salle illustra bien certaines normes sociales et culturelles de son époque. Dans ses Règles, il réservait à la main gauche des gestes considérés comme indignes, tels que se moucher, tandis que la main droite, valorisée, servait pour saluer, tenir une fourchette ou encore écrire. Toutefois, ces pratiques reflétaient, en définitive, les usages culturels d’une certaine classe sociale et non un enseignement religieux. Elles témoignaient également d’une époque où la symbolique droite-gauche imprégnait bien plus les mentalités qu’aujourd’hui, sans pour autant stigmatiser les gauchers au nom de la foi catholique.
Dans certaines provinces de France, des croyances populaires associaient la gaucherie à des influences démoniaques ou à des anomalies comportementales. Ces superstitions, issues des campagnes, furent tolérées ou perpétuées à tort par des représentants de l'ordre moral ou des clercs mal formés, réticents à contredire leurs ouailles de peur de perdre leur popularité.
Néanmoins, cette méfiance envers les gauchers n'a jamais constitué une position doctrinale de l’Église. Rome ne pouvait promouvoir de telles inepties. Affirmer l’existence d’une persécution catholique à l’égard des gauchers relève donc d’un mensonge historique. Ces défiances et autres amalgames reposaient avant tout sur des préjugés culturels enracinés dans des superstitions locales étrangères au christianisme.
Pour la petite histoire, après la Première Guerre mondiale, de nombreux soldats revinrent dans leurs foyers amputés de la main droite. Ils n’eurent d’autre choix que d’utiliser celle qui leur restait : la gauche. Pour rappel, lors de la Révolution dite française, les députés qui voulaient retirer au Roi son droit de veto ou soumettre le clergé catholique au gouvernement siégeaient à la gauche de l’Assemblée. Décidément, la Gauche se retrouve toujours du mauvais côté de l’Histoire…
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