L’émancipation, un processus sans fin ?

Le numéro d’Août-septembre 2009 de Manière de voir, Le Monde diplomatique, porte sur « L’émancipation dans l’histoire ».Composé de trois parties intitulées respectivement « Mouvement d’idées, Libérations, Espoirs d’après-guerre », ce numéro offre au lecteur spécialiste et non spécialiste les éléments intellectuels pour une réflexion très poussée et très solide sur les problèmes que soulève la dynamique de l’émancipation, notamment, depuis le siècle des Lumières.

Selon Dominique Vidal, coordinateur du numéro, « l’émancipation humaine ne se conquiert pas à court, mais à long terme. Son mouvement n’a rien de rectiligne : il progresse par tours et détours, connaît des accélérations aussi imprévisibles que ses reculs. Deux exemples. Le racisme a reculé décisivement dans ses places fortes que constituaient les Etats-Unis et l’Afrique du Sud. En revanche, si la condition des femmes a connu une nette amélioration en Occident avec le droit à la contraception et à l’avortement, l’égalité formelle des sexes y a plus progressé que l’égalité réelle, bloqué par la domination économique et idéologique du système ».

On peut multiplier en fait les références aux contradictions et montrer qu’on est en face d’un processus contradictoire. Finalement, ce que l’expérience a démontré, surtout celle récurrente à la Révolution de 1789, aux 19ème et 20ème siècles, à la « vague altermondialiste des années 2000 », c’est que l’émancipation n’a pas atteint sa fin, la fin de l’Histoire, parce que justement elle n’est pas un invariant historique mais, qu’au contraire, objet d’histoire, elle serait un processus sans fin dont l’histoire renouvelle les termes en fonction des luttes.

En dépit des avancées dans le sens de l’émancipation de l’individu et des sociétés, on a besoin, ne serait-ce que pour les rendre effectives, de questionner sans cesses les pratiques et les approches sous l’angle des valeurs de l’émancipation et de la concrétisation de l’idéal d’émancipation. Sans cette démarche, on ne peut pas cheminer vers une émancipation réelle des individus et des sociétés. En même temps, cette démarche se réalise à travers des débats et des mobilisations sociales, culturelles et politiques.

 L’exemple du racisme, de la condition des femmes et des mouvements de libération nationale témoigne de la vigueur et des aléas de l’idéal d’émancipation. En effet, l’émancipation n’est pas une donnée immuable et acquise à jamais. Au contraire, son effectivité dépend des confrontations engagées. L’émancipation ne signifie pas l’absence de conflits de valeurs au sein des sociétés humaines. Il suffit de se rappeler la dynamique des Lumières au 18ème siècle, les évènements qui ont marqué la Commune de Paris, les débats sur la laïcité au début du 20ème, la question de la Renaissance arabe au 19ème, la Révolution d’Octobre 1917, la réinvention du monde à Bandung en 1955, le mythe de « Tche » pour comprendre que l’aspiration à l’émancipation traverse l’Histoire de l’humanité, notamment, depuis le siècle des Lumières. 

Promouvoir l’émancipation de l’individu et de la société, la modernité, c’est-à-dire la liberté, la démocratie sociale et la démocratie politique, c’est mettre en mouvement un projet de transformation sociale dans la réalité d’un monde marqué par des contradictions toujours en mouvement. C’est ainsi que « l’évolution accélérée du monde porte en elle de nouvelles émancipations », selon les mots de Dominique Vidal. Car, comme l’écrit Paul Eluard dans un des poèmes repris dans ce Manière de Voir :

« Ils n’étaient que quelques-uns

Ils furent foule soudain

Ceci est de tous les temps ».

Les confrontations sociopolitiques autour de l’émancipation engagent, donc, à différents degrés, aussi bien dans les sociétés du Nord que dans les sociétés du Sud, les questions liées aux rapports de force.