Un scénario publicitaire imaginé par les parents ?
L’histoire qui a tenu en haleine, pendant deux heures, les Etats-Unis et des sites internet à travers le monde, jeudi 15 octobre, est aussi celle d’un enfant de six ans prétendument emporté seul dans un ballon au-dessus du Colorado, jusqu’à ce qu’on apprenne, soulagé, que le petit était en fait caché dans le garage ou le grenier de sa maison. Mais ce seraient les parents qui auraient été à la manœuvre (1).
Ils avaient ameuté les secours, assurant que leur fils Falcon - un prénom aéronautique prédestiné pour voler - avait disparu et qu’il était sûrement dans la nacelle de leur ballon gonflé à l’hélium qui stationnait à proximité de chez eux. Or, on vient d’apprendre par le shérif du comté de Larimer près de Denvers, où habite la famille Heene, qu’il s’agirait d’un leurre imaginé par ces parents ingénieux pour assurer leur propre publicité : ils auraient cherché à attirer l’attention sur eux en vue d’intéresser des producteurs d’une émission de télé-réalité. Acteurs eux-mêmes, ils auraient déjà participé à une émission de ce genre.
Un leurre d’appel humanitaire qu’affectionnent les médias
Ils ne pouvaient, en tout cas, choisir meilleur scénario : ce ne sont pas seulement les secours qui ont afflué, mais les médias, comme CNN, qui se sont rués. Le père les aurait alertés pour pouvoir localiser le ballon dans sa dérive. Des sites internet à travers le monde ont relayé l’événement. Filmer la mort en direct d’un enfant, n’est-ce pas le rêve de beaucoup de médias ? L’audience explose. On se souvient de la fillette de 13 ans, Omayra, agonisant pendant 48 heures à Armero en Colombie devant les caméras, les jambes prises dans les gravats d’une coulée de boue après l’éruption du volcan Nevado del Ruiz en novembre 1985, sans qu’on puisse l’en dégager.
1- Attente fébrile
La dérive du ballon dans les airs, suivie par les caméras, s’apparentait elle aussi à une lente agonie génératrice d’ une attente fébrile de la plus haute intensité, réactivée de minute en minute et assurée de faire monter avec lui le taux d’audience : tombera, tombera pas ? Tous les leurres auxiliaires pour capter l’attention étaient réunis.
2- Stimulation du réflexe inné du voyeurisme
Le réflexe inné d’attirance jusqu’à la sidération du voyeurisme était puissamment stimulé par l’exhibition en direct du malheur d’autrui qui était ici un des leurres d’appel humanitaire les plus poignants qu’on pût trouver, puisqu’il y allait de la vie d’un enfant. Chacun pouvait suivre l’odyssée de ce petit de six ans emporté on ne sait où par un ballon au gré des vents, pouvant soit grimper à 3000 mètres d’altitude, avec une mort possible de son passager par le froid ou l’asphyxie, soit menacer à chaque instant de s’écraser au sol.
3- Stimulation du réflexe de compassion
Le réflexe de compassion et d’assistance à personne en danger était en même temps provoqué et avivé à chaque seconde d’une attente où l’on craignait que se produisît l’irréparable. La distribution manichéenne des rôles ne souffrait pas de discussion : dans le malheur qui la frappait, la petite victime dont la vie ne tenait plus qu’à un fil, était bien parfaitement innocente, même si ses bourreaux n’étaient pas clairement identifiables ; un soupçon tout de même pesait sur les parents pour avoir, de façon aussi irresponsable, laissé un enfant de cet âge sans surveillance près d’un ballon qui pouvait s’envoler.
4- Mise hors-contexte
La mise hors-contexte écartait tout doute sur la certitude de la présence de l’enfant dans la nacelle : seuls savaient à quoi s’en tenir les parents et leurs autres enfants qu’ils auraient tout de même mis dans la confidence pour leur épargner l’angoisse. L’effet de la métonymie qu’était le ballon dans les airs retenait seulement l’attention : ce n’était pas le moment de s’intéresser à la cause. Après l’accident probable, il serait toujours temps de le faire.
5- Stimulation du réflexe d’identification
Plus intensément que dans un roman ou un film d’aventures, un réflexe d’identification attachait les spectateurs à la petite victime et à ses sauveteurs, fussent-ils impuissants.
Falcon "fait l’con" !
Non, ces parents inventifs ne pouvaient imaginer scénario mieux construit pour saisir au cœur les spectateurs de leur spectacle. Malheureusement, le petit Falcon a fait l’ con, si l’on ose dire dans cette aventure plus grossière que ce mot ordurier, sous réserve que le leurre soit confirmé. Il aurait, vendredi, vendu la mèche : « Tout ça, c’était pour le spectacle ! » se serait-il écrié devant les caméras. Le père nierait, toutefois, farouchement toute mise en scène. Le shérif n’en est pas convaincu : il a annoncé son intention de poursuivre les parents pour diffusion de fausses informations.
Albert Lamorisse dénonçait, a-t-on dit, la vilénie humaine, même chez les enfants. Cette histoire de ballon inventée, si encore une fois le leurre est prouvé, montre, cette fois, celle des adultes capables d’utiliser l’enfance pour s’emparer de cet élan généreux en chacun qui est le cœur même de son humanité, et assurer leur propre publicité. Du coup, - et c’est ce à quoi mène ce cynisme - on en vient désormais à se méfier quand des enfants martyrs sont ainsi mis en avant par leurs prétendus défenseurs. Paul Villach
(1) Le Figaro.fr, 19 octobre 2009