L’ensauvagement : polémique dans le champ lexical
Il suffit de pas grand-chose pour émouvoir le Landerneau politico-médiatique qui, plutôt que d’appréhender la réalité, préfère se livrer à des querelles lexicales oiseuses. Et il en est toujours ainsi quand il s’agit de nommer la délinquance et la criminalité en hausse qui gangrènent notre pays. Hausse qui, malgré les statistiques officielles, est niée par le Garde des Sceaux lui-même, Eric Dupond-Moretti, qui ne peut s’abstraire de son tropisme d’avocat indulgent envers les criminels et méprisant vis-à-vis des victimes.
Ceux qui nient la réalité de l’insécurité préfèrent faire allusion au « sentiment d’insécurité », histoire de noyer le poisson, en la réduisant à un pur « phantasme » (Dupond-Moretti). On se souvient de Lionel Jospin, Premier ministre tartuffe, et de l’affaire « Papy Voise » en 2002. Certains louent Jospin d’avoir refusé à l’époque de débattre sur le terrain de l’insécurité, par sens de l’Etat. En réalité, Jospin tenait l’insécurité pour une fable médiatique.
A quoi Marlène Schiappa a répondu : « Le sentiment d’insécurité, c’est déjà de l’insécurité. »
Car, pour tout bon rousseauiste et hugolien qui se respecte, la faute de la criminalité incombe avant tout à la société, l’excuse sociale éculée étant toujours brandie face à cet « ensauvagement » qui a fait couler récemment des litres d’encre.
Si la gauche bien-pensante et les écologistes (EELV) à la barre de plusieurs municipalités ont tendance à minimiser, voire ignorer les dégâts de la délinquance (Eric Piolle, maire de Grenoble ; Pierre Hurmic, maire de Bordeaux, qui se dit enfin « préoccupé »), d’autres personnalités du même bord ne pratiquent pas le déni systématique. Ainsi, le socialiste Michaël Delafosse, maire de Montpellier, et Bernard Cazeneuve qui s’inquiète de la montée du communautarisme et de l’insécurité en France.
Pour les belles âmes de Boboland qui résident dans les quartiers favorisés, placent leurs gosses dans les écoles privées, tout en souhaitant toujours plus de migrants pour garder leurs moutards et faire leur ménage, vider leurs poubelles et curer leurs chiottes, cachez ce terme qu’elles ne sauraient prononcer.
Pouah, fi donc ! Un terme véhiculé et revendiqué par l’extrême-droite, donc à bannir pour éloigner d’une conscience humaniste un lexique délétère. En évitant de prononcer certains mots, on croit se soustraire à l’aveuglante réalité qu’ils dépeignent. Comme ces gens qui répugnent à évoquer le mot de « cancer », croyant ainsi éloigner d’eux par magie infantile la redoutable maladie.
Et quand bien même, le mot aurait-il fait florès par le biais de l’extrême-droite, serait-il inapproprié pour autant ? Souvenons-nous de l’expression fameuse de Fabius de 1984 : « Le Front National pose les bonnes questions, mais apporte de mauvaises réponses. » Poser les bonnes questions, ce qui n’est le cas de tout le monde, c’est déjà beaucoup. Quant aux bonnes réponses, on les attend toujours des gouvernements successifs depuis 40 ans !
Déjà le terme de « sauvageons » employé par Chevènement, ministre de l’Intérieur, avait fait tiquer les oreilles sensibles. Etymologiquement, « sauvageon » renvoie à un jeune arbre venu spontanément sans culture et, par extension, qualifie un enfant sans éducation, livré à lui-même. Plutôt bien vu, non ? Ce terme sera repris en 2016 par Bernard Cazeneuve (PS), autre ministre de l’Intérieur.
Même si le terme « ensauvagement » a été repris par Laurent Obertone dans La France Orange mécanique, et dans la foulée par Marine Le Pen, la paternité en revient à la politologue Thérèse Delpech (1948-2012) dans son ouvrage publié en 2005 : L'ensauvagement : essai sur le retour de la barbarie au XXIe siècle. Elle analyse la brutalité des relations internationales et la déliquescence des rapports sociaux qu’elle met sur le compte de la surdité humaine : « Une sauvage indifférence aux êtres humains, telle est la plus importante régression du XXe siècle. »
Thérèse Delpech installe l’idée que les esprits et les gouvernements sont indifférents aux souffrances d’autrui, car entre l’homme et l’Histoire, elle estime qu’il n’y a qu’un dialogue de sourd. Parce que les hommes et ceux qui les représentent ne savent plus distinguer le juste de l’injuste, le beau du laid ou le bien du mal. Cette inversion des valeurs entraîne, dans tous les domaines, des dégâts irréparables, et en politique, elle est destructrice.
Le terme d’ensauvagement, repris par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, a fait s’étrangler notre Dupond-Moretti national et le député Aurélien Taché, tendance islamo-gauchiste.
"Nous assistons à une crise de l'autorité. Il faut stopper l'ensauvagement d'une certaine partie de la société. Il faut réaffirmer l'autorité de l'État, et ne rien laisser passer", avait alors dit le ministre de l'Intérieur à la veille d'un déplacement à Nice sur le thème de l'insécurité.
"Je crois qu'il a tout à fait raison de l'utiliser ce terme et ça ne me dérangerait pas de l'utiliser", a répondu le 31 août 2020 Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté sur France Inter. "Je crois que c'est le rôle du ministre de l’Intérieur d'avoir des mots forts et d'être offensifs, a-t-elle ajouté. S'il y a bien une personne en France dont on attend qu'elle regarde la situation avec lucidité et qu'elle soit combative, c'est le ministre de l'Intérieur."
Il est patent que Marlène Schiappa a mis un peu de vin sécuritaire dans son breuvage féministe.
Selon certains observateurs, cet « ensauvagement » serait la conséquence ultime d’un individualisme poussé jusqu’à ses extrêmes limites.
Selon Paul-François Paoli (Aux sources du malaise identitaire français) : « Ce phénomène (l’ensauvagement) est avant tout l’expression d’une dégénérescence de l’individualisme. Si bien qu’aujourd’hui, de nombreux individus n’acceptent plus de limites à leur souveraineté individuelle. »
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