L’errance identitaire ou l’impossible intégration ?
L'errance identitaire et l'exil me semblent l'avers et le revers de la même médaille : la solitude. Et un homme solitaire est un homme orphelin, un homme privé de la chaleur du monde, un homme hors de circuit de l'existence, un homme coupé d'une partie de son humanité. Bien sûr, je parle de la solitude forcée, celle qui nous est imposée par les aléas de la vie. Je pense, si je ne me trompe, que La plus haute des solitudes, le livre de Tahar Ben Jelloun, publié en 1977, fut à ce titre très illustratif. D'ailleurs, il fut à l'origine de l'idée du regroupement familial en France, entérinée par Valéry Giscard d'Estaing. Le romancier, psychologue de formation, a fait sa grande enquête dans les milieux ouvriers parisiens et le résultat n'en fut que très désespérant : misère affective, déracinement, mélancolie, déprime l'emportent, dans la plupart des cas, dans le quotidien des immigrés nord-africains, confrontés à une précarité grandissante.
Ces derniers, à peine sortis de la période de la colonisation, n'arrivent plus à suivre le rythme trépidant de la société occidentale, qui court derrière les trente glorieuses, fermée sur son modèle de vie consumériste qu'elle croit être universel. Qui plus est, rejette implicitement ces nouveaux débarqués, en les parquant dans des banlieues, à la lisière du monde européen vivant. Ainsi le complexe de l'ancien colonisé trouve-t-il un autre milieu où il pouvait grandir et sévir, sans aucune difficulté, avec toutes ses alluvions marécageuses. L'ex-colonisé devenu prolétaire au service de l'ancien-colon, devenu à son tour, patron, a créé une nouvelle forme d'exploitation capitaliste, sur fond d'un héritage colonial non encore soldé. Et c'est la plus haute solitude qui prépare l'ambiance pour cette Topographie idéale pour une agression caractérisée (un autre titre de livre, cette fois-ci de Rachid Boudjedra, publié en 1975). L'espoir de l'exil par le biais duquel l'on ramène de l'or et des richesses, s'est transformé en une simple illusion qui a cassé, au fil des décennies, le moral de beaucoup de générations de "Beurs", en prise avec un grave déni de leur identité sur fond d'universalisme, parfois "hypocrite" promu au nom des spécificités culturelles des pays d'accueil. Ces "natifs-migrants" se sentent, pour la plupart d'entre eux, rejetés "symboliquement" par leur patrie de naissance et relégués aux seconds rôles. On s'efforce de les cacher, de les rendre invisibles, de les mettre à l'abri des regards qui peuvent les apprécier. Ils ne sont là que pour affronter les difficultés, à faire ce que l'on ne peut pas faire, à boucher les trous ! Le syndrome du tirailleur sénégalais, pris pour chair à canon, revient souvent sous diverses formes d'exclusions, implicites ou explicites soient-elles. Le natif-migrant appelé à s'intégrer dans sa société matricielle-et d'accueil-parce qu'il ne sait pas s'il était encore vu comme citoyen ou comme migrant- s'interroge s'il faut rester attaché à son prénom Mohammed ou s'appeler Jean-Jacques pour paraître citoyen ordinaire et jouir de tous ses droits ? Le dilemme est d'autant plus crucial que l'appel d'air des premiers migrants partis dans l'autre rive a fait ramener dans des barques de fortune des milliers de harragas, sur la terre européenne, devenue une forteresse bunkerisée !
Kamal Guerroua.
6 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON