L’esclavage blanc en terre ottomane
Par esclavage il est de bon ton d’entendre la traite négrière transatlantique dont se sont rendus coupables les Européens. Onze millions de noirs, bien souvent vendus par les Africains eux-mêmes, emmenés en Amérique pour y travailler et se reproduire. Par contre le monde occidental repentant tente d’occulter la traite négrière arabo-musulmane qui s’est étendue du VIIe siècle, lors de la naissance de l’islam, au XXe siècle, et qui a concerné dix-sept millions d’individus d’après l’historien Pétré-Grenouilleau. Une traite particulièrement cruelle puisque les hommes étaient bien souvent castrés afin d’en faire des eunuques, avec une mortalité considérable. Ce qui fait qu’on ne voit guère de descendants de ces esclaves en Turquie ou dans les pays arabes qui ont, pour la plupart, vécu sous domination ottomane pendant des siècles.
Mais c’est aux esclaves blancs en terre ottomane, dont on parle encore moins, que nous allons nous intéresser ici. Un sujet tabou. Oui, un grand nombre d’Européens chrétiens, et donc blancs, a bien été réduit en esclavage par les musulmans lors de leurs conquêtes sur les terres européennes. A l’époque ottomane les esclaves blancs sont récoltés de quatre manières différentes. Tout d’abord à chaque avancée de l’armée ottomane dans les Balkans, de nombreux prisonniers, militaires et civils, sont emmenés sur les marchés aux esclaves pour y être vendus. Il y a ensuite les captures effectuées par les barbaresques, vassaux des Ottomans, lors de leurs attaques des navires marchands et de leurs razzias sur les villes côtières européennes. D’autres vassaux des Ottomans, les Tatars du khanat de Crimée, ne vivaient que des raids contre les sociétés sédentaires voisines, russe, polonaise et moldave et sur la vente des captifs dans les marchés aux esclaves. Enfin la collecte de jeunes enfants chrétiens pour en faire des janissaires, le devchirmé, est une autre forme de mise en esclavage.
Les Ottomans ouvrent leur premier marché aux esclaves sur le continent européen à Constantinople en 1460, sept ans après la conquête de la ville. Les esclaves ne restent pas tous sur place, ils sont nombreux à être envoyés en Anatolie. Cependant au début du XVIIe siècle la population de Constantinople comportait 20 % d’esclaves. Après celui de Constantinople, d’autres marchés s’ouvrent en Europe, non seulement dans les plus grandes villes de l’empire, comme Salonique ou Skopje, mais aussi dans des plus petites villes se trouvant sur les routes empruntées par les troupes ottomanes rentrant dans leurs casernes après leurs campagnes militaires. Si le cinquième du butin humain est destiné au sultan et doit donc rentrer à Constantinople, les soldats se partagent le reste et peuvent trouver plus avantageux de vendre leurs esclaves en cours de route. Des colons ottomans sont installés dans tous les territoires conquis, ce sont des acheteurs potentiels.
A quoi servent les esclaves ? De nombreuses femmes sont cloîtrées dans les harems, des sortes de bordels privés, du sultan, des califes, vizirs, pachas et autres dignitaires du régime ottoman. Les harems ne comportent que des chrétiennes car il est interdit en islam d’asservir à des pratiques sexuelles divertissantes une femme musulmane. Les femmes sont surveillées par des eunuques, bien souvent des esclaves africains qui ont survécu à la castration. Femmes et hommes esclaves sont aussi utilisés comme domestiques, aussi bien par les riches citadins que par les propriétaires de domaines fonciers, ou encore employés dans les mines. Les artisans, charpentiers, maçons, tailleurs, tisseurs, etc, sont aussi de grands utilisateurs d’esclaves. Les Ottomans, comme les Barbaresques, ont aussi besoin d’un nombre considérable de rameurs esclaves pour faire avancer leurs galères. Les adolescents sont aussi utilisés comme masseurs, c’est-à-dire comme esclaves sexuels, dans les hammams. Enfin les enfants arrachés à leur famille chrétienne dans le cadre du devchirmé subissent une éducation islamique et militaire qui les transforment en cruels janissaires.
Combien vaut un esclave blanc ? Comme sur les marchés aux bestiaux de nos jours, cela dépend de l’âge, du sexe et l’état physique du captif. Il existe des réglementations relatives au prix de vente. C’est ainsi qu’un édit du sultan, datant de 1510, donne les fourchettes suivantes : 10-30 aspres pour les nourrissons jusqu’à l’âge de trois ans, 100 aspres entre trois et huit ans, 120-200 aspres de huit à douze ans, et 250-280 aspres pour les adolescents. Les mécréants barbus peuvent être vendus 250-270 aspres, mais les mécréants vieux ne valent que 150-200 aspres. Enfin, des mécréants borgnes ou n’ayant qu’une seule main on ne peut tirer que 130-150 aspres. Les esclaves blancs peuvent être achetés contre de l'argent ou bien troqués contre des animaux (volailles, chèvres, moutons, chevaux, dromadaires), des objets (tissus, tapis, vêtements, chaussures, armes, argenterie, poteries, bijoux), des denrées alimentaires (fruits séchés, poissons fumés) ou d’autres produits (sel, épices, encens, ambre, perles, poudre d'or, colorants).
Combien de chrétiens blancs ont-ils été réduits en esclavage par les musulmans à l’époque ottomane ? Les études historiques sur la question sont peu nombreuses. Selon l’historien Samuel Touron, la traite des esclaves blancs en Barbarie (Afrique du nord vassale des Ottomans) représente entre 1,3 millions et 2,5 millions de personnes razziées sur les côtes de la Méditerranée, y compris en Provence, Languedoc et Corse ou capturées sur les navires en mer. Les archives de l'Amirauté britanniques indiquent, par exemple, que sur la courte période 1609-1616 pas moins de 466 navires anglais sont pris d’assaut par les barbaresques. Quand au nombre d’esclaves blancs prélevés par les Tatars de Crimée, eux aussi vassaux des Ottomans, sur la Russie et la Pologne-Lituanie entre 1500 et 1700, il est de l’ordre de deux millions à deux millions et demi selon l’historien polonais Dariusz Kołodziejczyk. Une grande partie de ces esclaves sont revendus sur les marchés ottomans. On ne trouve pas de chiffre global en ce qui concerne le nombre d’esclaves capturés en Europe par les Ottomans lors de leurs conquêtes de territoires, lors de leurs répressions des insurrections ou lorsqu’ils sont contraints de battre en retraite face à des armées chrétiennes. Ici ou là on nous indique que, lors de telle conquête de ville ou de telle action punitive, des milliers voire des dizaines de milliers de combattants et surtout de civils sont capturés par les Ottomans, non pour en faire des prisonniers mais pour les revendre sur les marchés aux esclaves. Les soldats ottomans ne sont en effet rémunérés que par le biais du butin, marchandises, objets précieux, animaux et êtres humains. Les esclaves capturés dans ce cadre constituent certainement le plus gros contingent d’esclaves blancs mais aucun historien n’a tenté d’en calculer le nombre. On apprend cependant, dans l’« Histoire de la Croatie » de Grégory Peroche, que dans ce seul pays un million d’habitants ont été emmenés en captivité par les Ottomans. Il faut encore ajouter les centaines de milliers d’enfants chrétiens enlevés à leur famille dans le cadre du devchirmé. On peut donc raisonnablement penser que rien que sur la période ottomane qui s’étend de 1354 à 1914 le nombre de blancs mis en esclavage a atteint, voire dépassé, la dizaine de millions. Ajoutons que pour chaque esclave arrivé sur le marché, plusieurs autres personnes ont péri lors des opérations de capture, et que d’autres sont mortes d’épuisement ou de maladie en cours de route.
Un premier frein est mis à cet esclavage blanc par le traité de Karlowitz, signé en 1699 après le refoulement de l’empire ottoman hors de la Hongrie, qui interdit au Tatars de pénétrer dans les territoires russes et polonais pour y capturer des esclaves. Certains marchés aux esclaves criméens doivent alors fermer leur portes par manque de marchandise. Cependant ce n’est qu’en 1783, lorsque le khanat de Crimée passe sous souveraineté russe, que la tsarine Catherine II met fin au commerce des esclaves en Crimée.
La régence d’Alger, qui correspond à la partie non saharienne de l’Algérie, est un état tributaire de l’empire ottoman mais jouissant d’une grande autonomie. Alger sert de base arrière aux barbaresques s’attaquant aux navires commerciaux en Méditerranée. Au début du XIXe siècle, la traite des esclaves blancs par les corsaires est en déclin car certaines nations acceptent de payer un tribut au dey d’Alger afin d’éviter que leurs navires soient piratés. Ce n’est pas le cas de la France qui adresse en 1827 un ultimatum au dey dont l’une des clauses est l’interdiction faite aux corsaires de s’attaquer aux bateaux français. Suite au refus du dey, l’armée française débarque à Alger en mai 1830. Le dey capitule en juillet et s’exile. La plus grande partie de la classe dominante ottomane quitte également le pays. Les Français interdisent le commerce des esclaves et émancipent les esclaves européens détenus par les musulmans locaux. En 1846, le bey de Tunis suit le mouvement et abolit l’esclavage. Il est à noter qu’au Maroc le dernier marché aux esclaves n’est fermé qu’en 1920.
Le marché aux esclaves de Constantinople est fermé en 1847 mais ce n’est qu’en 1857 que l’empire ottoman interdit le commerce des esclaves, sauf dans la province sainte du Hedjaz (bande côtière en Arabie comportant les villes de Médine et La Mecque). Cependant, en l’absence de textes juridiques, la traite des esclaves se poursuit pendant de nombreuses années. En 1871 est quand même édicté un décret punissant d’un an de prison les vendeurs d’esclaves. Sans grand effet. En 1905, le deuxième secrétaire de l’ambassade britannique à Constantinople, George Young, écrit, dans son « Corps du droit ottoman », qu’au moment où parait son ouvrage, la contrebande d'esclaves demeure active. Plus tard encore Henry Morgenthau Senior, ambassadeur des États-Unis à Constantinople de 1913 à 1916, allègue dans ses mémoires que des esclaves blancs se négocient encore durant son mandat à Constantinople. Autrement dit la mise en esclavage des blancs aura duré jusqu’à la fin de l’empire ottoman, à l’issue de la première guerre mondiale.
Pas de quoi être étonné quand on lit Malek Chebel, l’anthropologue et spécialiste de l’islam, qui s’est intéressé aux trafics d’esclaves blancs dans le monde musulman. Il nous apprend que l’esclavage est évoqué dans pas moins de vingt-cinq versets du coran, sans être condamné. Parmi les nombreux interdits d’Allah il y a le vin et le porc, pas l’esclavage !
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