L’esprit a rangé définitivement ses baguettes... adieu, Spirit !
C'est certainement un des dégarnis les plus célèbres du show-bizz qui vient de disparaître... à un âge canonique qui en étonnera plus d'un. La mort annoncée jeudi dernier d'Ed Cassidy clôt une bien belle histoire : celle d'un des meilleurs groupes au monde, qui n'a pas toujours été, hélas, salué à sa juste valeur. Car l'homme, en plus d'une calvitie notable à l'époque des joyeux chevelus des années 70 avait deux particularités. Et d'une, il était batteur de jazz de formation, ce qui donne ces tempos si légers et si subtils dans tous les morceaux du groupe et de deux il jouait avec un guitariste plutôt phénoménal qui n'était autre que son beau-fils : j'ai nommé Randy California, qui a eu un jour de 1997 la mauvaise idée d'aller se noyer, en allant sauver son fils Quinn, en face de leur maison à Hawaï... Un soir, à Paris, au New-Morning, où il était attendu, les gens l'attendront pendant des heures. Ed Cassidy avait en effet... 89 ans, et avait fondé le légendaire Spirit à 44 ans, avec un beau-fils (Randy Wolfe, surnommé California) âgé seulement de... 16 ans ! Retour sur l'un des groupes parmi les plus subtils de la grande époque du rock. En conseillant de vous munir de "Spirit of 76", leur chef d'œuvre, pour déguster cet hommage mérité à un groupe immense...
Dès le premier titre entendu, à 17 ans, l'affaire était classée : c'était sûr, j'achèterai tous les albums de Spirit : ce "I Got a Line on You" avait un son à part, avec cette guitare aigue, ces chœurs soignés et cette batterie-basse lancinante. Même comme ici, ridiculisé dans une émission faite en playback, où les musiciens se moquaient pas mal de ce qu'on leur avait demandé de faire dans les shows grand public, ça sonnait trop bien. Sur scène, ça sonnait sec aussi. California vivait dans les traces d'Hendrix, à l'évidence. Ils sont bien peu à s'être attaqués à "Red House" d'aussi belle manière. Ce que je ferai par la suite, donc, acheter tous les albums, sans jamais vraiment être déçu, et finir par accéder au Graal d'un des meilleurs albums jamais, ce double extraordinaire appélé Spirit of 76, sorti en pleine célébration du bicentenaire US (ou plus exactement un an avant, en 1975). Un momument véritable, un double album, en forme de mont Rushmore de la pop. Une pochette dessinée sur une nappe de restaurant apportée à Hawaï par un ami de Randy, entouré d'un large cadre bleu-vert et la magie était là à l'intérieur, sur du vinyl. Perfectionniste du son et de la Hi-Fi, autre chose qui se meurt, hélas, je l'ai acheté 4 fois de suite, pour ne pas avoir à subir les crachotements occasionnés par les prêts à des camarades moins précautionneux. Leur musique était riche à foisons, mélangeant plusieurs tendances et les rendant inclassables. Rock-&Folk insistera à bon escient sur leur jeu, qui dénotait à l'époque, de même que leurs pochettes, d'ailleurs.
Une musique riche, car Ed Casidy venait en effet du jazz : il avait joué (jeune !) avec Dexter Gordon, Chet Baker, Gerry Mulligan and Cannonball Adderley (ici avec Yuseff Lateef, autre monument à redécouvrir toutes affaires cessantes) avant de verser "pop" la quarantaine venue. Leur répertoire était composé de morceaux originaux, mais aussi de reprises, que les arragements Casidy-California enluminaient.
Transcender des titres universels, c'était tout le grand art de Spirit : écoutez donc cette version de Like a Rolling Stone pour vous en apercevoir. C'et subtil, c'est composé, le jeu de batterie est sobre (l'art des forts) mais carré, les roulements secs et brefs, le tempo soutenu par une frappe légère : du grand art. Batteur sobre, Ed Cassidy savait aussi être démonstratif : c'était le roi de l'intro comme ici au concert du Rockpalast de 1978, où il va mener la danse, introduire longuement la basse et le synthé, pour fabriquer un tapis pour que Calfornia puisse tisser sa toile et débuter son morceau ("Electro Jam"). Pour ceux qui désiraient un solo complet, pas de problème, le chauve savait aussi faire ça, et même en deux parties : la première ici, dans le superbe It's All The Same, la seconde là :
le temps toujours soutenu, et un Casidy en transe, pour à la fois effectuer un solo et ne pas perdre pour autant la trame du morceau. Effectué au maillet et non à la baguette (il finira le solo avec... les mains !) : c'est toujous aussi subtil et toujours aussi... musical, ce qui est rare dans l'exercice plutôt nombriliste du solo. Si un bon batteur fait le bon groupe, Spirit était surdoté.
Discographiquement, on a eu droit aussi à un perpétuel bouquet de saveurs diverses. Du tout premier Spirit, sobrement appelé au Family that plays together, en passant par Clear ou le superbe Twelve Dreams of Doctor Sardonicus, on en avait eu plein les oreilles, avec peut-être un relâchement avec Feedback. Mais Son of Spirit, Spirit of 76 et Farther Along, complété par Futures Games, montraient déjà une musique aboutie, ma préférence allant à Farther Along, moins encensé que le monumental double de 1975.
Des morceaux de musique, mais aussi des textes, car, et c'est moins évident, les chansons de Spirit n'étaient pas dénuées de sens. Ainsi "1984", ici joué en live en Allemagne (*) "Nature's way" étant aussi un très beau texte, ultra simple et au message fort, interprété ici en 2009... par un Ed Casidy toujours aussi fringuant... à 86 balais !!!
Le phénomène Ed Casidy, définitivement surnommé "Mr Skin" (en raison de son crâne lisse) jouait encore en 2004... à 81 ans... il était à la fois exigeant... et infatigable, et avait aussi tenu à continuer la bien belle aventure."La mort de son beau fils ne scella pas pour autant celle du groupe, l'infatigable beau-père continuant à tourner, sillonnant les USA en effectuant des apparitions en Europe, notamment en Allemagne où le groupe a toujours bénéficié d'une meilleure cote qu'en France. La mort de Randy California signifiait la fin de Spirit, bien sûr, mais l'infatigable Cassidy, maintenant septuagénaire, part alors en tournée avec un groupe appelé Spirit Revisited.
Le journaliste musical Mick Skidmore, tout en travaillant sur une biographie de Spirit, a commencé à assembler des collections d'enregistrements inédits des vastes archives de California, qui ont été émis dans la première décennie du 21e siècle. Cela inclus Cosmic Smile (2000) (sur l'étiquette Phoenix Rising, produit par Bruce Gary, avec des notes de pochette de Skidmore), Sea Dream (2002), Blues from the Soul (2003), Live from the Time Coast (2004), Son of America (2005), The Original Potato Land (2006), Salvation...the Spirit of '74 (2007), et Rock and Roll Planet : 1977-1979 (2008), dont les sept derniers albums publiés par le label britannique Acadia . Pendant ce temps, Sundazed Records a publié des disques contenant des prises inédites de la période Spirit chez Ode/Epic, Now or Anywhere et Eventide, en 2000, avant de sortir Model Shop en 2005. Les albums Spirit, The Family That Plays Together, Clear, et Twelve Dreams of Dr. Sardonicus, tous avec des bonus en 1996, et Mercury avait ressorti deux disques intitulés The Mercury Years juste avant sa mort."
"Farther along," il s'en est allé hier, rangeant définitivement ses baguettes, et avec lui c'est un large pan de la riche musique californienne qui disparaît à jamais. Restent les CDs, les vinyls, les enregistrements pour nous rappeler une époque musicale faste.
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