L’esprit de colonisabilité : le cancer algérien
« NOUS NE SOMMES RIEN SUR TERRE, SI NOUS NE SOMMES PAS D’ABORD L’ESCLAVE D’UNE CAUSE, CELLE DES PEUPLES ET CELLE DE LA JUSTICE ET DE LA LIBERTÉ. »
Frantz Fanon, les Damnés de la terre (1961).
Si nous étions colonisés, c'est parce que nous étions colonisables, disait un philosophe de chez nous. Colonisabilité et colonisation marchent de pair. Et à l'origine de cette calamité, il y a la haine de soi. Se haïr, cela veut dire se refuser, se renier, se culpabiliser, se dénaturer, se déformer, sortir définitivement de soi, par une certaine vengeance masochiste, pour ne plus s'accepter, pour se tuer et accepter l'autre comme éternel tuteur sur soi. Et pourtant, notre histoire est belle, faite certes souvent de douleur, mais aussi de métissage, de brassages historiques, de prouesses héroïques, de faits honorables...
En fouillant dans quelques archives du journal El Moudjahid de 1959 (N° 51 du 29 septembre 1959), j'ai trouvé un article sous le titre "Quelques points d'histoire", où j'ai lu ce qui suit : " à l'époque où la Gaule était une région habitée de peuplades barbares, à l'époque où elle était à la lisière du monde civilisé connu, l'Algérie [comprendre par là la Numidie], constituait déjà un Etat puissant où fleurissaient les sciences et les arts. C'est un Numide, Massinissa (238-148 av.J.-C.), fondateur de l'Etat algérien s'étendant de la Moulouya à la Seybousse, qui a posé pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, le principe de nationalisme. Son slogan : l'Afrique aux Africains, (l'Afrique à l'époque désignait seulement le Maghreb), ne sera redécouvert que vingt siècles plus tard par Europe" fin de citation.
Et voilà que les Européens s'étaient inspiré de nous pour les besoins de leurs projets ! Mais quand exactement ? Au milieu du XX e siècle, soit vingt siècles après la mort de Massinissa, lorsque leurs pays respectifs ont décidé de se constituer en grande communauté économique, concurrente des Etats Unis et de l'Union soviétique ! C'est une réalité de l'histoire : nous sommes un peuple qui a ses défauts, mais qui inspire aussi ! Mais comment convaincre, aujourd'hui, tous nos fatalistes, nos pessimistes et nos défaitistes, que nous pouvons être aussi une source d'inspiration pour d'autres peuples, d'autres nations, d'autres civilisations ? Comment pouvons-nous nous faire aimer par les autres, alors que nous avons la haine de nous-mêmes, pour reprendre le mot de la militante altermondialiste Aminata Traoré ? Comment pouvons-nous être un peuple qui avance ? Il semble que l'esprit de "colonisabilité" qui habite le subconscient de beaucoup d'Algériens est pire que le phénomène du colonialisme lui-même, dans la mesure où il amortifie toute volonté de résistance et de progrès, nous sommant de rester éternellement dans le refuge des vaincus à la solde de "l'école des vainqueurs". C'est "taba'iya" (le suivisme) de l'autre (l'ancien colon auquel on impute pourtant la responsabilité de tous nos malheurs passés et futurs), pour aller dans le sens de la phraséologie d'un certain Ibn Khaldoun (1332-1406), qui nous empoisonne, nous détruit de l'intérieur, nous installe durablement dans l'infériorité psychologique, le déni et la haine de soi ! C'est là notre désastre ! Notre chaos !
Kamal Guerroua.
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