L’esthétique de la clé et de la serrure
L’heure est grave. L’urgence et l’angoisse pointent, de toutes parts – et des sans-grades. Aussi n’est-il plus temps d’enfiler des gants, encore moins de se perdre en circonvolutions et périphrases. Il convient d’y aller franco, brut de coffre, et sans barguigner – quitte à heurter une majorité fabriquée. « Le temps est court et l’art est long », dit Baudelaire.
Il s’agit ici non pas de l’écume du temps imposé mais de l’homme et de la femme, de l’harmonie et du contrepoint, du rythme et du pouvoir. Bref, de musique, de l’essentiel – comme toujours. Et c’est ainsi que les mots du pouvoir (mâle) prouvent bien le pouvoir des mots : chaque fois qu’une femme parle de son « testament », de son désir d’être « témoin », « d’attester » ou de pratiquer un « test », etc. (un exemple entre mille) – mots qui viennent tous et sans escale du latin « testis » (testicule) – elle ne fait que désigner indirectement par-là l’homo-horizonus, autrement dit le mâle ; dès lors il n’est plus étonnant d’entendre aujourd’hui certaines dire « ne me casse pas les couilles ! » et autres aberrations du même style, ou encore réclamer « l’égalité des sexes » au lieu de l’égalité des droits, ou même souhaiter que dorénavant les petits garçons et les petites filles reçoivent indifféremment, peut-être pas les mêmes breloques sexuelles, mais les mêmes jouets et portent les mêmes couleurs et culottes – quand l’un ne demande pour son épanouissement et son imaginaire qu’à jouer avec l’objet de l’autre et à explorer son univers plein de mystère. Le totalitarisme ne se construit pas autrement qu’en éradiquant ces différences et ces frontières. La mort de l’art également. Et, bien sûr, du jeu. Il n’est pas de je-u sans limite, sans altérité – toutes choses qui fondent la liberté. Voilà pourquoi les frontières sont nécessaires, vitales, et que la seule et véritable question reste et demeure la question de l’Autre, et de tout temps depuis la nuit des temps. Alors se priver ainsi de fiction, de rêve et de poésie, anéantir l’Autre, c’est faire advenir le Tout par le bas, ce « tout (qui) est toujours le contraire du vrai » (Adorno), c’est s’abstraire du rythme et, par conséquent, de la vie. On ne peut mieux dire : « Ecrire, c’est poser le rapport de deux différences et les enchaîner par une alliance de mots indestructibles » (Proust). Que la langue soit, et la langue fut. Grâce au rythme et à l’articulation qui furent au commencement, et d’où naquit le sexe – qui est différenciation par essence.
L’on ne cesse d’abrutir le public de calculs, de mesures, de cuisine, de carottes, de nettoyage et autres tâches ménagères ou diplômes, là où il suffirait simplement de présenter une clé et une serrure, un trou et une queue, un vide et un plein, l’Un et l’Autre, le Un et le Multiple. Sinon comment se comprendre ? Là où en guise de civilités, en se rencontrant, on pourrait dire comme là-bas « Comment va la douleur ? » ou « Comment va le rêve ? », ici on ne cesse de brandir une paire de cisailles et de s’enquérir de « l’égalité des sexes » et du nombre de brasses en plus ou en moins effectuées par les uns et les autres, quand on gagnerait à s’arrêter un peu et à bâtir une philosophie et une esthétique de la clé et de la serrure - pour la sauvegarde de l’humain, de la vie. Le sexe, le rythme, l’harmonie. La clé n’est ni « égale » ni « supérieure » à la serrure, et inversement. Les deux sont simplement et vitalement complémentaires ; opposés, certes, mais complémentaires : face à face, et côte à côte. Faces contre vitre. Mais pas le même, et pas les mêmes. Quand la serrure est clé, ou quand la clé est serrure, il n’y a plus ni clé ni serrure, ou quand tout est clé ou que tout est serrure, il n’y a plus de jeu, c’est l’immobilité, la mort. Quand il n’y a plus ni limite, ni frontière, ni séparation, ni différenciation, c’est au mieux le totalitarisme, la maquina. Aussi, pour se garder de ce projet mortifère, il faudrait que la clé demeure clé, et surtout que la serrure cherche à être absolument serrure, c’est-à-dire différente de la clé, pour permettre le jeu. Trou et queue, l’Un et l’Autre, il n’y a que ça – pour la vie, pour l’humain. Le rythme, l’essence de toute vie. L’articulation primordiale. Le langage. La dialectique. Le mouvement. E-motion. L’alliance du pur et de l’impur, de l’identité et de la différence, de l’ombre et de la lumière. La couleur. Certes, la serrure trouve son accomplissement en absorbant la clé pour devenir « autre chose » ; tout comme la clé trouve son accomplissement en intégrant la serrure pour de même devenir « autre chose » - tous deux disparaissant pour former « 1 » - le nombre 1, autrement dit l’amour, là où il n’y a plus ni serrure ni clé, ni trou ni queue, ni l’Un ni l’Autre, ni plein ni vide. Mais pour atteindre cet amour, pour aller de l’Un à l’Autre, pour qu’il y ait du jeu, pour qu’il y ait du rythme, il faudrait qu’il y ait distance, séparation, différenciation, et que la clé soit pleinement clé et que la serrure soit pleinement serrure ; que l’Un creuse et que l’Autre plante. La vie prend corps dans ce « je-nous », dans ce corps-à-corps de l’Un avec l’Autre, dans ce passage de l’Un à l’Autre. Et comment aller de l’Un à l’Autre, comment l’Un peut-il désirer l’Autre, s’il n’y a pas l’Un et s’il n’y a pas l’Autre ? Pour ne plus faire que « 1 » il faudrait d’abord être au moins « 2 », là où le langage prend sa source - dans ce rapport des différences, par l’articulation, par le caché et la distance. Comment la serrure pourrait-elle attirer la clé autrement ? Comment le dehors pourrait-il attirer le dedans ? Comment le ciel pourrait-il attirer la terre ? Comment marcher, comment bouger, comment parler sans articulation ? Si la serrure contient la clé en creux, et si la clé contient la serrure en puissance – comme l’identité contient la différence, et comme l’Un contient l’Autre et l’Autre contient l’Un, il n’empêche que serrure qui s’abolit pour être clé, ou que clé qui s’abolit pour être serrure, ne peut conduire qu’à la ruine de l’humain et de la vie, à la disparition du fondamental jeu, du rythme, de la couleur. Aussi la femme devrait-elle rester femme (de quelque manière que ce soit mais différente de l’homme), et que l’homme devrait rester homme, dans un monde ni exclusivement homme ni exclusivement femme. Le problème, la grosse arnaque, c’est de demander aux femmes de vivre dans un monde d’hommes, structuré par et pour les hommes – là où elles seront toujours perdantes, à jouer au mieux les seconds couteaux. Jeu de dupes. A l’image de ce lapin qui demanderait à l’éléphant de faire un concours qui élirait celui qui forniquerait le plus et le plus vite. Et nombre de femmes participent à cette mascarade, mettant indéfiniment l’accent sur des histoires de « cuisine », de compétitivité et d’égalité. A continuer ainsi, on n’est pas près de sortir de l’auberge. Surtout tant que « l’humanité » restera une histoire, une affaire et un espace d’hommes ((humanité : 1120 ; lat. humanitas ; 1150 ; lat. humanus, de homo "homme").
Nombre du réel, de la vie, et de la diversité, figure du diable, de la faute originelle et de l’impureté, symbole de la dualité de toutes choses, et de l’opposition et de la complémentarité, le nombre 2 semble bien être le mal-aimé de tous les nombres. Il serait temps, mais vraiment temps, de lui foutre une paix royale et de lui élever un monument à sa gloire - pour la vie et pour une heureuse esthétique de la clé et la serrure.
Marcel Zang
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