L’Europe anglo-saxonne ou bureaucratique
On dit que les français reprochent à l’Europe d’être anglo- saxonne, et les Anglais d’être bureaucratique. L’histoire que je vais raconter montre que les deux sont vrais et que l’Europe réunit toutes les tares.
Il s’agit d’une institution appelée Service Volontaire Européen (SVE). Dans le cadre d’Associations à but non lucratif, l’Europe finance des séjours de jeunes pendant quelque mois, voire un an, dans un autre pays (pas forcément au sein de l’UE) histoire de lui montrer du pays, d’ouvrir son horizon, de lui faire connaître un autre monde. L’association reçoit une subvention pour le nourrir et le loger, et le jeune se joint aux activités de l’association.
Avec des amis j’ai monté une association Education et Cultures du Monde, dont le but est d’améliorer l’éducation des jeunes dans des pays où l’école est déficiente. An Arménie nous organisons cours parallèles, excursions éducatives, etc. Nous importons aussi des manuels scolaires et nous essayons d’en créer de nouveaux mieux adaptés. Cela nous intéresse de faire venir un jeune dans le cadre du SVE ; il pourrait donner quelques cours de français.
Je me rends donc à la représentation de l’UE à Erévan, capitale de l’Arménie, où on ne parle qu’anglais. Personne n’est au courant. C’est moi qui leur explique ce qu’est le SVE.
De retour à Paris j’apprends que le SVE est du ressort de deux organismes français, le DRJSES et l’INJEP, et qu’il faut envoyer à chacun un formulaire de dix pages très difficile à remplir. En anglais SVP ! J’apprends aussi qu’il faut deux associations, une française qui envoie le jeune, une locale (donc arménienne dans mon cas) qui le reçoit. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Et nous voilà obligés de créer une seconde association à Erévan. Et autant créer une association en France est facile, autant en créer une en Arménie est compliqué : les statuts type font 8 pages !
Je ne suis pas un gamin, ni un débutant et je sais qu’avec les administrations il faut mettre les points sur les i. Je téléphone donc plusieurs fois à l’INJEP et au DRJSCS et les bombarde de questions pour bien connaître la marche à suivre. Puis après la avoir passé un temps fou à remplir leur dossier interminable en français et anglais, j’envoie à chacune des deux administrations son exemplaire.
Pas de réponse. Pendant trois mois même pas un accusé de réception. Je téléphone. Personne n’est au courant ni à l’INJEP, ni au DRJSCS. Jusqu’à ce qu’un jour quelqu’un me demande :
― Mais est-ce que vous avez l’agrément.
C’est qu’il faut un agrément pour être accrédite SVE. Et personne ne me l’avait dit. Je viens déjà de passer bénévolement un mois sur un dossier et ces messieurs/dames de l’administration qui eux sont payés, ne daignent même pas me répondre que mon dossier est refusé, et pourquoi.
Il faut donc tout recommencer mais d’abord il faut remplir un dossier de demande d’accréditation. Mais non ! Cette fois-ci on me dit les choses clairement : « Vous n’aurez pas l’accréditation, passez par un organisme accrédité ». Voilà qu’en plus d’un règlement interminable (plus de 100 pages) décrivant les règles de fonctionnement du SVE on invente des règles non écrites. J’essaierai bien de contacter des associations accréditées, ce ne sera qu’une perte de temps de plus dont j’épargne au lecteur des détails.
Il a donc fallu créer une seconde association en Arménie. Et là aussi il fallait un agrément délivré par des Polonais anglophones. Et c’est à nouveau un énorme dossier à remplir en anglais, plus la traduction des statuts de l’arménien à l’anglais, etc. Le dossier est envoyé à Varsovie. C’est alors que deux : « SVS-inspecteurs », un Français et une Géorgienne, sont envoyés par Bruxelles. Je les reçois. J’avais tout préparé. Je pensais qu’ils voulaient observer nos activités, par exemple assister à un cours ; non ! Voir l’endroit où logerait le jeune, (la voiture était prête à les y emmener) ; non ! Lire les bilans ; non !
Ils sont restés pendant trois heures à boire du thé et manger des petits gâteaux, et tout ce qu’ils savaient dire et répéter, pendant trois plombes, c’est que le dossier n’était pas en langage administratif. Ils l’ont dit, redit, et reredit en anglais, en français, et même en russe. J’ai déjà vu les personnes ou des organismes accorder un peu trop d’importance à la forme par rapport au fond, mais c’est la première fois, et la seule, où j’ai entendu dire que seule la forme compte et que le fond n’a aucune importance.
Et combien a coûté le voyage de ces deux contrôleurs ?
J’ai donc repris le dossier et essayé de le remettre en anglais plus administratif. La seconde mouture a été refusée par les Polonais au prétexte qu’elle est arrivée trop tard. Et finalement l’agrément a été refusé.
Conclusion
J’ai passé plus de deux mois à plein temps sur ce dossier. J’aurais consacré ce temps à une activité lucrative. J’aurai largement gagné de quoi payer un billet d’avion et un séjour à un jeune.
Conclusion de la conclusion
L’Europe est de plus en plus critiquée. Le oui à Maastricht était passé de justesse. Le non à la constitution européenne l’avait emporte de loin et on nous l’a quand même imposée. La bureaucratie bruxelloise tentaculaire est l’un des reproches que l’on fait à l’Europe. L’usage quasi-exclusif de la langue anglaise alors que l’Europe c’est la variété des langues et des cultures en est un autre. Et il y en a d’autres.
Mais la vraie question n’est pas là. La vraie question est de savoir pourquoi les élites qui nous dirigent, UMP aussi bien que PS, mettre un rare acharnement à ne pas entendre ces critiques, et à maintenir le statu quo.
Patrick Kaplanian
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